Du ménage un Vendredi saint ?
Voici quelques pistes pour entrer dans la Passion, tracées par Lydia Lehmann.
J’ai grandi en Allemagne, où le Vendredi saint est un jour férié. Quel étonnement – quel choc culturel – de découvrir en arrivant en France(1) que le Vendredi saint était un jour où, à l’Institut biblique, nous devions suivre des cours et faire, comme tous les vendredis, du ménage l’après-midi ! J’ai appris à relativiser… Ma consolation a été que la directrice (également allemande) nous a proposé de l’accompagner à un concert de la Passion selon Matthieu, de Jean-Sébastien Bach.
Au-delà des différences culturelles, me souvenir d’une manière particulière de la mort du Seigneur Jésus ce jour-là, et, si possible en communion avec mes frères et sœurs, demeure important pour moi.
Dans notre communauté, nous proposons chaque année une rencontre de recueillement le soir du Vendredi saint. Au programme : lectures du récit de la Passion à plusieurs voix, lectures de textes vétérotestamentaires annonçant la mort du Messie, chants, prières, moments de silence, écoute d’un morceau de musique, partage du repas du Seigneur... J’ai déjà utilisé en particulier deux outils dans la préparation de ces moments de recueillement communautaire.
Le premier est le livre de Daniel Bourguet, Le silence de Dieu pendant la Passion(2). C’est un livre qui m’a beaucoup ressourcée et dont j’ai lu des extraits lors d’une de nos rencontres, pour nous aider à entendre ces textes de la Passion bien connus d’une manière nouvelle, et pour les laisser nous toucher plus profondément, nous nourrir réellement. Voici la trame de cette rencontre, dont les lectures bibliques étaient entrecoupées d’extraits correspondants de ce livre :
Chant (JEM 464, « Mystère de Jésus-Christ ») – Jean 13.1-11 – Chant (JEM 845, « Avec patience ») – Marc 14.18-28 – Chant (JEM 410, « Faites ceci en mémoire de moi ») – Sainte Cène – Luc 22.39-44 – Moment de prière – Chant (Exo, « Glorifie ton nom ») – Marc 14.41-46, 50-55 – Marc 14.55-65 – Chant (JEM 127, « Attaché à la croix pour moi ») – Marc 14.66-72 – Marc 15.1-7, 15-21 – Marc 15.22-27, 33-39 – Chant (« La puissance de la croix ») – Marc 15.40-47.
Cette année-là, j’ai conclu la rencontre sans chant (joyeux) à la fin, simplement par la lecture du récit de la mise au tombeau et par ces extraits du livre cité ci-dessus : « qui pourrait […] dire ce que ressent le Père dans la descente de croix et dans la mise au tombeau ? Qui pourrait dire l’indicible amour du Père pour le Fils ? Le voile du temple a été déchiré du haut en bas : aucun mot humain ne pourra dire plus sur le deuil du Père. Les femmes, immobiles, contemplent en silence celui dont le silence est insondable amour. […] Père, l’aube pascale brille déjà… d’une indicible lumière, je ne puis maintenant que me taire et me prosterner dans la splendeur de ton silence(3). » Nous, qui sommes parfois peu habitués au silence, pouvons nous sentir déstabilisés, mais il me semble que ce silence fait pleinement partie de la Passion et que nous en avons besoin pour en approcher un petit peu plus le mystère avec humilité.
Le second outil est le petit livret Spécial Pâques, Le ciel m’appelle, de Pascal Grosjean(4), qui peut également être utilisé comme méditation accompagnant la lecture des récits bibliques. Il y a bien-sûr d’autres pistes à explorer :
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Faire écouter un morceau de musique tiré d’une des Passions de Jean-Sébastien Bach, soit en introduction, soit avant un moment de silence ou de prière. C’est plus largement un encouragement à puiser dans notre riche héritage de deux mille ans d’Histoire de l’Église.
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Montrer cette petite vidéo(5) qui présente l’histoire de la Passion sous forme de dessin sur sable.
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S’inspirer d’un tableau pour méditer sur le sens de la Passion. Trois exemples : « Le Christ quittant le prétoire » (Gustave Doré), « Le Reniement de saint Pierre » (Rembrandt), « Le Retable d’Issenheim » (Grünewald).
- Animer la rencontre autour des sept dernières paroles de Jésus (Lc 23.34, Lc 23.43, Jn 19.26-27, Mc 15.34, Jn 19.28, Jn 19.30 et Lc 23.46). Au début de la rencontre, sept bougies sont allumées. Chaque parole est suivie d’une courte méditation, puis la bougie correspondante est éteinte. Les participants rentrent dans le silence.
Ces deux dernières idées sont tirées de l’article « Cheminer vers Pâques : Boîte à idées », publié sur le site des éditions Mennonites(6).
Même si, dans le déroulement de la semaine pascale, la sainte Cène a été instituée le jeudi soir par Jésus, elle peut légitimement trouver sa place dans une soirée de Vendredi saint, car c’est l’endroit par excellence où nous nous souvenons de la mort du Seigneur Jésus. Le Vendredi saint, j’aime changer nos habitudes et utiliser du pain avec levain au lieu du pain azyme que nous utilisons chaque dimanche, et du vin en plus du jus de raisin habituel, pour nous permettre de vivre ce moment d’une manière différente.
Pour terminer je voudrais nous adresser une réflexion (et à moi aussi qui me laisse souvent prendre dans le tourbillon des choses à faire) : quel sens cela fait-il de fêter Pâques si nous sautons l’étape de la Passion ? Un rêve : pouvoir vivre une rencontre de Vendredi saint suivi d’un Samedi saint que chacun vit dans le silence, en tout cas sans rencontre ou activité particulière prévues, afin de nous extraire un peu de l’activisme et d’entrer dans le mouvement de la Passion. On pourrait proposer un canevas qui guiderait chacun dans sa méditation personnelle devant Dieu. La joie du Dimanche de Pâques serait alors plus palpable encore, une véritable fête de Celui qui est la vie ! ■
(1) NDLR : le Vendredi saint est néanmoins férié en Alsace et en Moselle, pour des raisons historiques.
(2) Daniel Bourguet, 2013, Editions Olivétan, 208 pages
(3) Op cit, pp. 188,209
(4) Pascal Grosjean, Méditations Bibliques, La Ligue pour la Lecture de la Bible, 32 pages
(5) http://youtube.com/watch?v=Ec0CHkyWawU
(6) editions-mennonites.fr