Vers la maison du Père
Une destination et un itinéraire. Au cours de son dernier repas avec eux, c’est ce que Jésus offre à ses disciples. Il le fait à un moment où ces derniers ont besoin par-dessus tout de savoir où Jésus va, et où eux-mêmes se dirigent.
Pour reprendre le langage de Jésus lui-même, son heure est arrivée. Depuis des mois, il annonce à ses disciples que lui, le Messie envoyé par Dieu, ne s’avance pas vers un triomphe politique ou religieux, mais vers la mort. Une mort par laquelle Jésus va subir le jugement de Dieu contre l’homme pécheur... à la place de l’homme pécheur.
[ Dans votre Bible : Jean 14.1-14 ]
On imagine que l’ambiance devait être lourde. Si on essaye, ne serait-ce qu’un instant, de se mettre à la place de Jésus, on peut à peine imaginer ce qu’il a dû ressentir. Il sait qu’en l’espace de quelques heures, il va être trahi par l’un de ses disciples, abandonné par la plupart des autres, arrêté, traduit en justice, torturé et publiquement exécuté. Pire encore, Jésus sait qu’il s’apprête à subir de plein fouet le jugement juste et saint de Dieu contre le mal, ce mal auquel tous les hommes, sauf lui, ont contribué à leur manière. Il avait de quoi être angoissé.
Et pourtant, au début de notre texte, c’est lui qui réconforte ses disciples ! Il va les réconforter en les rassurant sur sa destination et la leur. Au verset 5, le disciple Thomas pose une question : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas ; comment en saurions-nous le chemin ? » C’est essentiellement à cette question que Jésus réagit ici. Nous allons nous intéresser aux deux aspects de sa réponse.
La maison du Père
Dans les derniers versets du chapitre 13, Jésus évoque son départ vers une destination encore mystérieuse pour les disciples. Il dit à Pierre au verset 36 : « Là où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant ; tu me suivras plus tard. » On pourrait penser que Jésus évoque ici sa mort. Il va vers la mort, et Pierre ira un jour vers la mort. Cependant, si on regarde plus attentivement le texte, il est clair que la mort n’est pas la destination de Jésus, même s’il va passer par cette étape.
Quelle est donc cette destination ? Le verset 2 nous donne la réponse : « Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père. Sinon, vous aurais-je dit que je vais vous préparer une place ? Si donc je m’en vais vous préparer une place, je reviendrai vous prendre auprès de moi… »
Jésus se rend vers la Maison du Père. Il n’y va pas pour se retirer, pour « prendre sa retraite ». L’Évangile affirme que tout en étant auprès du Père, Jésus restera pleinement engagé dans la vie de ses disciples. Il précise aussi qu’il va leur préparer une place. Quelle est donc cette « Maison du Père » dont Jésus parle ?
La suite du texte le montre clairement. Au verset 6, à Thomas qui lui demande où il va et dit qu’il n’en connaît pas le chemin, Jésus répond qu’il est, lui, le chemin vers le Père. Le verset 12 ne laisse aucun doute : « Je vais vers le Père. » Pour Jésus, aller dans la maison du Père, c’est aller auprès du Père. C’est une manière de parler de la présence même de Dieu. L’image de la maison communique l’idée d’une appartenance, d’un « chez-soi » à part entière. Être dans la maison du Père, c’est être « chez soi » auprès de Dieu. Le verset 2 l’exprime bien : « Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père. » On pourrait aussi parler de « chambres ».
Quand je vais chez mes parents avec ma petite famille, ils nous disent souvent que tout est prêt pour notre arrivée. « On a préparé la chambre pour vous ! On a installé le lit pour la petite ! » C’est agréable de savoir que nous sommes attendus, que notre venue sera un sujet de joie, qu’on nous prépare une place. Pourtant, ici, Jésus n’évoque pas simplement un séjour temporaire mais bien une résidence éternelle auprès de Dieu.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, Jésus ne vise pas ici un simple au-delà spirituel, une sorte de repos de l’âme. Les gens, y compris beaucoup de chrétiens, ont souvent cette vision de la vie éternelle. La Bible n’enseigne pas cela mais parle d’une vie concrète et tangible. C’est la vie dans toute sa force. Un peu plus tôt, au chapitre 10 de cet évangile, à propos de ses disciples, Jésus a déclaré : « Je suis venu pour qu’ils aient la vie, et la vie en abondance. » Il a eu aussi cette autre parole : « La volonté de mon Père, […] c’est que quiconque voit le Fils et met sa foi en lui ait la vie éternelle ; et moi, je le relèverai au dernier jour » (Jn 6.40). Jésus ne promet pas un retrait de la réalité. Il promet au contraire de nous relever, de nous faire goûter à une réalité nouvelle, dans un monde nouveau où la présence de Dieu sera vécue dans sa plénitude. D’autres textes bibliques, d’ailleurs, parlent d’une nouvelle terre, d’un renouvellement de toutes choses (voir par exemple Ap 21.1ss).
Au fond de lui, l’homme cherche son chez-soi. Il veut rentrer à la maison. Nos vies entières sont faites de tentatives de nous sentir chez nous. Chez nous dans un pays, chez nous dans une famille, chez nous dans un métier, chez nous dans un ensemble de valeurs… Certes, nous pouvons trouver dans toutes ces choses des « bouts de chez nous ». Mais qui parmi nous pourrait prétendre que ses aspirations les plus profondes ont été comblées ? C.S. Lewis écrivait : « Si je trouve en moi-même des désirs que rien dans ce monde ne peut satisfaire, l’explication la plus logique est que j’ai été créé pour un autre monde(1). »
La destination que Jésus nous révèle est cet autre monde dont nous rêvons, non parce que nous avons besoin de nous raconter des histoires et de nous consoler de ce monde décevant, mais parce que nous ressentons au plus profond de nous que c’est pour cela que nous avons été créés. Si, précisément, nous faisons constamment face à la « déception » et à la vanité de ce monde, c’est parce qu’au fond de nous, nous ressentons que nous avons été créés pour autre chose. Or Dieu nous y invite. Il y a de la place pour tout le monde dans la maison du Père.
Itinéraire : Jésus
Au verset 4, Jésus dit que les disciples connaissent le chemin pour se rendre à la maison du Père, et là, Thomas l’interrompt pour dire (je paraphrase un peu) : « Euh, en fait on ne connaît pas vraiment le chemin, d’ailleurs on ne sait même pas où tu vas. » Et là Jésus répond (je paraphrase de nouveau) : « Le chemin, Thomas, tu le connais, parce que le chemin, c’est moi. » Mais Jésus va plus loin encore au verset 7 : « Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Et, dès maintenant, vous le connaissez et vous l’avez vu ».
Selon Jésus, il existe entre le Père et le Fils une relation si intime et immédiate que, si on connaît le Fils, on connaît le Père. Ils ont la même nature, les mêmes attributs, les mêmes intentions, le même projet, la même vie intérieure. Nous sommes là en plein mystère. Pourtant, c’est ce que Jésus affirme. Philippe, un autre disciple, intervient alors. Il n’a manifestement pas tout compris : « Montre-nous le Père, et cela nous suffit. » (v. 8). Jésus s’explique alors pleinement : le voir lui, c’est comme voir le Père ! Les versets 9 et 10 le disent : « Celui qui m’a vu a vu le Père. […] Je suis dans le Père et le Père est en moi. »
Impossible d’éviter la force étourdissante de ce que Jésus affirme ici. Le Dieu Créateur de l’univers s’est fait connaître par Jésus. Tout ce que le Fils fait, le Père y est pleinement associé. Dans le Fils, dans cet homme, le Dieu éternel se révèle, non pas en partie mais dans sa plénitude. À la limite, quand Jésus dit « le Père est en moi », on pourrait le comprendre comme une façon de dire que Jésus est simplement rempli de l’influence du Père. Mais quand Jésus dit « Je suis dans le Père », on ne peut pas comprendre cela autrement qu’une relation divine, éternelle, inextricable, entre Père et Fils. Dieu n’est pas sans le Fils. Depuis toujours, le Fils est Dieu. Jean nous l’a annoncé dès le début de son évangile : « Personne n’a jamais vu Dieu ; Dieu le Fils unique, qui est dans l’intimité du Père, est celui qui l’a fait connaître » (Jn 1.18).
Lors de ce dernier repas, les disciples sont à table avec Dieu. Or, quelques minutes plus tôt, Dieu s’est abaissé pour leur laver les pieds, pour se faire leur serviteur. Puis Dieu annonce qu’il va donner sa vie pour eux. Quand on saisit bien ces paroles de Jésus, on comprend à quel point il est impossible de dire que Jésus offre un chemin parmi d’autres vers Dieu. Jésus n’est pas un prophète venu nous parler de Dieu. Il est venu pour révéler Dieu en lui-même. En envoyant Jésus, c’est comme si Dieu disait aux hommes : « Vous voulez me trouver ? Vous voulez me connaître ? J’ai un nom à vous donner, et un seul : Jésus ! ».
C’est donc par une logique implacable, et magnifique en même temps, que Jésus répond à Thomas que ce chemin qu’il cherche, c’est Lui ! Jésus ne nous montre pas un chemin, il est le chemin ! Il est le chemin parce que c’est en plaçant sa foi en lui, en vivant avec lui, que l’homme retrouve Dieu et peut avoir l’assurance d’un avenir éternel dans sa présence.
Ayons conscience de ces affirmations exclusives de Jésus ! Il est difficile d’entendre dans notre culture contemporaine que Jésus est le seul chemin vers Dieu, et que nul ne peut venir au Père sinon par lui. Pourtant on ne peut pas sélectionner ce qu’on aime chez Jésus et rejeter ce qu’on n’aime pas. Pour Jésus, c’est tout ou rien. Écoutons ce qu’il déclare : « Celui qui met sa foi dans le Fils a la vie éternelle ; celui qui refuse d’obéir au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui. » (Jn 3.36).
Si Jésus affirme que sans lui l’homme s’expose à la colère de Dieu, c’est précisément parce qu’il est venu subir cette colère à notre place. Ce même Jésus qui affirme qu’il est le chemin, la vérité et la vie, est celui qui a revêtu les vêtements d’un serviteur et a lavé les pieds de ses disciples. C’est celui qui ira jusqu’à la torture, l’humiliation et l’exécution publique par amour pour nous.
Une vérité qui engage
Lisons ou relisons les évangiles, et posons-nous cette question : si Jésus est vraiment le chemin, la vérité et la vie, comment cela doit-il changer ma vie ? Jésus, en disant à ses disciples qu’il est « le chemin, la vérité et la vie », ne les invite pas à utiliser cette affirmation comme un slogan par lequel ils pourront écraser ceux qui pensent autrement. Il les appelle à vivre eux-mêmes une vie radicalement nouvelle par laquelle ils s’efforcent de refléter sa manière de vivre. Une vie marquée par l’humilité, le don de soi et l’amour.
Il est très important d’affirmer que Jésus est le chemin, la vérité et la vie, mais il nous faut prendre conscience que dire cela, c’est accepter de suivre Jésus et de vivre comme il nous invite à vivre. Il serait tristement ironique de dire que Jésus est le seul chemin alors que tout dans notre vie montre le contraire.
Cette vérité nous engage donc. Cependant, les versets 12 à 14 nous montrent que nous ne sommes pas seuls. Jésus y affirme qu’en allant auprès du Père, il ne se retire pas de la vie de ses disciples. La manière dont il agira sera encore plus puissante quand il sera retourné auprès du Père. Il fait ici cette promesse extraordinaire : « Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai, pour que le Père soit glorifié dans le Fils. » Ce verset nous met souvent un peu mal à l’aise. Nous savons par expérience que Dieu ne répond pas favorablement à toutes nos requêtes. Alors que peut bien vouloir dire Jésus ? Voici ce qu’écrit à ce propos le théologien britannique N.T. Wright(2): « Il ne s’agit pas, bien sûr, du simple fait d’ajouter les mots "au nom de Jésus" à toutes nos demandes. […] Le "nom" renvoie ici au caractère. Prier au nom de Jésus signifie qu’en apprenant à connaître Jésus, nous sommes introduits dans sa vie, son amour et ses objectifs. Nous commençons alors à voir ce qui doit être fait, ce que nous devrions rechercher […] et les ressources dont nous avons besoin pour y parvenir. […] Une fois que nous avons compris cela, nous ne devrions pas affaiblir cette promesse magnifique. Il l’a dit, et il le fera. » Jésus ne nous promet pas qu’il fera tout ce que nous lui demandons de faire. En revanche, il nous promet
Jésus ne nous promet pas qu’il fera tout ce que nous lui demandons de faire. En revanche, il nous promet que lorsque nous lui demanderons son soutien, son appui, sa présence dans le cadre de la mission qu’il nous confie, il le fera.
Jésus nous invite à mieux le connaître. Si nous lui demandons de nous aider à mieux le connaître, il se révélera.
Jésus nous invite à témoigner de notre foi. Si nous lui demandons de l’aide pour témoigner de notre foi, il nous aidera.
Jésus nous invite à nous aimer les uns les autres. Si nous lui demandons son aide pour nous aimer les uns les autres, il nous aidera.
Jésus nous invite à lui faire confiance. Si nous lui demandons son aide pour lui faire confiance, il nous l’apportera.
Si nous nous tournons vers Jésus pour lui demander les choses les plus essentielles, nous avons la promesse qu’il nous les accordera. Alors ne tardons plus à nous saisir de cette promesse.
Apprenons à mieux connaître Jésus et ses projets pour nous, en méditant les Écritures, en replaçant Jésus, sa personne et son œuvre au centre de notre vie.
Demandons-lui dans nos prières de nous donner les ressources dont nous avons besoin pour vivre cette vie avec lui. Lui qui était mort est ressuscité. Il vit. Ses promesses sont certaines ! ■
Notes :
- C.S. Lewis, Les fondements du christianisme (1952).
- N.T. Wright, John for Everyone (traduction par nos soins).