PAR : Bernard Russo
Membre du conseil de l'Association baptiste, pasteur, Temple protestant évangélique de Carpentras

En vingt-cinq ans de service pastoral, j’ai souvent entendu parler des difficultés que rencontraient certains de mes collègues pasteurs voire, plus triste, de l’interruption de leur ministère. De ceux qui ont été avec moi sur les bancs de l’institut biblique, nous ne sommes que quelques-uns à être encore actifs dans un ministère pastoral, avec l’aide de notre Dieu. Car, c’est bien avec l’aide de Dieu, grâce à lui, que je suis resté dans ce ministère. Nombreuses ont été les fois où j’ai pensé à reprendre un travail séculier. Et je ne suis pas le seul.

[ Dans votre Bible : Hébreux 13.17 ]

En 2012, une étudiante en théologie a soutenu une thèse sur les motifs qui peuvent amener à quitter le ministère pastoral. Cette thèse s’est appuyée sur une enquête de terrain qui montre « que plus de la moitié des pasteurs en exercice en paroisse l’ont envisagé [l’interruption de leur ministère], au moins une fois, certains souvent aux cours des années passées, et que peu ont eu la possibilité ou le courage d’en parler »1.

J’ai souvent réfléchi aux causes de ces abandons et à ce qui pourrait être fait pour y remédier. Nos facultés et instituts ont compris depuis plusieurs années que la préparation des futurs serviteurs passe aussi par une connaissance du ministère sur le terrain et une mise en pratique aux côtés de pasteurs en service. C’est pourquoi des stages dans les Églises sont inclus dans le cursus de formation des étudiants. Il importe que nos Églises comprennent leur responsabilité aux côtés des facultés et instituts pour offrir ces stages où les étudiants sont confrontés au terrain. Mais est-ce la seule chose qu’une Église peut apporter pour faciliter le service pastoral ?

Cœur

Je vous propose de nous arrêter sur quelques facteurs qui, de l’avis de plusieurs, font souvent défaut lorsque les pasteurs sont en difficultés. Que ce soit pour nous un encouragement à avoir des Églises qui ont à cœur ce que l’auteur de l’épître aux Hébreux nous encourage à vivre à l’égard de nos bergers. « Faites en sorte qu’ils (vos conducteurs) puissent le faire (qu’ils puissent veiller sur vos âmes) avec joie et non en gémissant, ce qui ne serait pas à votre avantage » (Hé 13.17b). Pour la plupart des points qui vont être avancés, je m’appuie également sur l’expérience partagée avec mes collègues responsables d’Églises de la commission Églises et ministères de notre Association.

Une Église qui connaît son « ADN »

Le premier point que je veux souligner, c’est qu’un pasteur aura un service plus facile si son Église connaît son identité et ses particularités, son « ADN ». Si une Église n’a pas une idée claire de son identité, de ses habitudes et de ses points de vue au sujet de sa pratique d’Église, alors qu’elle en a bel et bien une, si elle ne sait pas ce qu’elle souhaite vivre dans les années à venir, quels projets elle veut mener à bien, la porte est ouverte à nombre de difficultés. Lorsqu’elle fera appel à un pasteur, certes de qualité, mais qui ne correspond pas à ses particularités et à sa façon de concevoir l’Église, cela risque d’être une cause de problèmes. Au fil du temps, l’identité de cette Église et ses usages, qui n’ont pas été soulignés au départ, se révéleront assurément, et s’ils ne correspondent pas avec la pratique du pasteur, il y aura des tensions. Ainsi, par exemple, si une Église a eu l’habitude d’avoir un pasteur qui est seul à enseigner, à présider les cultes et les rencontres, à visiter les personnes, il est souhaitable qu’elle réfléchisse à qui elle fera appel. Si elle ne veut rien changer et continuer ainsi, il est peu recommandable qu’elle sollicite un pasteur qui conçoit, mordicus, son ministère au sein d’un collège d’anciens avec qui il partagera les responsabilités pastorales. De même, une église qui n’aurait pas reconnu son attachement à certaines de ses traditions opposera certainement bien des résistances à un pasteur qui aurait une conception plus ouverte ou différente de l’Église et voudrait apporter à un moment ou à un autre des changements.

Heureusement, beaucoup de pasteurs ont la joie d’avoir une approche du ministère et de l’Église qui correspond à celle de l’assemblée où ils officient. Sans que celle-ci se soit inquiétée, en faisant appel à eux, de la correspondance entre leurs dons, leurs approches du ministère et les attentes de l’Église, Dieu a bien souvent conduit chacun à sa place. Et je soupçonne que certains collègues rencontreraient des difficultés s’ils étaient dans une Église bien différente que celle où ils sont actuellement.

Cœur

Mais toujours est-il qu’une Église a tout à gagner à connaître son identité telle que la révèlent ses particularités pour savoir ce qu’elle est et ce qu’elle veut. Elle facilitera ainsi le service de son pasteur. Elle pourra alors notamment établir un cahier des charges qui tiendra compte de ses attentes et de sa conception du pasteur, de son ministère et de l’Église.

Une Église qui accepte de progresser

Un autre facteur qui permet un service pastoral heureux est l’ouverture de l’Église à l’idée de changer. Nous avons aujourd’hui des jeunes qui s’engagent à servir notre Dieu et qui ont le désir de voir le Royaume de Dieu avancer. Ils veulent voir grandir les Églises, voir l’œuvre de Dieu se faire dans les cœurs des hommes. Ils ont du dynamisme et aussi parfois un regard différent sur la manière de vivre l’Église. Aussi quand ils prennent la responsabilité pastorale, ils viennent avec leur zèle, leurs conceptions et convictions et… ils bousculent assez souvent les habitudes, les « on a toujours fait comme cela ». Et quand ils ne rencontrent que des freins à ce qu’ils voudraient lancer, à ce qu’ils pensent important pour que l’Église progresse, alors leur ministère peut prendre un chemin de découragement.

Cœur

Bien sûr, ils doivent apprendre la patience et faire avec ceux qui composent l’Église où ils servent. Cependant l’Église doit aussi accepter de se bouger et si cela est nécessaire, de changer. Combien il est heureux de trouver des Églises qui ont en leur sein un pasteur qui a à cœur de faire progresser son église, et qui le suivent, parce qu’elles acceptent de réfléchir avec lui et de changer si nécessaire leur façon de vivre l’Église et d’annoncer l’Évangile pour toucher les hommes et les femmes du XXIe siècle. Si une grande partie des membres de l’Église partage sa vision et s’engage avec lui, la vie de l’Église ne reposera pas que sur le pasteur et cela sera une grande aide et une source d’encouragements pour lui. Dans ce sens, notons que la condition mentionnée par Hébreux 13.17 pour l’exercice harmonieux du ministère est la soumission de l’assemblée à ses conducteurs…

Dans son ouvrage sur la croissance de l’Église, Chris Short souligne qu’une Église en mouvement, avec des projets qui mobilisent, et qui ne tombe pas dans la routine évite bien des problèmes relationnels2

Une Église unie et engagée

Un troisième facteur qui est source de joie dans un ministère pastoral est le fait que le pasteur œuvre dans une Église unie, où règne un esprit de confiance, une assemblée qui veille pour qu’il n’y ait pas d’esprit de clan, pas de lutte pour le pouvoir. Dans sa première Épître, l’apôtre Pierre exhorte les jeunes gens à se soumettre aux anciens, puis il souligne la nécessité de cultiver une humilité dans nos rapports quels qu’ils soient. Il écrit : « Dans vos rapports mutuels, revêtez-vous tous d’humilité, car Dieu résiste aux orgueilleux, mais Il donne sa grâce aux humbles. » (1P 5.5).

Cœur

Aussi, heureux le serviteur de Dieu qui sert une Église unie parce qu’on cultive cette humilité et qu’on se fait confiance. Quand l’assemblée entretient la fraternité et l’amitié, combien il est agréable de servir en son sein. Heureux est le pasteur qui collabore avec un conseil d’Église ou d’anciens unis, où se sont établies des relations de confiance, où l’on se respecte, où l’on s’écoute et sait travailler ensemble dans la complémentarité. Heureux est-il quand il sort de telle ou telle rencontre ou d’une assemblée générale sans qu’il y ait eu d’échanges peu fraternels. Le climat de paix et de confiance dans un conseil de responsables ou dans l’Église facilite grandement le service pastoral. C’est un cadeau inestimable, car il est usant de vivre régulièrement des tensions, des disputes.

Cœur

Une Église qui se soucie de son pasteur

Quatrième facteur qui encourage le pasteur : le souci que l’Église a pour lui. Pendant de longues années, nos Églises ont cultivé l’image d’un pastorat modèle où le serviteur de Dieu doit être un exemple ne laissant pas de place dans sa vie à une quelconque défaillance ou plainte. Il devait assurer et vivre chaque instant avec une foi forte et exemplaire. Cet homme faisait oublier qu’il pouvait lui aussi avoir des besoins, comme celui d’être soutenu et encouragé par ceux dont il est le berger. Dans le passage bien connu du chapitre 12 de l’Épître aux Corinthiens, l’apôtre Paul explique que chaque membre du corps qu’est l’Église est utile pour les autres, chacun pour sa part (v. 7 et 27). Nous avons besoin des uns et des autres, et les autres ont besoin de nous. Cela n’exclut pas les pasteurs. Les membres de nos églises oublient parfois que ces derniers ont aussi besoin d’eux.

Une Église qui valorise son pasteur l’honore, comme l’y encourage l’apôtre Paul dans sa première Épître à Timothée (5.17). Et, bien que nous devions veiller, nous pasteurs, à ne pas chercher des compliments ou de bons retours sur nos interventions, il me semble bon que les membres de l’Église aient à cœur de se faire l’écho de ce que le pasteur fait bien. Un retour d’un frère ou d’une sœur nous encourage dans notre service.

Un de mes collègues m’a confié que ce qui lui a permis de tenir est d’avoir bénéficié d’un conseil d’Église qui a été attentif à ses besoins et qui le soutenait dans la prière. Combien il est bon d’avoir des personnes dans l’Église qui se soucient que leur pasteur vive bien son service, qu’il n’ait pas un emploi du temps constamment surchargé, qu’il ait du temps pour se ressourcer, du temps libre pour lui, pour son épouse et ses enfants. Combien il est bon pour lui de recevoir un mot d’encouragement ou un appel téléphonique quand il est, ou l’un des siens, malade ou éprouvé. Combien il a besoin des prières de ses frères et sœurs. Quand il s’agit aussi des finances, il a besoin de voir qu’il a en face de lui des personnes qui ont de la considération à son égard et envers sa famille. Le pasteur, comme tout homme, a besoin de recevoir une certaine estime de la part de ceux qui l’entourent.

Une Église qui donne un vis-à-vis à son pasteur

Le dernier élément que je voudrais souligner est l’importance que le pasteur ait un vis-à-vis pour lutter contre la solitude. Le pasteur Paul Millemann relève à ce sujet : « Le fait de n’avoir personne à qui se confier, à part éventuellement son conjoint, est une réelle difficulté pour les pasteurs, qui conduit à un isolement, voire un repli sur soi. Le serviteur et son conjoint se sentent parfois très seuls dans le ministère et ils auraient besoin de trouver une oreille neutre et attentive, sans jugement, où la confidentialité est assurée, et où ils peuvent être compris dans leurs difficultés et leurs questionnements »3. De plus en plus d’Églises comprennent qu’il est fondamental pour leur pasteur d’avoir au moins une personne de référence qui le connaît bien ainsi que son Église, avec qui il aura la liberté de tout partager, qu’il pourra consulter en ayant l’assurance de son écoute. De nombreuses personnes sont souvent piégées par la solitude. Quand elles ont vécu une crise les touchant, elles n’ont pas eu au moins un cher frère ou sœur avec qui partager et prier.

Cœur

Pour certains, c’est dans l’Église même où il sert que le pasteur peut avoir un entretien annuel avec un membre du conseil qui a sa confiance pour qu’il puisse lui dire ce qu’il veut en toute confidentialité. Ce type d’entretien permet d’avoir une dynamique de règlements des tensions avant que la situation n’explose. Sous une forme ou une autre, nous devons encourager nos serviteurs à avoir de tels vis-à-vis.

 En conclusion

Pointer la responsabilité de l’Église ne doit pas nous faire oublier que chaque serviteur de Dieu doit veiller sur lui-même ce qui l’aidera à vivre et servir son Dieu selon son appel. Mais en soulignant quelques facteurs qui sont de la responsabilité de l’Église, j’espère nous avoir encouragés à les développer pour que nos pasteurs aient un service plus facile et heureux. Ainsi nous expérimenterons ce que l’auteur de l’épître aux Hébreux nous encourage à vivre à leur égard : « Faites en sorte que vos conducteurs puissent veiller sur vos âmes avec joie et non en gémissant, ce qui ne serait pas à votre avantage. » ■


Notes :

(1) Lucie Bardiau-Huys, « Quitter ou non le ministère ? », Cahiers de l’École Pastorale (N° 90, 2013, disponible en ligne sur www.publicroire.com).

(2) Christophe Short, Décider de grandir (Lognes, Farel, 2015, pp. 107, 114-115).

(3) Paul Millemann, « Gérer les attentes, les défis et le stress dans le ministère pastoral », Cahiers de l’École Pastorale (N° 87, 2013, disponible en ligne sur www.publicroire.com).

Article paru dans :