PAR : Thierry Huser
Église La Bonne Nouvelle de Colmar

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Rubrique :
À Bible ouverte
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Comment vivre ensemble lorsque nos opinions et nos convictions divergent et, parfois même, s’affrontent ? La crise sanitaire nous a montré comment les différences d’opinion peuvent opposer les uns et les autres, au travail, dans nos familles, dans l’Église.

Ce phénomène n’a pas attendu la crise sanitaire pour exister. Depuis toujours, des chrétiens croient et pratiquent une chose, tandis que d’autres croient et pratiquent autre chose. L’apôtre Paul aborde cette problématique dans la deuxième partie de sa lettre aux chrétiens de Rome (Rm 14-15). « Tel croit pouvoir manger de tout, tel autre ne mange que des légumes. » (Rm 14.2). La même foi produit des convictions contraires. Cela interroge sur l’unité de l’Église. En quoi consiste-t-elle ? Devrions-nous tous penser et faire exactement la même chose, parce que qu’il n’y a qu’une seule Vérité ? Que faire de nos différences ?

repas

Le catalogue des différences entre les chrétiens est bien fourni : débats sur la souveraineté de Dieu et la liberté humaine ; sur la plénitude du Saint-Esprit et la façon d’y parvenir ; sur les modalités du retour en gloire du Seigneur Jésus. Et sur la spiritualité, le culte, la louange, chacun a son idée sur ce qui est juste et biblique. Qu’as-tu à nous apprendre, Seigneur, par tout cela ? Comment vivre ensemble lorsque nos opinions et nos convictions divergent, et parfois même s’opposent ?

Opinions et convictions

Les opinions dont parle l’apôtre Paul concernent ce que l’on peut manger ou non. L’Ancien Testament avait des règles alimentaires qui distinguaient Israël des nations. Certains chrétiens pensaient qu’il fallait encore les respecter, même si Jésus et les apôtres avaient dépassé la vision d’une pureté rituelle, pour valoriser la pureté du cœur, des pensées, des actions. Par ailleurs, certaines viandes que l’on achetait sur le marché avaient été sacrifiées dans les temples païens avant d’être mises en vente. Là encore, la question se posait : peut-on en manger ou non ? Tous les chrétiens ne donnaient pas la même réponse : leurs opinions et leurs convictions ne collaient pas, et s’opposaient parfois.

Qu’est-ce qu’une opinion ? C’est une manière de penser sur un sujet donné, lorsque la conclusion n’est pas imposée par une démonstration. Nous sommes amenés, régulièrement, à nous faire une opinion sur ce qui se passe, sur tel débat, tel fait d’actualité. On réfléchit, on écoute et on essaie de se faire sa propre idée. Exprimer son opinion, c’est dire ce que l’on pense et s’engager soi-même. Certains sont très assurés, et expriment leurs opinions comme si elles étaient la vérité définitive sur ce dont ils parlent. D’autres sont bien plus mesurés, prêts à évoluer. Parfois on arrive à expliquer sa démarche : on peut alors discuter des opinions, les confronter, en bonne intelligence. Certains se bloquent sur leurs opinions, ne bougent jamais d’un pouce quand ils sont arrivés à une idée.

diversité

La diversité des opinions exprime la diversité des personnes. Laisser l’espace pour l’expression des opinions, c’est laisser l’espace pour la diversité des personnes. C’est, en soi, une belle richesse : on peut se compléter, se faire réfléchir, évoluer. Toutefois, cela présume aussi une certaine humilité : nul ne possède l’unique juste regard sur chaque situation ni la science infuse sur tout. Nous avons besoin les uns des autres.

Dans l’Église, pourtant, les choses se corsent quelque peu parce que les opinions, souvent, deviennent des « convictions ». On parle de conviction lorsqu’une pensée est rattachée à l’enseignement que nous recevons de la Parole de Dieu. Les différences deviennent plus difficiles à vivre : il n’est plus question de simples préférences personnelles mais d’obéissance au Seigneur ! Lorsque des chrétiens ont des convictions différentes, les discussions peuvent devenir âpres et tendues parce qu’elles impliquent des enjeux de fidélité. Paul évoque ces convictions lorsqu’il dit : « L’un croit… l’autre croit » (Rm 14.2). « Cette foi que tu as, garde-la pour toi, devant Dieu. » (14.22) La conviction est un prolongement de ce que l’on croit.

Distinctions nécessaires

Certaines distinctions s’imposent quand on aborde la problématique des opinions et des convictions.

Une première distinction est de bien faire la différence entre ce qui est simplement opinion personnelle et ce qui découle de l’enseignement biblique. « Malheur à ceux qui prennent leur propre parole et qui la donnent pour ma parole », déclare le Seigneur (Jr 23.31). Les amalgames sont désastreux : ils peuvent habiller du nom de Dieu ce qui n’est que pensée humaine et relative.

Lecteurs de la Bible

Une deuxième distinction est de faire la part des choses entre les conclusions que je tire de la Parole de Dieu et la Parole de Dieu elle-même. C’est l’Écriture qui est inspirée, et utile pour enseigner, convaincre, reprendre, éduquer (2Tm 3.16-17). Les conclusions que nous tirons de l’Écriture restent marquées par notre personne, même si nous cherchons à être honnêtes et fidèles. Notre lecture, nos schémas, sont colorés par notre arrière-plan, nos expériences, nos préférences. Nous devons avoir l’honnêteté de le reconnaître. Certains chrétiens, enflammés par un sujet ou par une cause, considèrent leur conviction, ou leur cheval de bataille, comme la Parole de Dieu, dès lors qu’ils peuvent appuyer leur propos avec trois versets. Restons humbles et prudents, veillons à ne pas mettre la Parole de Dieu au service de nos idées. C’est la Bible qui doit nous modeler, et non l’inverse.

Une troisième considération rappelle que la Bible n’est pas écrite comme un système tout fait, qui nous dirait, point après point, ce qu’il faut croire sur chaque sujet de doctrine ou sur chaque situation de vie. Les informations dont nous avons besoin pour connaître Dieu et vivre selon lui sont dispersées en bien des endroits, et formulées de bien des manières : récits, exemples, enseignements, commandements, prières… L’ensemble est d’une richesse extraordinaire, en prise avec la vie dans toute sa complexité. Faire une synthèse sur un sujet donné n’est pas immédiat. Selon ce que l’un ou l’autre privilégie, celle-ci pourra être différente. C’est l’une des sources des différences théologiques entre chrétiens qui aiment tous le Seigneur et veulent se soumettre à sa Parole.

Y a-t-il une sagesse dans cette manière dont Dieu s’est fait connaître ? Elle exprime, d’abord, le but de sa révélation : non pas nous enfermer dans un système, mais établir une relation, insérée dans le grand projet de Dieu, mais en prise avec la vraie vie. Dans un moment difficile, je peux être rejoint de bien des façons : par une promesse, une affirmation sur Dieu, la prière d’un croyant qui a connu la difficulté. Ce mode d’action est aussi une invitation à « chercher le Seigneur », encore et encore. Enfin, cette manière dont Dieu se révèle dans la Bible par de multiples touches, permet de rattraper beaucoup d’erreurs : un chrétien qui dévie sur un texte, ou qui va trop loin sur une idée peut être rattrapé par d’autres textes, s’il aime et médite régulièrement la Bible. Il y a donc une vraie sagesse à la façon dont la Bible nous enseigne. Néanmoins il nous revient de tenter les synthèses d’ensemble, à partir des multiples données de l’Écriture : il n’y a pas une manière unique de le faire, même s’il y a une seule vérité, celle de la Parole de Dieu.

Vivre ensemble

Avec tout cela, comment vivre ensemble, en tant que chrétiens, avec des opinions et des convictions parfois bien différentes ? Paul nous donne quelques lignes de conduite.

Non à l’uniformisation

Chaussures variées

Il est tentant d’uniformiser, au motif qu’il n’y a qu’une vérité. Paul résiste à l’uniformisation. Il est convaincu que les directives de pureté rituelle de l’Ancien Testament sont abrogées. « Je sais, j’en suis persuadé dans le Seigneur Jésus, que rien n’est impur en soi. » (Rm 14.14). Pourtant, l’apôtre sait que certains chrétiens issus du judaïsme se sentent encore tenus par ce qui les a structurés depuis toujours. Cela fait partie de leur fidélité à Dieu. Surmonter ces interdits alimentaires serait vécu par eux comme une transgression. Il y a là une liberté dans laquelle ils n’arrivent pas à entrer. Paul ne cherche pas à leur imposer cette « liberté ». Il refuse l’uniformisation et laisse l’espace du cheminement. L’unique vérité de l’Évangile n’est pas pour Paul un moule totalitaire : la liberté et l’authenticité des personnes doivent être préservées dans l’Église. Certes, Paul s’est opposé aux judaïsants qui tentaient d’imposer le respect des lois juives comme condition pour être acceptés par Dieu : la vérité de l’Évangile était en cause. Toutefois, ici, il s’agit de la liberté personnelle de chrétiens qui ont authentiquement reçu l’Évangile mais qui restent marqués par leur éducation et leur formation.

Les vigilances du respect

Paul invite les chrétiens au respect mutuel. À cet égard, chacun doit exercer sa propre vigilance. « Que celui qui mange ne méprise pas celui qui ne mange pas. » (14.3). On pense ici à ces chrétiens « ouverts » qui regardent avec condescendance ces pauvres frères et sœurs plus étroits, encore tellement enfermés dans leurs ornières, qu’ils n’ont pas saisi l’évangile libérateur ! « Que celui qui ne mange pas ne juge pas celui qui mange. » (14.3b). C’est ici la revanche du chrétien moins ouvert, qui critique son frère à la liberté plus grande, au motif qu’il choisit la facilité et ne sait pas ce que veut dire payer le prix de l’obéissance ! Quel couple destructeur : le mépris de l’un qui alimente le jugement de l’autre.

Nous devons tous veiller à nos réactions de défense lorsque nous sommes questionnés par la différence de l’autre. Quand une personne persuadée des thèses complotistes me dit que je ne comprends rien à la vraie actualité, ma première réaction est d’être vexé et de me sentir agressé : « Moi aussi j’essaie d’être bien informé, je lis, je cherche ! » Il n’est pas sain de construire une réaction sur de tels réflexes de défense. Il nous faut les dépasser pour entrer dans une recherche plus sereine.

Le refus de la mainmise

Paul condamne toute mainmise d’un chrétien sur un autre. « Qui es-tu toi qui juges un serviteur d’autrui ? S’il se tient debout ou s’il tombe, cela regarde son maître. » (14.4). Le chrétien que Paul dépeint ici considère certainement que son frère ne peut pas être fidèle, avec ce qu’il croit et pratique. Comment peut-il être debout ? La réplique de l’apôtre est cinglante : ton frère ne t’appartient pas, il est à Dieu ! Paul place ici une limite, entre le souci du frère et la mainmise sur lui. Ton frère, ta sœur, ont une responsabilité devant Dieu, mais c’est à lui qu’ils doivent rendre des comptes, et non à toi. Et l’apôtre de prononcer une phrase magnifique sur le frère dont on annonce le désastre imminent parce qu’il agit différemment : « Mais il se tiendra debout, car le Seigneur a le pouvoir de le soutenir. » (14.4). Paul oppose au pessimisme qui a déjà figé l’autre dans le jugement, un optimisme fondé sur la confiance en Dieu.

Joie des retrouvailles

Priorité aux motivations

Pour mieux approcher les différences, Paul nous invite à considérer les motivations de chacun. Ceux qui mangent ou non, qui respectent les jours ou non, agissent différemment. Mais chacun le fait « pour le Seigneur » (14.6).

C’est une belle voie d’approche. On peut se retrouver sur les motivations, tout en ayant des pratiques, des opinions, ou des options théologiques différentes. C’est à valoriser. Des chrétiens peuvent ne pas être d’accord sur toutes les modalités de l’action du Saint-Esprit mais aspirer ensemble à ce que l'Esprit les fasse grandir. Le débat existe sur les événements qui conduiront au retour et au règne du Seigneur Jésus mais, d’un même cœur, nous pouvons prier « Que ton règne vienne » !

Cette perspective qui valorise les motivations doit permettre un dialogue qui dépasse les simples oppositions frontales, y compris sur des sujets aussi clivants que les débats autour de la question sanitaire. Il vaut la peine d’aller vers celui ou celle qui pense différemment et de lui demander, sincèrement, dans un esprit d’écoute, ce que sont ses motivations et le sens de sa position. Qu’est-ce qui a conduit à adopter telle option ? Comment cela est-il vécu ? Quelles sont les questions qui subsistent, éventuellement ? Vivre cela dans l’écoute et la sincérité permet de dépasser l’opposition frontale pour la rencontre des personnes.

Valoriser l’essentiel

Paul invite, enfin, à donner priorité à ce qui est essentiel. « Si, pour un aliment, ton frère est attristé, tu ne marches plus selon l’amour. » (14.15). Si pour une question de vaccin, ton frère ne se sent plus bienvenu, tu ne marches plus selon l’amour. Si, fort de tes convictions théologiques, tu imposes constamment à tout le monde tes grandes théories, tu ne marches plus selon l’amour. Car, continue Paul, « le royaume de Dieu n’est ni le manger, ni le boire, mais la justice, la paix et la joie, par le Saint-Esprit. […] Ainsi donc, recherchons ce qui contribue à la paix et à l’édification mutuelle… Pour un aliment, ne détruis pas l’œuvre de Dieu. » (14.17, 19-20).

Nous n’avons pas ici les gentils conseils d’un gentil chrétien pour une gentille Église. C’est une résolution ferme à prendre, personnellement, communautairement, face aux particularismes, aux opinions, aux convictions qui séparent. Le Royaume de Dieu est tout autre chose que de monter ces choses en épingle. Le Royaume de Dieu, c’est marcher dans l’amour, le vrai, celui qui coûte parfois. Ce sont des relations marquées par la justice, la paix, la joie, par le Saint-Esprit qui nous veut unis, et souhaite développer son fruit précisément là où tout pourrait séparer. Et il nous faut, constamment, remettre chaque chose à sa place et veiller à ce qu’elle y reste. « Pour un aliment, ne détruis pas l’œuvre de Dieu. » (14.20). Ce même principe s’applique aussi bien aux sujets qui fâchent, de la crise sanitaire aux options théologiques particulières. Nous devons décider, ensemble, résolument, ce qui pèse le plus, et nous y tenir.

L’accueil

Les derniers mots de l’apôtre renvoient à l’exemple du Christ qui ne s’est pas complu en lui-même mais s’est livré pour nous. Fort de cette inspiration, l’apôtre nous invite, non pas à l’uniformité de pensée, mais à l’accueil les uns des autres, dans un amour actif. « Que le Dieu de la persévérance et de la consolation vous donne d'avoir les mêmes sentiments les uns envers les autres selon Jésus-Christ, afin que tous ensemble, d'une seule bouche, vous glorifiiez le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ. Faites-vous mutuellement bon accueil, comme Christ vous a accueillis, pour la gloire de Dieu. » (Rm 15.5-7).

C’est ce que je souhaite à toutes nos Églises, en ces temps compliqués où nous avons besoin d’une vraie boussole pour orienter nos attitudes.


Cette réflexion est la reprise d’une prédication donnée en plein cœur de la crise sanitaire et de ses débats.

Article paru dans :

mai 2022

Rubrique :
À Bible ouverte
Mots-clés :
Point de vue

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