La ville du Roi-Serviteur
Peuplée, restaurée, glorieuse
J’aime Paris ! Je l’aime pour son histoire et pour sa beauté. Pour sa vie, sa culture et ses rencontres. Pour son génie, son énergie et sa créativité. En si peu d’espace, elle nous offre un extrait de l’humanité dans toute sa richesse et sa diversité !
Et en même temps Paris est aussi bruyante, épuisante, étouffante, violente, arrogante, injuste… Autant de raisons qui conduisent es habitants à rêver « d’ailleurs » : soit en fuyant régulièrement dans une résidence secondaire, au vert et au calme, soit en la quittant définitivement.
Peut-être diriez-vous la même chose de votre ville ou du « lieu » dans lequel vous vous sentez bien et où vous aimez revenir. Tout dépend des critères de chacun et de nos expériences personnelles.
En fait, cette petite réflexion touche à un questionnement bien plus profond, concernant des hommes et des femmes, descendants d’une humanité errante et nomade, qui aspirent à trouver LE lieu pour lequel ils ont été faits : LE lieu du vrai repos, où chacun pourrait enfin dire : « Je suis à la maison. »
La somme considérable d’énergie, de temps et d’argent que nous consacrons aux biens immobiliers, à l’ameublement et au confort matériel n’est-elle pas le signe de cette quête humaine du « lieu » idéal ? « Ikea, Maisons du monde, Zara Home, H&M Home… : toi aussi, aménage ton petit coin de paradis ! »
Le seul à n’être pas surpris par cette aspiration profonde, c’est le Dieu de la Bible, notre Créateur. S’il est réellement le fondement de notre être, la source et le soutien de toute vie, alors vivre loin de lui, c’est forcément se condamner à errer… Et inversement, trouver le « lieu » pour lequel nous sommes faits, c’est forcément trouver le « lieu » où il habite !
On entend déjà ces voix autour de nous – et peut-être en nous ? – qui s’élèvent pour dire : « Attendre une telle réalité, celle d’un monde qu’on ne touche pas avec un Dieu qu’on ne voit pas, n’est-ce pas fou et stupide ? N’est-ce pas passer à côté de la vraie vie ? » Reconnaissons-le, la tentation est forte de bâtir et d’investir pour ici et maintenant, en reléguant cette perspective lointaine aux cantiques du dimanche matin !
Le chapitre 54 d’Esaïe lève un pan du voile sur le lieu où Dieu demeure. Il nous aide à voir sa beauté unique et renouvelle notre amour pour elle. Je dis « elle », parce que cette réalité, c’est la ville de Dieu : Sion, la Jérusalem renouvelée : la destination que Dieu offre à quiconque place sa confiance en Jésus-Christ son Fils.
Car c’est bien du Seigneur Jésus dont il est question dans le contexte : Esaïe vient d’annoncer sa venue sous les traits d’un serviteur fidèle à l’Éternel, qui offre sa justice parfaite et meurt pour le péché de son peuple. C’est la consolation de toutes les consolations, celle que Dieu avait annoncée à Jérusalem dès le chapitre 40 : « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu ! Parlez au cœur de Jérusalem et criez-lui que son combat est terminé, qu’elle est graciée de sa faute ! »
Et à ce stade-là de sa prophétie, Ésaïe nous permet de mesurer les effets du sacrifice parfait du Roi-Serviteur sur la ville de Dieu : une ville peuplée, restaurée, glorieuse !
Une ville peuplée
Tout d’abord, cette ville est peuplée ! A priori, la précision peut paraître étrange, mais le contexte nous aide à comprendre : Jérusalem y est présentée comme jugée, dévastée, vidée de ses habitants – tous morts ou en exil – à cause de leur péché, de leur rejet de Dieu. La ville bruyante, épuisante, étouffante, violente, arrogante, injuste contre Dieu ; la ville chérie de Dieu, qu’il s’était choisie pour y demeurer, qui ne voulait plus de Dieu. Dans la Bible, l’image de « l’adultère-prostitution » illustre l’horreur de cette infidélité (voir par exemple Lm 1 ; Ez 16 ; Os 1-2…).
Tout comme Jérusalem, nous sommes aussi coupables d’idolâtrie envers Dieu. Si facilement, nous cherchons ailleurs qu’en lui ce que lui seul peut nous donner. Si facilement, nous voulons profiter des bienfaits qu’il nous accorde dans sa générosité pour en user comme bon nous semble. Au lieu de l’avoir, lui, pour centre, nous nous plaçons nous-mêmes au centre : mes besoins avant tout, le reste ensuite ! Quotidiennement, nous sommes pris en flagrant délit d’adultère avec d’autres dieux.
Comme le rappellent nos liturgies à la suite d’Ésaïe 6, Dieu est « saint, saint, saint » : qui peut subsister un seul instant dans sa présence ? Qui mérite d’habiter avec lui ? Si l’on prend au sérieux sa sainteté et notre souillure, la conclusion s’impose : personne !
Et pourtant, regardez ce qu’Ésaïe annonce : « Triomphe, stérile, toi qui n'as pas enfanté ! Éclate en cris de triomphe et jubile, toi qui n'as pas connu les douleurs […] Élargis l'espace de ta tente ; qu'on déploie les toiles de tes demeures : ne les ménage pas […] Car tu te répandras à droite et à gauche ; ta descendance prendra possession des nations et peuplera des villes désolées. » (Es 54.1-3).
Dans cette ville, Dieu désire demeurer avec des hommes et des femmes issus de l’humanité rebelle, qui erre loin de lui dans son adultère et son idolâtrie. Comment est-ce possible ? La suite répond à cette question.
Une ville restaurée
Après le sacrifice du Roi-Serviteur, si la ville de Dieu peut être peuplée, c’est parce que chacun de ses habitants a été pardonné, restauré dans une relation parfaite avec Dieu !
Que jamais l’on ne se lasse de cela ! Que jamais l’on ne se mette à considérer le pardon de Dieu comme normal et mérité : c’est le contraire du cours naturel des choses ! On se croirait plutôt en train de rêver.
Par la bouche d’Ésaïe, Dieu vient au secours de nos doutes et de notre faiblesse : il proclame à nos cœurs pourquoi notre espérance est à toute épreuve.
D’abord, notre espérance est solide parce qu’elle repose sur la relation exclusive de Dieu avec son peuple — une relation si bien établie que même le péché insupportable de l’adultère n’a pas réussi à la défaire : « Sois sans crainte, car tu ne seras pas honteuse ; ne sois pas confuse, car tu ne seras pas déshonorée […] Car celui qui t'a faite est ton époux : l'Éternel des armées est son nom et ton rédempteur est le Saint d'Israël. Il se nomme Dieu de toute la terre […] Un court instant, je t'avais abandonnée, mais avec une grande compassion, je te recueillerai ; dans un débordement d'indignation, je t'avais un instant dérobé ma face, mais avec un amour éternel j'aurai compassion de toi, dit ton rédempteur, l'Éternel. » (Es 54.4-8).
Ensuite, notre espérance est solide parce qu’elle repose sur l’engagement éternel de Dieu en faveur de son peuple : « Quand bien même les montagnes s'ébranleraient, quand bien même les collines chancelleraient, ma bienveillance pour toi ne sera pas ébranlée, et mon alliance de paix ne chancellera pas, dit l'Éternel, qui a compassion de toi. » (v. 9-10).
Quelle garantie nous faut-il de plus ?
Que sa ville soit peuplée, c’est ce que Dieu avait en vue en offrant son Messie, le « Roi-Serviteur » : « Après s'être livré en sacrifice de culpabilité, il verra une descendance et prolongera ses jours, et la volonté de l'Éternel s'effectuera par lui. » (Es 53.10). Quiconque place sa foi en Jésus, le Roi-Serviteur, pour recevoir de Dieu le pardon, a l’assurance d’être de cette « descendance nombreuse » : citoyen de la Nouvelle Jérusalem restaurée !
Une ville glorieuse
Pour finir de nous rassurer, la fin du chapitre lève un pan du voile sur la perspective finale. De ce côté-ci du sacrifice parfait du Roi-Serviteur, la ville de Dieu sera peuplée, restaurée… et glorieuse !
Imaginons ce qu’un époux, profondément épris de son épouse, serait prêt à faire pour la combler de signes tangibles de son amour. Quelles paroles, quels actes, quelles attitudes aurait-il pour le lui dire ? De quelles richesses la couvrirait-il ?
Voici la réponse de Dieu : il ornera sa ville-épouse de toute sa gloire et de toute sa beauté : « Voici : je garnirai tes pierres de stuc, et je te donnerai des fondements de saphir ; je ferai tes créneaux de rubis, tes portes d'escarboucles et toute ton enceinte de pierres précieuses. » (v. 12) ; ensuite, il la maintiendra dans une relation constante et parfaite avec lui : « Tous tes fils seront disciples de l'Éternel, et grande sera la prospérité de tes fils. » (v. 13) ; enfin, il la protégera définitivement de toute menace : « Tu seras affermie par la justice […] Tout instrument de guerre fabriqué contre toi sera sans effet ; et toute langue qui s'élèvera en justice contre toi, tu la convaincras de méchanceté. Tel est l'héritage des serviteurs de l'Éternel, telle est la justice qui leur vient de moi – Oracle de l'Éternel. » (v. 14-17).
Imaginez l’effet sur « l’Épouse », au moment d’entendre l’Époux s’engager ainsi, tout donner et se donner, pour lui offrir tout cela !
Il existe une ville parfaite, toute prête pour accueillir en son sein la nouvelle humanité que l’Éternel est en train de recueillir, pardonnée et restaurée dans une relation parfaite et éternelle avec lui, grâce au sacrifice ultime de son Roi-Serviteur. En son sein, l’humanité nouvelle chantera pour toujours la gloire du Dieu qui l’a aimée et sauvée, et unie à lui pour toujours. Là, elle éclora dans une potentialité constamment renouvelée par sa relation vivifiante avec son Dieu ; là, sa beauté, sa richesse, sa culture, son génie, sa créativité connaîtront leur expression pleine et entière – toujours vivante, toujours nouvelle, toujours belle aux yeux de Dieu, constamment orientée vers un amour exclusif, à sa louange éternelle, à la gloire de sa grâce infinie. Tout y sera harmonie, unité, paix, joie, justice. Pas de frustration, ni de souffrance, ni de cris ni de pleurs. Plus aucune révolte, ni plus aucun mal – aucun péché, plus de mort !
Le voici, LE « lieu » pour lequel nous avons été créés et vers lequel convergent toutes nos aspirations de confort et de repos ! Notre errance y prendra fin ; nos insatisfactions y seront apaisées ; notre mal-être y trouvera sa paix ! Enfin nous pourrons dire, définitivement : « J suis à la maison ! »
C’est la Jérusalem Nouvelle dont Dieu prépare la venue : si large et si peuplée, tellement à la mesure de sa bonté et de sa grâce abondantes, qu’elle remplira toute la terre. Quelle grâce ! Quelle beauté ! Qu’elle vienne bientôt, cette ville ! Et que vienne le Jour béni des noces de l’Agneau, le Roi-Serviteur, et de son Épouse, son peuple, sa ville bien-aimée !
Et en attendant ?
N’en déplaise aux sceptiques, loin de nous laisser comme suspendus entre ciel et terre sur un petit nuage irréel et utopique, la seule véritable réalité, certaine et glorieuse, n’est pas celle de ce monde, car celle-ci passe. Seule la ville éternelle demeure, celle qui doit encore venir ! Si bien que ne pas l’attendre, ne pas bâtir notre vie en fonction de sa venue, c’est de la folie : c’est passer à côté de la vraie vie.
Et cette perspective glorieuse impacte directement notre rapport à cette réalité-ci, dans notre manière de considérer le monde actuel, nos villes, ces « lieux » où nous faisons étape quelque temps.
Notre amour pour la véritable « Ville éternelle » renouvelle notre amour pour la ville présente. Elle nous donne la liberté d’apprécier à sa juste valeur sa beauté dans ses divers aspects, comme des signes tangibles et magnifiques de la grâce commune. Si, dans sa bonté, Dieu a décidé d’offrir à nos villes quelque chose de la beauté originelle de l’humanité, c’est pour faire d’elles à la fois un écho lointain d’Éden et un avant-goût imparfait du Ciel.
Ensuite, notre connaissance croissante de la Ville parfaite affûte notre lucidité sur les limites de la ville imparfaite. Que Paris est belle… Mais que sa gloire est passagère ! Avant elle, combien de villes glorieuses, produits des civilisations passées, se sont laissées griser par leur propre rayonnement au point de se vouloir éternelles !
Comme au Jour de Babel (Gn 11), Dieu descend régulièrement dans l’histoire pour voir ce que produit l’orgueil arrogant d’une humanité qui veut s’élever sans lui et contre lui. Il renverse et humilie ces villes qui prétendent devenir, à la place de la Ville Définitive, le centre du monde. Ainsi, plus notre regard est tourné vers la beauté de la ville pardonnée, plus nos yeux s’ouvrent sur l’injustice et le mal qui avilissent les villes les plus belles : bruyantes, épuisantes, étouffantes, violentes, arrogantes et injustes parce qu’elles se bâtissent sans Dieu et demeurent donc esclaves du mal et de la mort !
Enfin, notre conscience d’avoir reçu de Dieu le droit unique d’être citoyens pour toujours de sa Ville nourrit notre amour passionné pour les habitants de nos villes : nos voisins, nos collègues, nos familles… les passants, nos amis, nos ennemis… Que beaucoup bénéficient de l’œuvre parfaite du Roi-Serviteur et deviennent, eux aussi, citoyens de la Ville éternelle !
Ce n’est pas un hasard si, après nous avoir dépeint le sacrifice du Roi-Serviteur, puis sa victoire, puis la ville prête pour recevoir en son sein le peuple nombreux, Ésaïe nous rapporte l’appel bouleversant de Dieu qui court dans chaque rue et chaque recoin de chacune de nos villes et dit, par la bouche de ses messagers : « Ô vous tous qui avez soif, venez vers les eaux, même celui qui n'a point d'argent ! Venez, achetez et mangez, venez, achetez du vin et du lait, sans argent, sans rien payer ! » (Es 55.1) – « venez ! écoutez ! croyez ! entrez ! vivez ! »