Le reniement de Pierre
Dans votre Bible : Marc 14.66-72
À l’approche de Pâques, peut-être le jeudi ou le vendredi soir, de nombreuses Églises vont méditer les récits de la Passion, c’est-à-dire, d’après l’origine latine du mot, le temps de la « souffrance » de Jésus. Certains responsables pourraient être tentés de sauter le passage qui relate le reniement de Pierre : pour simplifier, pour gagner du temps, que sais-je ? Ce serait une grave erreur.
Nous ne nous en rendons pas compte mais ces quelques lignes attestent remarquablement l’authenticité du récit évangélique. Si c’est l’Église qui a inventé Jésus, si tout a été remanié par des écoles d’anonymes pour rehausser la personne de Jésus, comme cela se dit ici ou là, la logique voudrait que les apôtres aussi soient glorifiés, que leurs défauts soient minimisés. Au cours des siècles, cela a été la tendance. Pourtant, ici, le « prince des apôtres » est montré sous son plus mauvais jour. Seule la réalité des faits l’explique. Le caractère primesautier de l’Évangile de Marc a été mis en exergue par les commentateurs : ici, c’est évident.
Paradoxalement, le récit révèle quelque chose de très positif sur Pierre. D’où provient-il ? Qui a témoigné de ce qui s’est passé ? Un anonyme présent cette nuit-là dans la cour du grand-prêtre ? Jésus ? C’est possible mais le plus probable est que Pierre lui-même a raconté à quelques-uns cet incident ignoble. Le vendredi et le samedi, il était sans doute avec l’apôtre Jean et Marie de Magdala : il a dû tout leur avouer. Vers la fin de sa vie, à Rome, il a confié ses souvenirs à Marc et il ne voulait pas taire ce souvenir précis. Dans le monde entier on saurait qu’il avait failli. Un sentiment de honte aurait pu l’amener à cacher tout cela. Il aurait pu essayer d’asseoir son autorité en se prétendant plus fort qu’il ne l’avait été. Mais non. Il se livre. Il confesse. Cela dit la profondeur et la sincérité de sa repentance, et la réalité du pardon vécu.
À la première lecture, le récit nous amène à prendre au sérieux un avertissement de l’apôtre Paul : « Que celui qui croit être debout prenne garde de tomber. » (1Co 10.12). Cette forme d’humilité s’impose à nous tous. Elle nous protège au moins en partie.
L’épisode souligne aussi l’importance d’être vrais, y compris quand il s’agit de nos faiblesses. Porter le masque de la victoire permanente empêche les autres de nous connaître tels que nous sommes. Du coup des relations authentiques deviennent impossibles. Nous croyons à tort que si nous sommes forts nous serons mieux aimés. Au contraire, la vraie communion s’établit devant la croix, où tous les pêcheurs sont sur un pied d’égalité. « Tel que je suis, je viens à toi » chante-t-on parfois. Tel que je suis, je peux nouer avec mes frères et sœurs un lien de vérité. La honte nous en empêcherait. La honte nous pousserait à nous cacher. Cependant, Dieu est lumière, devant lui il n’y a aucune place pour cette honte qui nous paralyse. La honte que Pierre a éprouvée l’a conduit à la repentance, à la lumière, à la grâce, à la communion.
On lit le reniement de Pierre au cours du récit des dernières vingt-quatre heures de la vie terrestre de Jésus. Cela donne encore plus de relief à ce que le Seigneur Jésus a vécu. Le fils de David, comme son illustre ancêtre, a été abandonné par les siens. Le meilleur des leaders, qui n’avait rien à se reprocher, a été trahi de multiples façons. Cela accentue davantage encore le drame de la croix. Et cela nous dit aussi que, si des choses semblables nous arrivent, nous ne devrions pas en être surpris : le serviteur n’est pas plus grand que son Maître.
Le plus fort de tout, c’est que ce passage souligne l’immensité de l’amour de Jésus pour Pierre et donc pour nous. En le prévenant de sa chute imminente, Jésus lui avait déjà annoncé son « retour », c’est-à-dire sa repentance, et une mission d’encouragement auprès de ses frères (Lc 22.31-34). Jésus avait sollicité son soutien quand il priait à Gethsémané. Quand le coq s’est mis à chanter, Jésus a posé son regard sur Pierre, un regard d’amour qui l’a fait pleurer. Le dimanche matin, Jésus a enjoint expressément aux femmes de prévenir Pierre de sa résurrection (Mc 16.7) et c’est à Pierre qu’il est apparu en premier parmi les apôtres (Lc 24.34). Au bord du lac, il a pansé les plaies du triple reniement de Pierre par une triple confirmation de son appel (Jn 21.15-19). Quel amour !
Comment ne pas nous reconnaître en Pierre ? Et nous ne pleurerions pas en recevant l’amour de Jésus ? Et nous ne nous relèverions pas après une chute ?
Alors, ferons-nous l’impasse sur cette lecture ?