La violence dans la Bible Ces textes qui nous dérangent
La violence est un des terribles maux de l’humanité. Si l’on a cru un temps que les violences barbares étaient réservées à des temps moyen-âgeux, les guerres mondiales et bien d’autres conflits contemporains n’ont cessé de démontrer que la violence la plus sordide reste une réalité persistante ici-bas.
Cette violence qui se déchaîne dans l’humanité n’est pas absente de la Bible. Il y a peu, je relisais l’histoire du roi Saül et me suis ainsi plongée dans le palpitant récit rapporté dans le premier livre de Samuel. Au cours de ma lecture, je suis retombée sur des passages très dérangeants : massacres, extermination de l’ennemi, y compris femmes et enfants. Et pas seulement de la part des peuples ennemis à l’encontre d’Israël, mais aussi, de la part d’Israël, et au nom du Seigneur.
« Eh bien, va les attaquer maintenant, détruis complètement tout ce qui leur appartient, sans pitié. Mets à mort tous les êtres vivants, hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et moutons, chameaux et ânes. » (1S 15.3).
Ce verset, qui ne peut nous laisser indifférent, s’avère bien difficile…
On trouve de nombreux passages violents dans la Bible, principalement dans les livres historiques et prophétiques mais aussi jusque dans les Psaumes : « Que ses descendants soient exterminés et que leur nom disparaisse dans la génération suivante ! » (Ps 109.13). Ne pas se confronter à cette réalité de l’Écriture peut entraîner de graves conséquences. Entre autres, s’ils ne sont pas contextualisés et examinés avec du recul, ces textes sont une porte ouverte à la théologie des guerres saintes qui a justifié les croisades et d’autres conflits plus contemporains.
Comment dès lors accueillir cet aspect du texte biblique et traverser les difficultés que ces passages nous posent ? Voici quelques pistes de réflexion.
La Bible : reflet authentique d’un contexte.
La Bible a été inspirée et composée de manière tout à fait exceptionnelle. Elle découle d’une révélation progressive à des hommes et des femmes de différentes époques, générations, dans différents contextes, émanant du Dieu unique. Dieu vient à la rencontre des personnes, là où elles se trouvent, dans un environnement culturel et historique bien spécifique. Quand Dieu se révèle au petit peuple d’Israël, il ne part pas d’une feuille blanche.
Prenons-en pour preuve l’exemple de Saül lui-même. Bien qu’il soit en marche avec Yavhé, il ne semble pas encore très au clair sur la Révélation du Dieu unique et ses implications. Quand il rencontre Samuel, il pense interroger un « voyant » (1S 9.6-11). Plus tard, il cherchera même à consulter Samuel mort, en allant voir une vraie voyante cette fois, la sorcière d’Endor (1S 28) qui convoque les défunts.
La révélation est en chemin et Dieu est patient. Les textes de l’Ancien Testament sont l’écho d’une histoire et d’une compréhension de Dieu en construction. Ils nous montrent la patience de l’Éternel et sa persévérance à s’engager envers ce peuple qu’il s’est choisi, encore et encore.
Le contexte de ces hommes et femmes d’un autre temps était violent. Certaines coutumes que nous découvrons dans ces textes l’Ancien Testament représentaient la norme de l’époque : combattre pour survivre ou encore consulter la divinité par des rites sacrés avant de partir au combat. La violence vécue était le lot de ces tribus, surtout des tribus nomades. Elles étaient la proie de pillages, rapts, brutalités. La vie était extrêmement précaire. Je termine actuellement un livre sur l’histoire de Jérusalem. Il est épouvantable de voir quelle violence y règne, de sa fondation par le roi David jusqu’à une époque très contemporaine, comme vous le savez. Des violences inimaginables de cruauté : des peuples exterminent d’autres peuples, d’autres religions, d’autres ethnies. Certains passages me renvoient aux conditions dans lesquelles ces petites tribus israélites nomades se sont constituées en peuple. On ne peut arracher les textes à leur contexte. Ils ont été rédigés à une époque où c’était « tuer ou être tué ».
La violence que nous rencontrons dans l’Ancien Testament est d’abord le reflet d’un contexte historique au sein duquel Dieu vient se révéler.
La Bible n’est pas un récit à l’eau de rose. Elle décrit la réalité telle qu’elle est. Voyons-y un signe d’authenticité. Elle ne censure pas les sombres faits et cela lui donne du crédit. Les protagonistes ne sont pas idéalisés. D’après l’historien Simon Sebag Montefiore, auteur du livre Jérusalem(1), « la cour [du roi d’Israël] ne ressemblait guère à la vision idéale de l’entourage d’un roi saint, et tenait plutôt de la fosse aux lions, à en juger par les détails que l’on connaît et qui sonnent vrai ».
Pour en revenir au roi Saül, il est dépeint tel qu’il est, atteint d’une forme de syndrome de persécution, il voyait l’hostilité là où elle n’était pas. Il alterne des épisodes d’excitation et des périodes d’abattement profond. Il pourrait avoir été bipolaire. Certains spécialistes contemporains sont saisis devant le réalisme de certaines pathologies psychiatriques évoquées dans le texte biblique(2).L’Écriture est un texte décapant sur la nature humaine et cette caractéristique est une preuve de son authenticité.
Oser questionner et dialoguer avec le texte.
Dans la perspective chrétienne, le texte biblique n’a pas été dicté par Dieu, comme c’est le cas du Coran par exemple. Il est le fruit d’une rencontre entre des êtres humains pécheurs et l’inspiration du Saint-Esprit, au sein d’une histoire et d’un contexte. Dieu ne veut pas d’une relation unilatérale. Il veut un dialogue vrai entre lui et nous. La Bible elle-même nous donne des exemples – à profusion – de questionnements de Dieu, ses ordres, ses missions et même ses intentions.
Abraham interpelle Dieu sur son intention de détruire Sodome (Ge 18.23-33) ; Moïse tente de se dérober quand Dieu l’appelle (Ex 3.1-22) ; Jérémie s’exclame « toi, Seigneur, tu es trop juste pour que je m’en prenne à toi. Pourtant j’aimerais discuter de justice avec toi : pourquoi les méchants ont-ils tant de succès ? Et les traîtres pourquoi vivent-ils tranquilles ? » (Jr 12.1-2). Plus loin, il se plaint de devoir porter les messages du Seigneur : « Seigneur tu m’as séduit et je me suis laissé prendre ; tu m’as forcé la main, tu as gagné. À longueur de journée on rit de moi, tous se moquent de moi. Chaque fois que je parle, il me faut hurler, dénoncer à grands cris la violence et l’oppression. Et quand j’ai à proclamer une parole de ta part, je subis toute la journée des moqueries et d’autres insultes. » (Jr 20.7-8). Jésus lui-même dira à son Père au dernier moment : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27.46). Nous sommes invités à entrer dans une amitié avec Dieu telle qu’il nous est permis d’exprimer nos réactions avec vérité et authenticité. C’est ce que fait Job, le seul à prononcer des discours justes sur Dieu. Et Dieu dira que Job a bien parlé de lui.
À l’image de Jérémie, nous pourrions prier « Seigneur, nous avons l’impression que tu cautionnes la violence dans certains textes : aide-nous à comprendre, à discerner qui tu es, au travers du texte mais aussi par-delà le texte ». À notre tour, nous sommes exhortés à entrer en dialogue avec les textes pour discerner ce qu’ils veulent nous dire. Osons questionner et parler à Dieu.
Un principe herméneutique.
Devant des textes difficiles, nous pouvons aussi être aidés par un principe herméneutique, un principe d’interprétation de la Bible.
La Parole du Seigneur s’ancre dans un contexte. Elle en reflète aussi des éléments qui n’expriment pas la volonté de Dieu, mais témoignent de l’état d’esprit de l’époque, de la culture, comme, par exemple, la polygamie, l’esclavage ou encore la violence. Sur ces sujets, plusieurs autres passages détonnent et vont à contre-courant des aspects contextuels. Nous devons prendre en compte la totalité du texte biblique, chercher l’esprit derrière la lettre.
Le principe herméneutique évoqué plus haut consiste ainsi à regarder le texte dans ce qu’il a de complètement atypique pour l’époque, de novateur et qui nous révèle la claire empreinte de Dieu. Par exemple, dans un contexte où celui qui était différent était rejeté voire massacré, on trouve des passages stupéfiants dans le livre de l’Exode : « Tu ne maltraiteras point l’étranger, et tu ne l’opprimeras point ; car vous avez été étrangers dans le pays d’Egypte. » (Ex 22.21, cp. 23.9).
Dans les livres prophétiques, l’oppression des plus faibles est stigmatisée. Les prophètes militent pour une justice sociale, le respect de l’ouvrier, du petit. À Jérémie, nous l’avons lu, Dieu ordonne de dénoncer la violence.
Dans le livre d’Ézéchiel, Dieu explique au peuple que si le méchant renonce à sa mauvaise conduite, il sera pardonné. Et le peuple répond : « Le Seigneur va trop loin ! » (18.29, encore un exemple de contestation). Et le Seigneur insiste : « Vraiment, je l’affirme, moi, le Seigneur Dieu, je ne veux la mort de personne. Détournez-vous du mal, et vivez. » (Ez 18.32).
Le pardon des méchants est une notion complètement neuve et à contre-courant, qui va à l’encontre de la propagation de la violence. En étudiant le contexte, nous pouvons repérer en quoi les Ecritures apportent quelque chose de nouveau, d’inspiré, de conforme à la personne de Dieu, qui sera confirmé et révélé pleinement dans la personne du Christ.
La résolution en Christ.
En lisant mon livre sur Jérusalem, j’ai été frappée de voir que, dans toutes les religions, les êtres humains ont été violents : judaïsme, christianisme, islam, et toutes les autres croyances.
Le Seigneur Jésus-Christ, à qui nous regardons, lui, n’a levé la main sur personne. Quelle espérance pour nous, et quelle délivrance, par notre foi en lui, des cycles infernaux de violence.
« Vous avez entendu qu’il a été dit à nos ancêtres : “Tu ne commettras pas de meurtre ; celui qui commet un meurtre mérite de comparaître devant le juge.” Eh bien, moi je vous dis : celui qui se met en colère contre son frère ou sa sœur mérite de comparaître devant le juge ; celui qui dit à son frère ou sa sœur : “Imbécile !” mérite d’être jugé par le conseil suprême ; celui qui lui dit : “Idiot !” mérite d’être jeté dans le feu de l’enfer. Si donc tu viens à l’autel présenter ton offrande à Dieu et que là tu te souviennes que ton frère ou ta sœur a une raison de t’en vouloir, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord faire la paix avec ton frère ou ta sœur ; puis reviens et présente ton offrande à Dieu. » (Mt 5.21-24).
Jésus nous rappelle ici qu’il n’y a pas d’un côté les violents extrêmes et, de l’autre côté, nous-même. Le violent, c’est moi. La racine de la violence est en moi, dans mon irritation, dans ma colère. Ici, Jésus par son enseignement profond veut aller à la racine même de la violence. Pour la stopper nous avons chacun à examiner nos propres cœurs.
La paix commence ainsi par des petites choses. « Va d’abord faire la paix avant de présenter ton offrande. » (Mt 5.24). Semaine après semaine, examine ton cœur et débusque la violence cachée.
« Vous avez entendu qu’il a été dit : “Œil pour œil et dent pour dent.” Eh bien, moi je vous dis de ne pas rendre le mal pour le mal. Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre joue. » (Mt 5.38-39).
« Vous avez entendu qu’il a été dit : “Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.” Eh bien, moi je vous dis : “aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent. Ainsi vous deviendrez les enfants de votre Père qui est dans les cieux”. » (Mt 5.43-44).
Ce discours ne peut pas être appliqué indépendamment de la personne du Christ. C’est parce qu’il a porté sur lui notre violence et en a assumé les conséquences, qu’en lui je peux apprendre. C’est possible parce qu’il est mon grand-frère qui m’a précédé et qu’il me montre le chemin. Quand je renonce à me faire justice, je ne suis pas une victime, je ne suis pas faible, je ne suis pas lâche ; je suis un enfant du Père. Agir ainsi est incompréhensible au regard du monde mais conforme à notre citoyenneté d’un autre Royaume.
« Oui, c’est lui qui est notre paix, lui qui a fait de ceux qui sont Juifs et de ceux qui ne le sont pas un seul peuple. En donnant son corps, il a abattu le mur qui les séparait et qui en faisait des ennemis. » (Ep 2.14).
La clé de la paix en Christ, c’est que les murs sont abattus. Nous devons lutter de toutes nos forces contre les murs. Nous ne pouvons plus nous constituer en partis les uns contre les autres. Quand les humains se divisent en camps, en groupes qui veulent se distinguer, la haine de l’autre n’est jamais bien loin et, avec elle, la violence. Juste après la première guerre mondiale, l’Allemand Dietrich Bonhoeffer et le Français Jean Lasserre sillonnaient les routes et prêchaient côte à côte. C’était extrêmement choquant à l’époque qu’un Allemand et un Français prêchent d’une même voix. Ils défiaient le mur. Notre combat ne doit pas se diriger contre les autres mais contre le mal lui-même. Au cœur de notre période de polarisation, avec des « pros » et des « antis », gardons en tête que notre mission est de défier les murs.
« Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes. » (Ep 6.12).
Cette nouvelle dynamique, possible en Christ, nous permet de relire autrement les textes de l’Ancien Testament. Prenons l’exemple des Psaumes d’imprécation. Nous pouvons prier les Psaumes – même violents – par la voix du Christ lui-même qui nous invite à aimer nos ennemis. Je peux les relire, les accueillir et les prier, en les détournant des personnes, pour cibler le mal : « Seigneur extermine les puissances spirituelles mauvaises, extermine l’esprit de division, l’esprit d’orgueil, l’esprit de parti pris, l’esprit de jugement, l’esprit de rejet, l’esprit de mensonge. »
Marcher en lui, loin de la violence.
« La vengeance n’a pas frappé les pécheurs, mais le seul innocent qui a pris la place des pécheurs, le Fils de Dieu. Jésus Christ a porté la vengeance de Dieu dont le Psaume invoque la venue. […] On ne peut trouver l’amour de Dieu que dans la croix du Christ. Ainsi le Psaume de vengeance nous amène à la croix du Christ et à l’amour de Dieu qui pardonne aux ennemis. Je ne peux pas de mon propre gré pardonner aux ennemis ; seul le peut le Christ crucifié, et je le peux à travers lui. L’exécution de la vengeance se transforme ainsi en miséricorde pour tous les êtres humains en Jésus-Christ(3). »
La violence dans la Bible est le reflet authentique d’un contexte imparfait où Dieu se révèle. Elle nous appelle à entrer en dialogue sincère avec Dieu, à nous efforcer de chercher Dieu, à discerner sa voix au travers de l’ensemble de la révélation. La violence trouve sa résolution radicale en Christ qui nous rappelle que nous sommes tous des violents appelés, en lui, à pratiquer des actes de paix au quotidien. Nous le pouvons, en lui, car il a pris sur lui la sanction de ceux qui étaient ennemis et qu’il pardonne depuis la croix.
À nous de choisir de devenir ses apprentis ; des artisans de paix.
(1) Simon Sebag Montefiore, Jérusalem, biographie, p. 51 (Calmann-Lévy, 2011).
(2) Ariel Toledano, Médecine et Bible, p. 137 (In Press Eds, 2017. Ainsi que plusieurs revues anglophones de psychiatrie).
(3) D. Bonhoeffer, Le livre de prières de la Bible, p. 130 (publié avec De la vie communautaire, Labor et Fides, 2007).