PAR : Albert Solanas
Membre du comité de rédaction, pasteur à la retraite, Église baptiste de Nîmes

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Au début de sa première lettre aux Corinthiens, l’apôtre Paul, après avoir dit sa reconnaissance pour tous les dons que Dieu a accordés à cette Église, la reprend sur ses divisions. Au cœur de son propos, il déclare : « Les Juifs demandent des miracles et les Grecs cherchent la sagesse : nous, nous prêchons Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens, mais puissance de Dieu et sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs. » (1Co 1.22-24).

Nous avons, dans cette déclaration de l’apôtre Paul, un remarquable portrait des deux grandes figures du monde antique : les juifs qui attendaient un puissant libérateur, les Grecs qui attendaient un super Socrate à l’éloquence sublime ; deux cultures, deux traditions, la juive et la grecque, dans lesquelles l’Évangile éternel et universel est prêché et doit s’incarner.

Je voudrais prolonger cette réflexion en faisant des deux figures de l’antiquité, le Juif et le Grec, dans leurs démarches, l’expression de deux aspects de notre nature humaine, de deux mouve- ments qui les expriment : le ressenti et le réfléchi.

Les miracles et la sagesse

Les Juifs demandent des miracles, du visible, du spectaculaire, de l’impressionnant. Ils veulent être surpris, étonnés, captivés, subjugués. Quelle étrange modernité que celle des Juifs, ces hommes du ressenti !

Cœur

Aujourd’hui, dans les prévisions météorologiques, on voit apparaître deux chiffres pour les températures : celui du thermomètre et celui dit de la température ressentie. Je ne sais pas avec quel instrument est mesurée cette dernière. La seule chose que j’ai observée dans ce domaine c’est que lorsque pour moi il fait frais et que je sors avec mon blouson, il m’arrive de croiser quelqu’un qui se promène en teeshirt. Notre ressenti est différent. Chacun le sien.

Dans tout ce qu’on entend, voit, lit, débat au- jourd’hui, le ressenti joue un rôle de plus en plus déterminant. Au détriment de la réflexion. Les slogans sont plus importants que les phrases et les images plus que les faits.

Je ne déteste pas les slogans mais je préfère les phrases, même courtes, qui elles, disent quelque chose. Une de celles qui m’a le plus touché récemment, c’est celle qu’a prononcée un homme qui a perdu sa femme dans l’attentat du Bataclan. Il a dit et écrit aux assassins de sa jeune épouse : « Vous n’aurez pas ma haine. »

Le sentiment est important, bien sûr. Mais seul, il est subjectif, changeant, parfois en rapport étroit avec la réalité, parfois complètement décalé par rapport à elle. Se fier au sentiment pour juger des faits, évaluer des idées, des paroles et des actes, c’est bâtir sur du sable, c’est se condamner au chacun pour soi ou à l’éphémère communauté des émotions. Le ressenti est objectivement peu fiable pour définir un comportement. Imagine-t-on une société dans laquelle chaque être humain ne suivrait que ses impulsions ?

En matière de piété, même évangélique, on connaît aussi des courants pour lesquels le ressenti est essentiel. Pour certains même, le sens des mots et des phrases n’est pas le plus important, c’est leur musique et leur répétition qui portent la louange. Dans cer- tains cas, on a quitté la consistance de la reconnaissance exprimée et de l’adoration motivée, comme nous les avons dans les psaumes, pour l’inconsistance du ressenti.

Quelques mots sur le réfléchi. Notre texte parle des discours de la sagesse humaine qui, prétendant chacun donner son explication du monde et de la vie, s’entrechoquent, tournent en rond autour de l’homme et ne peuvent saisir le sens de l’œuvre de Dieu.

En matière de réflexion, même biblique, on peut aussi trouver aujourd’hui des courants qui s’égarent dans des spéculations et bâtissent sur des prémisses qui vident de sa substance la Révélation des Écritures. C’est le cas de différents courants du libéralisme théologique moderne tel qu’il nous est apparu, par exemple, dans le débat entre protestants sur « Bénir les couples homosexuels ? ». Que reste-t-il là de la foi biblique ? On a beaucoup pensé, analysé, argumenté… et quand on a voulu saisir le rocher de l’Écriture, les raisonnements humains l’avaient pulvérisé. Dans la main, il ne reste que du sable. Ici, on a quitté la consistance du révélé pour l’inconsistance du réfléchi.

 Le ressenti et le réfléchi.

L’être humain, créature de Dieu, est fait de chair et d’esprit, de sentiments et d’intelligence. Les deux, abîmés par le péché, ont besoin d’être régénérés. Mais les deux restent indispensables pour ressentir et réfléchir, pour éprouver et agir. La prédication du Christ crucifié est puissance de Dieu et sagesse de Dieu pour tous ceux qui croient. Quelle merveilleuse nouvelle pour nous et pour l’humanité ! La grâce opère en chacun pour l’épanouissement équilibré de sa vie et dans l’Église pour produire l’harmonie de l’unité en Christ. Tout est possible à celui qui croit. Béni soit le Dieu de Jésus-Christ pour l’Esprit, l’Écriture et la foi. ■

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