PAR : Jean-Marc Bellefleur
Membre du comité de rédaction, pasteur, Église de La Bonne Nouvelle, Mulhouse, Église La Bonne Nouvelle, Saint-Louis.

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Ce titre pose deux questions à la fois, suivant la manière dont on le lit : faut-il vraiment faire le bien ? Ou bien : faut-il faire le bien de bonne manière ? Sujet d’actualité, à vrai dire. Je m’explique.

Le Centre évangélique d’information et d’action(1), en novembre dernier, a posé ces questions, en nous proposant le thème d’une Église missionnaire qui se livre à la « proclamation intégrale de l’Evangile de salut et de paix(2) ». Le terme « intégral » est utilisé pour qualifier la mission de l’Église dans ce monde, mission qui touche à tous les domaines de la vie et se traduit par des paroles, des actions, des militances, des comportements. Certains auteurs, lassés par une acception réductrice à leurs oreilles du terme « missionnaire », qui ne concernerait que de la mission en pays étranger, ont introduit le néologisme missionnel. Plus précisément, selon Girgis, il s’agit d’une « manière de penser et d’agir entièrement déterminée et imprégnée par la nature et l’action missionnaire de Dieu dans notre monde(3) ».

jeune fille à l'école

J’ajoute le propos d’Erwan Cloarec, président du CNEF, lors de son discours au Centre évangélique : « Selon la vocation de chacun, nous souhaitons encourager l'engagement dans tous les domaines de la vie humaine : sphères familiales, professionnelles, associatives, culturelles, citoyennes. Partout et pour tous, dans toutes les sphères de la société, nous voulons rendre l’Évangile présent et agir pour le bien. » Le Conseil national des évangéliques de France travaille d’ailleurs à un texte au sujet de l’Église « missionnelle », dont la version définitive sera validée lors de l’assemblée plénière de juin 2023. Tant sur le plan individuel que communautaire, il s’agit donc d’avoir une présence chrétienne authentique et ce, dans tous les domaines de la vie, tout autant que d’avoir une parole chrétienne dans ce monde.

Dont acte. L’air du temps n’est plus aux paroles en l’air. En soi, c’est loin d’être nouveau. Dès le début, Jean écrivait à ses lecteurs (1 Jn 3.18) : « N'aimons pas seulement en paroles, avec de beaux discours ; faisons preuve d'un véritable amour qui se manifeste par des actes ! » De fait, nous vivons aujourd’hui une prise de conscience après une période où le seul rapport avec la société était celui de l’évangélisation. Cette prise de conscience prend enfin racine, alors qu’elle est semée depuis les années 70 par les déclarations de Lausanne, de Manille et du Cap.

Finalement, qu’est-ce qu’« aimer en actes », pour résumer la formule de Jean ? Quels actes incombent ainsi aux personnes chrétiennes et à leurs communautés ? Que signifie avoir une « présence chrétienne dans le monde » ? Parlons concret.

femme en train de servir un
plateau

Apporter un repas à ses voisins dont la femme vient d’accoucher, c’est aimer en actes. Sans calcul, sans arrière-pensée. C’est simplement faire du bien à ses voisins. Organiser un planning de garde de l’enfant d’une mère célibataire pour qu’elle puisse travailler, c’est aimer en actes. Rejoindre une association de soutien à la parentalité, c’est être présent au monde. S’engager dans une éducation respectueuse de l’enfant, c’est aussi être présent au monde. Militer contre le travail des enfants dans certains pays, c’est aimer en actes.

Dans ces exemples, j’opère volontairement une gradation du simple geste de bon voisinage à la militance politique en faveur des enfants soumis à la productivité. Ainsi, la présence au monde n’est pas la même pour tous. Le bien à faire ici-bas peut revêtir de multiples formes. Notre présence au monde est concrète ou… n’est pas. Pour reprendre l’exemple des enfants que je viens de citer, il est important d’avoir dans nos Églises des écoles du dimanche, d’y enseigner aux enfants ce que dit la Bible et d’y faire résonner à leurs oreilles l’appel que Dieu lance à tout être humain. Oui ! Et tout autant, il importe d’encourager une éducation parentale avisée ; de veiller au bon développement psychique des enfants ; de les mener vers l’autonomie et la sagesse ; de jouer avec eux ; de leur donner envie d’entreprendre, et tant d’autres choses. C’est ce qui m’a motivé pour diriger des séjours de vacances pendant vingt-cinq ans. Je voulais leur offrir de bons souvenirs sur lesquels ils pourraient bâtir leur identité ; leur apprendre à vivre avec les autres ; leur apprendre à rendre service ; leur apprendre le respect d’un cadre, la considération pour l’autorité, la prise en compte d’avis différents ; leur apprendre à rire, à faire les fous tout autant qu’à être sérieux et discuter de choses profondes. Et bien sûr, leur parler de l’appel de Dieu et de l’Évangile.

Outre la sécurité des enfants et leur éducation, il faut ajouter la lutte contre la pauvreté. Nos Églises sont habituées au soutien humanitaire, et c’est très bien. Qui n’a pas acheté tel objet du commerce équitable proposé par le Service d’entraide et de liaison (SEL), qui n’a pas fait un don pour la construction d’un hôpital ou le creusement d’un puits dans un pays lointain. Ces pratiques sont éprouvées dans nos Églises et une multitude impressionnante de chrétiennes et chrétiens y ont consacré leur vie. La « mission » ! Tout autant de proclamation de l’Évangile que d’aide concrète dans des domaines multiples, de la santé à l’agriculture, de l’éducation à l’artisanat.

Au plan local, dans nos pays d’Europe occidentale, les missions de l’Église sont les mêmes ! Toutefois, leurs traductions sur le terrain sont autres. L’histoire est différente, de même que les usages, les lois ou les mentalités. Ici, l’État a pris en charge un certain nombre d’actions de solidarité, et c’est une excellente chose. Pourtant, cela ne peut être un prétexte à une certaine démission qui arguerait de ce fait. L’État providence n’existe plus et il y a une place pour une foule de gestes citoyens, solidaires, fraternels, pour des actions personnelles tout autant que communautaires : donner quelques heures de bénévolat pour un foyer d’hébergement d’urgence ; être famille d’accueil pour un mineur non accompagné ; rassembler des couvertures pour un abri de nuit ; siéger au conseil d’administration d’une association sociale et mille autres exemples !

La lutte contre la pauvreté, c’est aussi la lutte contre les inégalités Nord-Sud. Voici une militance plus politique mais qui poursuit le même but que l’action locale : « Comment agir en faveur d’une économie plus juste, solidaire et durable dans un contexte de mondialisation ? » interroge le Défi-Michée en proposant « Quarante actes d’économie généreuse(4) ». Le « bien » prend ici à la fois la forme de gestes du quotidien et de militance politique.

Il est pertinent de ranger la préservation de l’environnement au registre du « bien à faire » et de la lutte contre l’injustice et la pauvreté. En effet, aujourd’hui, ce ne sont pas les pollueurs qui subissent les conséquences du réchauffement climatique que la pollution a occasionné, ce sont des habitants de pays souvent déjà très pauvres. Qui plus est, nos descendants subiront demain les dégâts occasionnés hier et aujourd’hui par notre spoliation des ressources naturelles. Nous payons d’ailleurs déjà ce que nos prédécesseurs ont fait de la Création. Ces injustices à elles seules ne peuvent nous laisser indifférents, sans compter d’autres motivations comme l’amour pour le Créateur et son œuvre.

Vous en voulez encore ? La protection et le rétablissement des victimes de toutes sortes de violences comme le harcèlement moral, les violences sexuelles et sexistes, le racisme, la xénophobie et même l’homophobie. Ou encore, l’accompagnement des personnes voulant avorter, ou l’ayant fait. Ou encore, celui des personnes en fin de vie. Et je pourrais poursuivre cette liste à la Prévert… pardon de ne pas tout citer.

Je vous sens fatigué à la lecture de tout cela… Vous conduirais-je vers un activisme épuisant ? Que l’on se rassure. « Qui trop embrasse mal étreint » dit le proverbe. On ne peut pas tout faire. Pour bien faire, il faut bien choisir ce que l’on fait. Si je veux acheter des fleurs, je ne repartirai pas de chez le fleuriste avec tout son magasin. Je me serai décidé pour un bouquet de roses qui me plaisent ou un arrangement d’anthuriums. De même, pour bien faire le bien, il faut choisir ce que l’on aime, ce qui nous correspond, ce qui nous interpelle. Chacun dans son domaine. L’un récoltera des couvertures et l’autre écrira à son député, et les deux… feront bien.

Que ce soit en tant qu’individu ou en tant que communauté ; que ce soient des gestes simples ou des militances sociales ; qu’il s’agisse d’actions en Église ou dans des associations ; que l’on donne anonymement de l’argent ou que l’on s’engage de manière plus visible… le bien à faire dans ce monde qui se perd est un domaine fort vaste. La mission de l’Église est très variée.

L’important est de traduire notre foi en actes. Réels. Palpables. Concrets. Ces actes forment un tout avec la parole de l’Évangile, ils en constituent aussi le message. Des actes marqués par la recherche du bien, parce que Dieu nous a fait du bien et qu’ainsi, nous lui rendons hommage. Une mission « intégrale » de l’Église qui fait ainsi écho à la Mission de Dieu dans ce monde.


  1. CEIA, centre-evangelique.fr, tenu à Paris les 28 et 29 novembre 2022.

  2. Éditorial du livret d’accueil. Le thème 2022 était : « L’Église en mission, être, dire, faire. »

  3. Michaël Girgis, « La théologie missionnelle », Allons, bulletin d’information de l’Alliance missionnaire évangélique, 4/2011, cité par Evert Van de Poll, dans l’ouvrage collectif sous sa direction Mission intégrale, vivre, annoncer et manifester l’Évangile, pour que le monde croie, Charols, Excelsis, 2017 (p. 34).

  4. Michée France, 40 actes d'économie généreuse, consulté le 16/12/2022
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janvier 2023

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