PAR : Lydia Lehmann
Pasteure, Communauté chrétienne de Stockel (Bruxelles)

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À Bible ouverte
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J’aime les cahiers tout neufs. Ils sentent si bon. J’aime la sensation que me procurent ces pages vierges où il n’y a encore aucune tache, aucune correction, aucun pli. Tant de possibilités… c’est enthousiasmant.

En même temps, la page blanche, je ne l’aime pas tellement. L’inconnu me fait souvent peur. L’angoisse du vide, des défis et des tâches. Face à une nouvelle année, j’ai donc des sentiments ambivalents.

fille qui écrit sur un cahier

Cela m’a amenée à repenser à Jésus et à une étape importante du début de son ministère. Un événement qui a dû le marquer profondément. Peut-être lui aussi a-t-il senti cette ambivalence face à ce nouveau commencement. Je vous invite à (re)lire Matthieu 3.13-17, qui nous rapporte le récit de son baptême.

Humilité mutuelle étonnante

L’humilité dans ce texte est palpable, chez Jean comme chez Jésus. Quand Jésus vient auprès de Jean pour être baptisé, celui-ci s’y oppose : « C'est moi qui devrais être baptisé par toi et c'est toi qui viens à moi ! » Jean a tout compris ou presque. Non, il n’est pas digne de baptiser Jésus. Dans sa logique, cela n’a pas sens : Jésus vit en parfaite intimité avec Dieu son Père, il ne fait jamais de mal à son prochain et ne vit pas d’égarement comme cela nous arrive. Jésus n’a pas besoin de passer par ce baptême de repentance. Et pourtant… il insiste.

En acceptant de baptiser Jésus malgré sa réticence initiale, Jean accepte aussi que la tâche pour laquelle il a été envoyé se termine bientôt : préparer le chemin, préparer les cœurs à la venue de Dieu parmi eux. Mission si belle et importante, mais qui, comme toutes nos missions, a un terme. Jean valorise ainsi le ministère à venir de Jésus qui, à son tour, valorise celui de Jean en demandant le baptême : oui le baptême que Jean pratique, ce baptême pour exprimer la repentance, le désir de se détourner du mal et de retourner vers Dieu a toute sa place dans cette attente de la venue du Messie.

Jésus aussi est humble et s’abaisse pour être baptisé. Richard France écrit : « Jésus désirait ainsi s’identifier au message de Jean et au mouvement de réveil qu’il inspira pour ensuite faire partie du peuple de Dieu. Plutôt que tout besoin de pardon […], c’est cette pensée qui conduisit Jésus au milieu de la foule(1). » Par cet acte du baptême, Jésus veut non seulement approuver le ministère de Jean mais aussi, s’identifier au peuple d’Israël. En descendant dans l’eau du Jourdain, Jésus annonce déjà jusqu’où il est prêt à aller. Plusieurs ont vu dans ce geste une préfiguration de sa mort, Jésus prenant symboliquement sur lui les péchés du peuple déposés au fond de l’eau. En remontant de l’eau, Jésus annonce la vie nouvelle, l’infinie possibilité des nouveaux débuts, sa résurrection.

Personne aidant une personne âgée

Jésus se fait donc baptiser par Jean. Il ne peut pas se baptiser lui-même. La théologienne Marion Muller-Colard écrit : « Manifestement, Jésus a besoin de Jean pour être baptisé(2). » « C’est de mains d’homme que le Christ plongera dans l’eau du baptême(3). » « Devenir homme, pour Dieu, consiste à se laisser plonger dans le fleuve humain par les mains de l’homme. Ensuite Dieu réaffirmera son lien de Père à ce Fils qui ose se risquer au monde(4). » Et nous, osons-nous nous risquer au monde ?

En cette nouvelle année, ayons les yeux, le cœur, les mains ouverts à notre entourage, à ce qui se passe dans notre société, aux souffrances et aux joies. Qu’à la suite du Christ, nous puissions avoir le courage de nous risquer au monde, de nous offrir dans la même vulnérabilité que le Christ.

Comme Jésus avait besoin de Jean pour être baptisé, nous aussi avons besoin les uns des autres pour naître et grandir dans la foi en Dieu. Nous avons ici un merveilleux exemple d’une humilité mutuelle, ingrédient indispensable pour la vie de nos communautés. De belles tâches et missions nous ont été confiées, Dieu nous équipera pour les remplir mais elles ne nous appartiennent pas. Soyons toujours attentifs à ce que Dieu veut écrire sur notre cahier tout neuf ou déjà un peu usé. Soyons attentifs aussi à valoriser le service de l’autre comme Jésus et Jean ont su le faire mutuellement.

Cependant, pour vivre cette humilité nous avons besoin de nous savoir aimés par Dieu.

Amour infini de Dieu

Cet amour infini est l’élément central qui déterminera tout le reste : « Dès que Jésus fut baptisé, il remonta de l'eau. Au même moment les cieux s'ouvrirent pour lui : il vit l'Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et une voix venant des cieux dit : « Celui-ci est mon fils bien-aimé ; en lui je trouve toute ma joie. » (v. 16-17).

Ces mots incroyables sont adressés à Jésus. On y voit un écho au Psaume 2.7 : « Laissez-moi citer le décret du Seigneur : il m’a déclaré : ‘‘C’est toi qui es mon fils’’ » et à Esaïe 42.1 : « Voici mon serviteur, dit le Seigneur, je le tiens par la main, j’ai plaisir à l’avoir choisi. J’ai mis mon Esprit sur lui pour qu’il libère les peuples selon le droit que j’instaure. »

Ces paroles ont certainement donné beaucoup d’assurance et de joie à Jésus pour l’entrée officielle dans son ministère. Devant tout ce qu’il va traverser, les moments de joie et de guérison, les moments de fatigue et d’angoisse, les tentations, tensions et affrontements, il se sait aimé par Dieu. Il sait que le Père trouve sa joie en lui. Il sait que c’est le Père qui l’a envoyé, l’appuyant, le fortifiant. Et il connaît sa mission, annoncée depuis bien longtemps : se risquer au monde pour le libérer.

« Celui-ci est mon fils bien-aimé ; en lui je trouve toute ma joie. » Cette parole est adressée à Jésus mais nous y sommes aussi enveloppés. En plaçant notre confiance en Jésus, nous sommes devenus fils et filles de Dieu. La chose la plus importante à connaître dans cette nouvelle année est l’amour de Dieu pour nous. Peut-être est-ce la première fois que vous l’entendez, peut-être que vous l’avez déjà entendu des milliers de fois. Il y a eu une saison dans ma vie où je me redisais cette phrase très régulièrement, car j’avais besoin de l’ancrer dans mon cœur : tu es mon enfant bien-aimé en qui je trouve toute ma joie. Pour certains et certaines parmi nous il peut être relativement facile de se savoir aimés par Dieu. Pour d’autres cela est plus difficile, comme un chemin escarpé, sans que l’on y soit pour quelque chose. Les uns ne sont pas plus spirituels, ou plus avancés dans la foi que les autres. À nous tous et toutes, une invitation est adressée : entrer davantage dans ce mystère de l’amour de Dieu ! En continuant à le méditer. En nous en approchant dans un respect et un émerveillement tout neufs, comme nous le propose le moine Philémon de Gaza dans un récent livre de Daniel Bourguet :

« Ô mon âme, Dieu vient de parler du haut du ciel, et personne après lui n’a osé prendre la parole. […] Tous ont accueilli la parole de Dieu et n’ont rien osé y ajouter, car cette parole est plus profonde que le grand abîme ; elle emplit le ciel et la terre, et résonne encore aujourd’hui dans toute sa splendeur en te donnant de l’entendre. […] Aucun évangéliste ne s’est permis d’ajouter le moindre commentaire. […] Fais donc silence et laisse cette parole de Dieu remplir ton silence et œuvrer dans ton cœur. […] Dieu lui-même te prend à témoin, ouvrant son cœur devant toi en t’invitant dans son intimité. S’il t’a accordé d’être là, c’est par amour pour toi, dans un débordement d’amour qui rejaillit sur toi et t’enveloppe aussi(5). »

Je fais toute la joie de Dieu. Vous faites toute la joie de Dieu. Ensemble nous faisons toute la joie de Dieu. Il restera toujours quelque chose d’insaisissable pour nous dans ce constat. Quand Dieu nous regarde, il est dans la joie. « Le Seigneur ton Dieu est au milieu de toi : il est fort et il t'assure la victoire, il rayonne de bonheur à cause de toi, son amour te donne une vie nouvelle, il pousse des cris joyeux à ton sujet. » (Sophonie 3.17). Dieu est heureux de notre existence. À sa suite, nous pouvons apprendre à l’être aussi. Nous pouvons l’apprendre dans nos relations les uns avec les autres en nous regardant de cette manière : Dieu est heureux que tu sois là, je suis heureuse que tu sois là.

Embrassades

Encore Marion Muller-Colard : « Devenir homme pour l’homme, c’est aussi se recevoir des autres dans la dimension communautaire du baptême, et se recevoir du Très-Haut en espérant être à l’image du Christ : engendré par Dieu plutôt que par ses propres ambitions(6). » Que dans les mois qui vont suivre, nous puissions jour après jours recevoir notre identité de Dieu et être engendrés par lui plutôt que par nos propres ambitions.

Dans ce baptême de Jésus, les trois personnes en Dieu sont réunies : Jésus le Fils est plongé dans l’eau. Quand il en ressort, il entend la voix du Père, ses paroles d’affirmation et d’amour et l’Esprit saint est témoin de ce dialogue d’intimité, nous guidant dans l’appréciation de cette beauté(7). Oui, nous avons besoin du secours de l’Esprit pour vivre l’humilité, nous savoir aimés par Dieu et puiser notre motivation et notre énergie en lui et non dans nos propres idées et ambitions.

Embrassades

Une chose encore me frappe : Jésus prend le temps de passer par cette étape importante. Son ministère, qu’il commencera très prochainement, sera intense en rencontres, événements, émotions, mais Jésus prend le temps d’y entrer, il ne se précipite pas. Il prend le temps de vivre pleinement ce rite de passage vers son ministère futur. Quels sont nos rites de passage en ce début d’année ? En avons-nous qui nous permettent de remettre consciemment cette année à notre Dieu et de nous rappeler l’essentiel : l’humilité, qui consiste à reconnaître ce besoin que nous avons de Dieu et les uns des autres, et l’amour infini de notre Dieu. Avant de nous lancer corps et âme dans nos différents projets, prenons du temps pour contempler cet amour incroyable qui nous enveloppe aussi, pilier central pour cette nouvelle année.

À nos stylos !

Cahier neuf ou déjà un peu usé ? Peut-être les deux à la fois. Joie d’un recommencement. Des possibles. De la graine qui peut germer.

Je nous souhaite, à chacun et chacune, et ensemble au sein de nos communautés :

Une année d’humilité
de grâce
et d’entraide

Jardin fleuri

Une année pour changer
devenir un petit peu plus
comme Jésus.

Une année où rêver
est permis
encore et encore

Une année
pour se risquer au monde
les mains ouvertes

Une année où nous continuons
à écrire notre histoire ensemble avec le divin Écrivain.
Qui se débrouille pour écrire sur des lignes courbes du cahier de notre vie, dans nos moments de doute, de peur et de joie aussi.

Que votre nouvelle année soit belle !
Empreinte d’humilité et d’amour !
Qu’il en soit ainsi…


  1. R.T. France, L’Évangile selon Matthieu, (Sator, 1987), pp. 79-80

  2. Marion Muller-Colard, Éclats d’Évangile (Bayard, 2020), p. 229

  3. Muller-Colard, p. 73

  4. Muller-Colard, p. 74

  5. Daniel Bourguet (éditeur), Le moine Philémon de Gaza médite l’Évangile de Marc (Olivétan, coll. Veillez et Priez, 2022), pp. 19-20

  6. Muller-Colard, p. 74

  7. Cf. Bourguet, p. 20
Article paru dans :

janvier 2023

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