Au temps de Jésus
Il est surprenant qu’un tel ouvrage n’ait pas été écrit plus tôt mais, avec Au temps de Jésus de Michaël Girardin, voilà un vide comblé. Preuve en est : le livre, paru au printemps 2022, figure depuis la rentrée suivante dans une sélection de lectures recommandées aux étudiants de la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine et de l’Institut biblique de Nogent-sur-Marne. Ce jeune et talentueux historien, déjà doyen de l’Université du Littoral-Côte d’Opale, qui fut pendant quelques années membre de l’Église de Paris-Centre, ne se contente pas d’enseigner sa matière (l’histoire antique) mais nous fait profiter de ses connaissances, pour notre plus grand bonheur. Qui de nous, en effet, ne s’est pas perdu dans les méandres de l’histoire intertestamentaire, dans les titres des dignitaires romains, dans les différentes tendances du judaïsme existant au temps de Jésus ? Michaël Girardin s’est attelé à la tâche de nous éclairer et y réussit avec brio.
L’ouvrage, abondamment illustré, est volumineux (cinq-cent-cinquante-cinq pages) et érudit. Que le lecteur ne s’effraye pas ! Il est parfaitement abordable et d’une organisation très judicieuse. On peut le lire d’une traite (au risque, certes, de rencontrer des redites) ou l’utiliser comme un manuel auquel se référer pour vérifier ou approfondir un point. Il est très pratique à consulter. Il se présente plus ou moins comme un dictionnaire avec chaîne de références : chaque fois qu’un nom, un lieu, une notion sont évoqués, il y a un renvoi vers l’entrée correspondante. On peut ainsi se promener dans le livre par « sauts de puce » en allant d’une entrée à l’autre et couvrir un sujet.
Les thèmes abordés sont très variés : depuis les sources historiques et la notion de « Bible » jusqu’au temple et au culte, en passant par un panorama des différents judaïsmes, plusieurs galeries de portraits (empereurs, gouverneurs, grands-prêtres) ou des éléments très fouillés de fiscalité. Un chapitre est consacré à l’histoire proprement dite, depuis la révolte des Maccabées jusqu’à l’année 135, lorsque disparaît la Judée. Cette section est très précieuse, tant cette période semble confuse. D’autres parties sont extrêmement instructives. Ainsi en est-il des entrées concernant le judaïsme du temps de Jésus, loin d’être monolithique. Nous faisons connaissance avec les pharisiens. Notre lecture habituelle des Écritures nous les rend antipathiques. L’auteur montre qu’ils étaient vraisemblablement les plus proches de Jésus et, n’oubliant jamais la Bible, éclaire ainsi certaines paroles du Christ que cette « secte » pouvait sans doute mieux comprendre que nous.
Les problèmes, comme les questions de datation, ne sont jamais évacués. Par exemple, le recensement de Quirinus reste encore une énigme pour les historiens. Michaël Girardin expose les différentes thèses en présence (y compris la critique), réfute en argumentant, propose une solution et admet que dans ce cas, la recherche n’a pas (encore ?) abouti. Il emploie la même méthode pour tous les points « litigieux ». Au fil des pages, à l’occasion de tel ou tel sujet, il montre l’apport et les limites de l’archéologie, ou comment le genre bibliographique a évolué depuis deux mille ans. Il se lance parfois dans des hypothèses (toujours étayées). J’ai beaucoup apprécié celles concernant les deux brigands de la croix et Zachée.
La question des sources est particulièrement intéressante. Pour certaines, l’auteur en explique clairement, et avec une grande pédagogie, les enjeux, ce qui nous permet de remettre nos idées en place. Ainsi, nous n’avons souvent qu’une vague notion de ce que sont les textes deutérocanoniques ou les écrits apocryphes que nous confondons généralement. Michaël Girardin nous les présente brièvement mais avec précision. Il nous fait faire connaissance avec les auteurs antiques comme Flavius Josèphe ou Philon d’Alexandrie. Il expose ce que sont les écrits rabbiniques ou les fameux manuscrits de la Mer Morte.
Michaël Girardin réussit l’exploit de rester rigoureux et scientifique tout en laissant transparaître sa foi. Il ne sacrifie ni sa qualité d’historien ni celle de chrétien. L’ouvrage est très accessible et d’une lecture agréable. Il rendra d’immenses services à tous ceux qui veulent connaître le contexte dans lequel est née la foi chrétienne.
Au temps de Jésus, Michaël Girardin (Excelsis, 2022), 555 p. , 25 €