PAR : Marc Schöni
Pasteur à la retraite, Église évangélique baptiste de Court

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Nos repères
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Depuis un certain nombre d’années, beaucoup de messages circulent dans le monde chrétien, qui se présentent comme des paroles prophétiques. Les nouveaux moyens de communication (internet, messageries) amplifient leur résonance. Qu’en penser ?

À une échelle bien plus modeste, qu’en est-il dans nos Églises ? Dieu nous parle-t-il par des messages prophétiques ? Je crois que la plupart d’entre nous sommes d’accord sur le fait que la prédication peut être prophétique. Cela répond-il entièrement à la question ? Pour cela, il nous faudra, en temps voulu, clarifier le sens des termes « prophète », « prophétie », « prophétiser ». Essayons d’y voir plus clair dans la Bible.

La Bible, un livre prophétique

Une bonne partie de l’Ancien Testament est constituée de livres dits prophétiques, d’où l’expression « la Loi et les Prophètes » pour désigner l’ensemble (Mt 5.17 ; 22.40(1)). Pourtant, il y a mieux : vu à la lumière du Nouveau, tout l’Ancien Testament annonce celui qui sera le Prophète, Jésus Christ (Dt 18.15-20, cité dans Ac 3.22-23). Jésus était prophète, même si cela n’épuise pas son identité ; il a été reconnu comme tel (Mt 21.11,46 ; Lc 7.16 ; Jn 4.19) et il a annoncé sa propre mort comme celle d’un prophète (Lc 13.33).

Ce n’est pas tout. Face à ses adversaires qui voulaient sa mort, Jésus s’est placé au centre d’une lignée qui commençait par les prophètes assassinés de l’Ancienne Alliance et qui allait se poursuivre par d’autres prophètes qu’il allait envoyer (Mt 23.29-34 ; Lc 11.47-49). Jésus, le prophète par excellence, envoie d’autres prophètes après sa résurrection. Pierre, son apôtre, dira même, à la lumière de Joël 3, que la Pentecôte ouvre une nouvelle ère où l’Esprit parle prophétiquement par le biais de tous les disciples de Jésus, hommes et femmes, petits et grands (Ac 2.16-21). Cela nous concerne. À ce stade, il est temps de répondre à la question : de quoi parlons-nous exactement ?

Ministères prophétiques, messages prophétiques : de quoi s’agit-il ?

Le Nouveau Testament semble bien distinguer entre un ministère de prophète qui n’est pas l’apanage de tous et une activité prophétique plus large qui peut être celle de tous les chrétiens.

Femme âgée prophétisant

Le ministère de prophète est bien attesté dans le Nouveau Testament : l’envoi par Jésus des Douze(2) (Mt 10) ; son annonce qu’il enverra des prophètes après sa résurrection (Mt 23.34 ; Lc 11.49) ; les prophètes et prophétesses mentionnés dans les Actes (Ac 11.27 ; 13.1 ; 15.32 ; 21.9,10) ; la place de choix des prophètes dans les listes de ministères chez Paul (1Co 12.28s ; Ep 4.11). Si certains prophètes étaient responsables d’une Église locale (Antioche, Ac 13.1), il s’agit souvent d’un ministère itinérant (Agabus, Ac 11.27 et 21.10 ; Mt 23.34(3)). Le ministère de prophète itinérant est encore attesté au début du IIe siècle, dans l’écrit appelé la Didaché(4).

Au-delà du ministère prophétique reconnu comme tel, vocation de la personne qui l’exerce, l’Esprit prend plaisir à faire d’une multitude de chrétiennes et de chrétiens les canaux occasionnels de ses paroles prophétiques. Confirmant l’accomplissement de Joël 3 attesté par Pierre (Ac 2.16-21), Paul considère comme allant de soi qu’à Corinthe, des hommes et des femmes prophétisent lors des rassemblements de l’Église (1Co 11.4,5). Il désire que « tous » prophétisent à Corinthe (1Co 14.5).

Qu’est-ce que « prophétiser », qu’est-ce qu’une parole prophétique ? Dans toute la Bible, une parole prophétique est une parole que Dieu communique au travers d’un homme ou d’une femme. Elle peut concerner le présent ou l’avenir. Les prédictions du futur ne sont pas absentes du Nouveau Testament (Agabus, Ac 11.27-28 ; 21.10-11), mais, le plus souvent, les paroles prophétiques portent sur le présent. Selon Paul, « celui qui parle en prophète […] construit, il encourage, il réconforte. » (1Co 14.3, NBS). La parole prophétique est aussi parfois liée à une « révélation » (1Co 14.26, voir 14.30). Dans Éphésiens, une toute nouvelle vision du plan de Dieu a été révélée aux « apôtres » et aux « prophètes » (Ep 3.5). Les révélations de cet ordre nous parviennent à présent dans et par le Nouveau Testament. Toutefois, dans 1 Corinthiens 14, Paul semble parler d’une « révélation » d’un autre ordre, se rapportant à une situation particulière, sans aucune portée universelle. Dans les versets 23-25, il envisage le cas où l’Esprit révèle à quelqu’un quelque chose de la vie intime et cachée d’une autre personne présente. C’est une révélation ponctuelle ; il ne s’agit pas de lire dans les têtes(5). Si l’Esprit prend une telle initiative, c’est pour atteindre un but positif dans une situation bien précise.

Ainsi l’Esprit peut, jusqu’à aujourd’hui, susciter des prises de parole diverses qui ont en commun de s’adresser aux humains en situation. Reste la question du discernement.

Un discernement nécessaire

La conviction intime que Dieu a une parole pour ici et maintenant a besoin d’être confirmée par le jugement d’autres chrétiens à l’écoute de Dieu. Paul requiert l’exercice de ce discernement à plusieurs chaque fois qu’un message prophétique a été communiqué (1Co 14.29 ; 1Th 5.19-22). Il ne précise pas quels sont les critères. Pour nous aujourd’hui, la Parole écrite, avec un Nouveau Testament complet, sera un guide et un garde-fou. Elle ne permettra pas forcément d’y voir clair dans tout ce qu’exprime un message prophétique, s’il est question d’une situation difficile à évaluer et que rien, par ailleurs, ne vient contredire l’enseignement doctrinal ou éthique de la Parole biblique. Peut-être alors une démarche comme celle d’Actes 13.1-3 est-elle à recommander.

Au cours des siècles, l’Église s’est méfiée à juste titre des révélations prophétiques transmises aux chrétiens de partout par le biais de l’écrit. Aujourd’hui, les supports de communication se sont multipliés et, avec eux, la transmission de messages qui se veulent prophétiques. Cette prétention à l’universalité rend tout discernement impossible ; un message qui ordonne des choses spécifiques (ne découlant pas directement de la Bible) de la part du Seigneur, sans tenir compte des situations des personnes à qui il s’adresse, ne permet pas la discussion, ni l’écoute commune de Dieu.

Pourtant, que la distance critique ne soit pas notre dernier mot ! Avant d’appeler au discernement, Paul a exhorté : « N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les prophéties » (1Th 5.19-20, Seg21). Si l’Église de Jésus Christ est appelée à exercer un sain esprit critique, c’est sur fond d’ouverture à ce que l’Esprit veut lui dire dans chaque situation.


(1) Dans le canon hébraïque que connaissait Jésus, « les Prophètes » englobaient également les livres historiques de Josué aux Rois.

(2) Appelés « apôtres » en Mt 10.2 et qualifiés de prophètes en Mt 10.40-41 : les deux ministères pouvaient être exercés par la même personne.

(3) Dans le prolongement de Mt 10.41, il est probable que Jésus annonce l’envoi de prophètes itinérants en Mt 23.34.

(4) Didaché 11.7–13.6.

(5) Surtout si la révélation est anonyme, l’Esprit ne révélant pas de qui il s’agit. Cependant, même autrement, la Bible n’atteste pas, en-dehors de Jésus, d’un être humain qui ait été capable de lire systématiquement dans les têtes (même Élisée, qui pourrait nous donner l’impression d’être un voyant extra-lucide, avoue que Dieu ne lui a pas révélé ce qui a provoqué la détresse de la Sunamite, 2 R 4.27).

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octobre 2023

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