PAR : Jean-Marc Bellefleur
Membre du comité de rédaction, pasteur, Églises baptistes de Mulhouse et de Saint-Louis.

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Société
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Les mouvements sociaux contre la réforme des retraites, en France, témoignent d’une certaine vision du travail. Occasion de nous demander ce qu’en dit la Bible.

« Deux ans ferme, c’est non. » Slogan collé sur un réverbère, après les manifestations contre la réforme ! Ces « deux ans », que la nouvelle loi ajoute à l’âge de la retraite, sont un emprunt au vocabulaire carcéral. Ambiance.

Le travail, une prison ? En 2008, soixante-deux pour cent des Français préféraient gagner plus d’argent au détriment du temps libre. C’est l’inverse en 2023 : soixante-et-un pour cent préfèrent avoir plus de temps libre au détriment du revenu. L’idée de réussite professionnelle, avec une responsabilité d’encadrement, « ne mobilise plus autant les jeunes générations(1) ».

Cette évolution a plusieurs explications, outre la récente pandémie et le télétravail qu’elle a renforcé : l’importance des loisirs dans une vision plus individualiste de l’existence, et, en creux, la perte de sens du travail ; une « défiance grandissante à l’égard […] des domaines constitutifs du fonctionnement de la vie en société, dont l’emploi… » ; le sentiment d’être « perdant » face à son entreprise (ainsi la moitié des actifs en 2022 contre le quart en 1993), même si on aime toujours son métier en soi ; ou, dit autrement, le manque de reconnaissance du travail accompli de la part de l’entreprise.

Il vaut la peine de se pencher sur quelques éléments bibliques au sujet du travail(2).

La valeur du travail

La Genèse pose le travail comme une vocation que Dieu adresse aux humains. Plusieurs verbes expriment cela : « dominer » (Gn 1.26), et surtout « cultiver » et « garder » (Gn 2.5b, Gn 2.15). Le travail humain consiste à garder la terre et la faire fructifier, comme un jardinier prend soin de son jardin et en vit. Dieu nous appelle donc à l’activité, à la créativité pour le bien commun. Il nous appelle à exprimer nos talents, en respectant les autres et en l’honorant. Le travail procure ainsi aux humains de la satisfaction et de la joie (Ec 2.24, Ec 3.22). Le travail n’est donc pas une conséquence de la « chute » de Ge 3.

Le livre des Proverbes se moque savoureusement du « paresseux(3) ». « Un homme travailleur possède un trésor. » (12.27).

Dans ses épîtres, Paul exhorte les chrétiens : « se donner de la peine à travailler honnêtement de ses propres mains » (Ep 4.28), à « mettre un point d'honneur à vivre en paix, à vous occuper de vos propres affaires et à travailler de vos mains… » (1Th 4.11,12). Et il critique vertement les pique-assiette (2Th 3.7-12) !

La condition des salariés

De Moïse à Jacques, la Bible prend la défense des salariés. « Tu n'opprimeras pas le salarié pauvre ou déshérité […] Tu lui donneras le salaire de sa journée avant le coucher du soleil ; car il est pauvre, et il lui tarde de le recevoir… » (Dt 24.14-15). Jérémie, avec d’autres prophètes, dénonce ces injustices : « Quel malheur pour celui […] qui fait travailler son prochain pour rien(4) ! » L’apôtre Jacques le fait à son tour, avec virulence : « Il crie, le salaire dont vous avez frustré les ouvriers… » (Jc 5.1-6).

Le syndicalisme a donc des racines bibliques. Si les syndicats sont aujourd’hui plutôt anticléricaux, c’est sans doute parce que l’Église catholique s’est longtemps rangée du côté du pouvoir politique et économique. Cependant, la lutte contre les injustices, aujourd’hui encore, fait partie intégrante de l’éthique chrétienne. Jésus a bien dit : « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés. » (Mt 5.6).

Le repos fait partie des droits des salariés. Dieu lui-même s’est « reposé », après le sixième jour de création (Ge 2.2) ! Le terme « sabbat » vient du verbe « cesser » (de travailler). Sans faire du dimanche un sabbat chrétien, on peut parler de la légitimité du principe du repos.

La pénibilité est évoquée dès le récit de la « chute » (Ge 3) : c’est à la « sueur de son front » que l’homme gagnera son pain (v. 19). Quant aux risques professionnels, il faut lire l’Ecclésiaste (10.8-10) ! Pour comprendre la condition salariale, on ne peut en effet pas ignorer les fatigues physiques et psychologiques, le stress, les horaires, les trajets, les risques d’accident, de maladie, etc.

L’appât du gain ou la solidarité ?

Dans le travail, tout n’est pas que rentabilité et profit. Bien avant le capitalisme, les prophètes bibliques avaient dénoncé l’appât du gain aux dépens des pauvres : « Quel malheur […] Ils convoitent des champs et ils s'en emparent, des maisons, et ils s'en saisissent ; ils oppriment le citoyen et sa maison, l'homme et son patrimoine(5) ! » Jésus enfoncera le clou : « On ne peut être esclave de Dieu et de l’argent. » (Mt 6.24).

L’avidité n’est pas la recherche du bénéfice(6). La première se fait au détriment du pauvre. La seconde en sa faveur ? Les lois agricoles du Lévitique laissaient ainsi une part des récoltes aux pauvres (Lé 19.10). Et si Paul exhorte les chrétiens d’Éphèse à travailler, c’est pour qu’ils aient « de quoi donner à celui qui est dans le besoin » (Ep 4.28). Le principe de la sécurité sociale et de la retraite par répartition fait écho à ces consignes bibliques.

Des valeurs encore actuelles

Le respect des « autorités » (Rm 13.1-7) donne une impulsion de respect de la hiérarchie dans le cadre professionnel. Il faut citer les textes sur les esclaves avec une grande prudence (Ep 6.5-8 ; Col3.22-25), tant le salariat est d’une nature différente de l’esclavage.

La Bible condamne le vol (Lé 19.11, Ep 4.28, …), la fraude (Pr 20.23), la vénalité (Pr 15.27), le mensonge (Pr 12.17). Aujourd’hui, dans la même veine, on prône la conscience professionnelle, l’amour du travail bien fait, le respect des consignes et des réglementations, et l’honnêteté.

Pas de réponses toutes faites

Le sujet du travail reste complexe et je ne prétends pas l’avoir épuisé en deux pages. Mon but est que, dans cette complexité, un salarié, un employeur, un syndicaliste, un artisan, un cadre, et j’en passe, ait un peu de quoi réfléchir à ce qu’en dit la Bible.


(1) Ce paragraphe et le suivant : Flora Baumlin, Romain Bendavid, « Je t’aime, moi non plus : les ambivalences du nouveau rapport au travail », janvier 2023, fondation Jean Jaurès (jean-jaures.org).

(2) Voir Robert Sommerville, L’éthique du travail, Sator, 1989 et Pierre Chevalier, Vivre sa foi au travail, BOD, 2021.

(3) Pr 6.6 ; 10.4,26 ; 12.24,27 ; etc.

(4) Jé 22.13, voir aussi v.3,17 ; Es 10.2 ; Ml 3.5.

(5) Mi 2.1,2. Voir aussi Es 5.8.

(6) Comme celui de la maîtresse de maison de Pr 31.18.

Article paru dans :

avril 2023

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Association baptiste

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