PAR : Jean-Marc Bellefleur
Membre du comité de rédaction, pasteur, Église de La Bonne Nouvelle, Mulhouse, Église La Bonne Nouvelle, Saint-Louis

Article paru dans :
Rubrique :
Société
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Notre journal choisit d’aborder un sujet tabou. Comment réagir, en tant qu’Église ? Quelques lignes pour ouvrir une réflexion indispensable.

Chut ! Souffrez en silence ! Les violences conjugales ne sont pas censées exister dans les couples de nos Églises. Et pourtant, dans nos rangs, se cachent des personnes, hommes ou femmes, violentes envers leur conjoint. La présence même de ces personnalités si étrangères au « renouvellement de l’intelligence » est difficile à admettre, dans nos Églises où on enseigne si fortement la sanctification.

enfants

Il s’agit de violences psychologiques (dénigrement, manipulation, culpabilisation), matérielles (privation de liberté, de moyens financiers), sexuelles (viol) et physiques (maltraitances, coups mais aussi meurtres). En France, il meurt une femme sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint en moyenne tous les trois jours. En Suisse et en Belgique, ce chiffre est un peu moins élevé. Le film mettant en scène l’histoire de Jacqueline Sauvage(i) en est un témoignage bouleversant.

Cela pose plusieurs questions pastorales. Si une personne insulte ou violente son conjoint, elle ne va pas s’en vanter, ni abandonner l’image d’une vie chrétienne honorable à l’Église. Elle fera peut-être même véritablement du bien autour d’elle. Alors comment y voir clair si par exemple une épouse révèle la violence de son mari, lequel brille d’une belle réputation « spirituelle » ?

Autre question d’Église : le pardon, excellent moyen de lutter contre les conflits. Mais la violence n’est pas le conflit. Certaines personnalités ne se situent pas dans une relation d’égal à égal et ne recherchent pas la conciliation, mais la domination. La demande de pardon devient une arme entre leurs mains : obliger par son « repentir » le conjoint maltraité à revenir, à redonner une chance… Or dans un contexte ecclésial, il est très malvenu de refuser un pardon ! Le tout est de savoir s’il s’agit d’un véritable repentir. Attention donc à ne pas « absoudre » trop vite, trop naïvement, un auteur de violence. Car en réalité, les violences recommenceront.

cahier

Quel accompagnement pastoral proposer ? Comme toujours et avant tout, protéger les victimes et comprendre les souffrances. Une personne victime de violence conjugale doit être prise en compte. Nous, pasteurs, devons apprendre à proposer cette écoute. Je salue la prochaine sortie d’un numéro spécial des Cahiers de l’Ecole pastorale(ii) consacré au sujet des violences conjugales.

L'Église peut-elle entamer une conciliation, une prière ensemble, une médiation ? Peut-être, mais une personne manipulatrice utilisera tout cela à son profit. Il est très délicat de s’adresser à l’auteur de violences sur la base des confessions de sa victime. Cela peut jouer contre cette dernière, ou bien l'Église peut même être accusée de manipulation sectaire, encore au détriment de la victime. Il ne faut pas confondre nos capacités et la toute-puissance de Dieu ! On ne peut pas tout régler au sein de l’Église, ni se substituer à la justice, aux services sociaux ou aux réseaux d’aide aux victimes. Un pasteur sera dans son rôle en faisant le relais vers une association spécialiséeiii.

Faut-il que l'Église démasque ouvertement un conjoint violent, manipulateur ? Mais il faut ici bien distinguer entre l’accompagnement pastoral, qui, dans le secret de la confession, peut recueillir des éléments de vie privée, et une communication en Église, soumise même à huis-clos aux lois de respect de la vie privée. Retenons aussi que la communication, y compris une dénonciation, doit avant tout servir l’intérêt des victimes. Chaque situation est différente.

Mais ce qu’une Église peut faire, c’est avertir : dire que ces violences existent et que rien ne les justifie, dire que les victimes ont un lieu où parler, que les auteurs aussi… Je recommande la brochure de la Fédération baptiste, Ensemble contre les violences conjugales(iv), à mettre à disposition dans nos présentoirs.

La personne victime peut être amenée à envisager le divorce. Face à une personnalité violente, on ne connaît guère d’autre solution. Cela heurte notre éthique ! Mais voulons-nous préserver le mariage en tant que tel, ou les victimes de violences ? Un pasteur conseillera-t-il le maintien d’une situation où la violence perdure ? Pourra-t-il ignorer le danger auquel les victimes y sont exposées ? Les enfants aussi sont des victimes directes : peut-on conseiller qu’ils soient maintenus dans un contexte délétère ? L’accompagnement ecclésial requiert une réflexion éthique approfondie. De nouveau, chaque situation est différente et nécessite une approche clairvoyante.

Après une séparation, la victime devra aussi se libérer de l’emprise psychologique, de la haine face au mal qu’elle a subi. Revenons au pardon : non plus comme un moyen de pression de la part de l’auteur, mais comme un « lâcher-prise » par la victime, une libération de la rancune après celle de la violence.

Notre sujet est douloureux et complexe. Mon but, en ces quelques lignes, est d’éveiller notre conscience, de libérer la parole, de promouvoir une écoute avertie et une réaction pertinente.


(i) Jacqueline Sauvage, c’était lui ou moi, téléfilm d’Yves Régnier, avec Muriel Robin dans le rôle principal, septembre 2018.

(ii) Les Cahiers de l’Ecole pastorale, Croire publications, Paris.

(iii) En France, par exemple le Centre d’information des femmes et des familles (CIDFF).

(iv) Ensemble contre les violences conjugales, les identifier pour mieux agir dans les Eglises, collectif, édition Empreinte, 2020 (photo).

Merci à Christel Chappatte pour son aide précieuse (association Au-delà des masques, au-dela-des-masques.ch).

Pour aller plus loin : Violences conjugales, accompagner les victimes, C. Febrissy ; J. Poujol, V. Duval-Poujol, Empreintes, 2020.

Article paru dans :

octobre 2020

Rubrique :
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Association baptiste

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