Stop à l'immigration ?

L’été dernier, les Jeux olympiques ont quelque peu éclipsé une série d’événements frappants qui ont eu lieu dans mon Angleterre natale.
Le 29 juillet 2024, à Southport, près de Liverpool, un jeune de dix-sept ans a tué au couteau trois petites filles, en a blessé huit autres, et deux adultes. Les réseaux sociaux enflammés affirmaient que l’on avait à faire à un immigré illégal musulman. À Southport puis dans d’autres grandes villes, des foules sont descendues dans la rue pour incendier des magasins, briser des portes et des fenêtres, brûler des voitures, et s’attaquer aux mosquées, aux cris de « Stop à l’immigration », « L’Angleterre est à nous » ou encore « Immigrés dehors ». Les émeutes ont duré une semaine.
Or, le jeune assassin n’était pas musulman. Et il n’était pas né à l’étranger. Ses parents étaient rwandais, chrétiens, et impliqués comme lui dans leur Église locale. Mais la colère d’une section de la population a explosé ! Et bien des commentateurs ont relevé que le sentiment anti-immigration en Europe était grandissant.
Brassages et intolérance
Pour beaucoup, le problème était le simple fait de l’immigration elle-même. Pas la haine, le racisme, le refus de la différence de couleur de peau ou de religion. Pas l’idéal d’une Angleterre pure, blanche et chrétienne. Pas le fait que, depuis des années, les Anglais ont été abreuvés de discours anti-européens et xénophobes. Les malheurs de l’Angleterre seraient la faute à Bruxelles, aux Bulgares et Lituaniens, aux musulmans, aux hindous. Sans eux tout irait bien.
En France, on a pu dire la même chose des Juifs, des Italiens ou encore des Polonais. Du temps de Louis XIV, si vous étiez protestant, on aurait dit cela de vous. Vous étiez une menace pour le roi, pour la loi, pour la vraie foi. Les exemples ne manqueraient pas pour montrer que l’intolérance fait partie de notre histoire à nous tous.
Il en va de même du brassage des populations. Un Français sur quatre a un grand-parent né à l’étranger. Le mot même de « français » nous vient des Francs, qui étaient un peuple germanique. Les Bretons ne viennent pas de Bretagne, mais de la grande île en face, que nous appelons la Grande-Bretagne. Ils ont été chassés de leurs terres par mes ancêtres à moi, les Angles et les Saxons. Nous avons eu un président, Nicolas Sarkozy, avec des origines hongroises. Aux Jeux olympiques, nous avons fêté bien des médaillés dont les noms témoignaient d’origines diverses : Joan-Benjamin Gaba, Anastasiia Kirpichnikova, Sofiane Oumiha, Clarisse Agbegnenou. Les populations se mélangent constamment.
C’est aussi ce que l’on peut voir dans la Bible. Abraham est né dans le sud de l’Irak moderne. Dieu lui dit : « Va, quitte ton pays ! » (Gn 12.1). Il est monté avec sa famille vers le nord, vers la Syrie, puis il est descendu pour passer une bonne partie de sa vie en Canaan, entre le Jourdain et la Méditerranée. Toute sa vie il a vécu en nomade, comme un migrant, ne possédant en propre qu’un champ pour enterrer ses morts.
Ses descendants ont été poussés par la famine à s’installer en Égypte. Ces « migrants économiques » furent d’abord bien accueillis. Mais au fil des générations, les Égyptiens ont fini par penser qu’ils étaient devenus trop nombreux et les ont oppressés. C’est tout le récit de l’Exode puis de la conquête de Canaan.
Les Israélites n’y furent pas souvent en paix. Les peuples voisins convoitaient les mêmes terres. Au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, les Assyriens ont déporté la population du nord du pays, pour la remplacer par d’autres peuples vaincus. Au VIe siècle, les Babyloniens ont déporté celle du sud. Les Juifs chassés de leurs terres ont essaimé partout. Beaucoup se sont réfugiés en Égypte, comme le fera plus tard Jésus enfant, « réfugié politique » avec ses parents.
Migrations économiques, déportations et exils forcés font partie de l’histoire biblique. Se pose alors nécessairement la question de notre rapport à l’étranger.
Une combinaison de trois regards
L’étranger dans l’Ancien Testament peut être vu sous trois angles différents : danger, allié ou personne vulnérable à protéger au même titre que les orphelins et les veuves.
L’étranger est parfois un danger. L’indépendance des Israélites est constamment menacée par la montée de grands empires qui veulent imposer leur loi. Et l’identité spirituelle d’Israël est mise en péril de l’intérieur par l’attrait des divinités païennes et les cultes idolâtres. La menace vient alors de personnes qui habitent sur la terre d’Israël et influencent les Israélites, attirés par le culte des astres, la prostitution dans les lieux de culte, et les coutumes grecques et romaines. Si des étrangers menaçaient l’intégrité d’Israël de l’extérieur, il fallait les combattre militairement. La menace intérieure était contrée par des lois : interdiction de mariages mixtes (Né 13.23-29), démolition des lieux de culte païens, excommunication ; interdiction de tout brassage social. Les étrangers qui voulaient demeurer avec le peuple d’Israël devaient respecter ses lois (Lv 24.22).
L’étranger n’est pas forcément une menace : il peut être un ami, un allié. David mit sa famille à l’abri chez le roi de Moab (1S 22.4). Devenu roi, il se fit une garde personnelle de Crétois et de Philistins (2S 8.18 ; 15.18). C’est de Tyr que viendra le principal artisan du temple de Salomon (2Ch 2-4). En temps de guerre avec les voisins du nord, de nombreux Israélites trouvèrent refuge en Égypte. Et certains étrangers reconnurent le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob comme leur Dieu : Rahab, de Jéricho, Ruth, la Moabite, Ebed-Melek, le défenseur éthiopien du prophète Jérémie (Jr 39.16-18), Naaman le général syrien.
Enfin, la loi de Moïse incite avec force les Israélites à protéger les étrangers qui vivent au milieu d’eux, parce qu’ils sont vulnérables. « Si un étranger vient s’installer dans votre pays, ne l’exploitez pas. Traitez-le comme s’il était l’un des vôtres. Tu l’aimeras comme toi-même : car vous avez été vous-mêmes étrangers en Égypte. Je suis l’Éternel, votre Dieu. » (Lv 19.33-34). « Tu ne fausseras pas le cours de la justice au détriment d’un immigré ni d’un orphelin, et tu ne prendras pas en gage le vêtement d’une veuve. » (Dt 24.17). « Si ton prochain qui vit près de toi s’appauvrit et tombe dans la misère, tu lui viendras en aide, même s’il est étranger ou immigré, afin qu’il survive à côté de toi. » (Lv 25.35).
On pourrait ajouter bien d’autres exemples (voir Ex 22.20 ; 23.9, 12 ; Dt 1.16 ; 10.19 ; 24.14-18 ; 27.19). Deux autres lois sont significatives. La dîme de la troisième année était pour les plus démunis : les lévites, les immigrés, les orphelins et les veuves (Dt 14.28-29). On a là quelque chose qui rappelle l’aide sociale contemporaine. Une autre loi dit qu’il est interdit de renvoyer chez son maître un esclave étranger en fuite (Dt 23.16-17), en opposition à toute autre législation sur les esclaves dans l’histoire !
Pour la loi mosaïque, l’étranger doit ainsi être traité de la même manière qu’un enfant du pays, sans discrimination ni passe-droit, mais avec une sensibilité particulière à la vulnérabilité qui peut être la sienne. Le dernier prophète de l’Ancien Testament soulignera l’opposition de Dieu à ceux « qui font tort à l’étranger » (Ml 3.5).
Le témoignage de l’Église
L’Église n’est pas un État. Pèlerins et voyageurs, en attente d’une meilleure patrie (Hé 11.13-16 ; 1P 2.11), nous ne revendiquons aucune terre ici-bas. Si nous pouvons nous réjouir de la bonne gestion des États dans lesquels nous sommes installés, et y apporter notre contribution, nous n’avons pas à voir en eux une nation sainte ou à leur imposer aujourd’hui les lois d’Israël. Même si les orientations de celles-ci restent généralement valables.
Un groupe de maison que j’ai fréquenté se réunissait chez un couple né en Afrique. Parents et enfants sont de nationalité française. La dame travaillait dans un hôpital de la région comme aide-soignante et s’occupait des gens avec beaucoup d’humanité. Un jour, en gériatrie, un homme la voit arriver pour faire sa toilette et se met à crier : « Je ne veux pas que cette négresse me touche ! » Moi, naturalisé français aux yeux bleus et aux cheveux clairs, je ne rencontre pas ce genre de rejet !
Qu’il se prétende orienté par des tendances culturelles ou biologiques, le rejet de l’étranger, ce racisme ordinaire, touche des gens qui travaillent, qui paient leurs impôts, qui construisent la société de demain. Rien ne la justifie.
« Vous avez été étrangers en Égypte ». Juifs et chrétiens d’aujourd’hui, nous pouvons le dire. Nous autres protestants du XXIe siècle, étions réfugiés en Prusse, en Suisse et en Angleterre du temps de Louis XIV. Nous avons caché des enfants juifs. Cette histoire est la nôtre et nous engage.
Il y a une seule race humaine : la science et la Bible sont unanimes sur ce point. « Tous les hommes naissent égaux en dignité et en droit », dit la Déclaration universelle des droits de l’homme. Tous les humains partagent le même génome, à 99,9 %. Il y a autant de différences génétiques entre deux personnes de la même origine ethnique qu’entre personnes d’origines différentes. Il y a bien des différences de culture et d’aspect physique, mais, en Adam, nous formons une seule et même humanité, créée à l’image de Dieu.
Cette vérité est fondamentale. Et l’Église, composée d’hommes et de femmes de toutes origines, est tout particulièrement appelée à porter ce message au monde.
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même », nous dit Jésus. Quand un religieux veut ergoter là-dessus, le Seigneur lui donne en exemple un étranger, un mécréant, un Samaritain ! Quand nous avons en face de nous un étranger, un musulman, un Noir, un Blanc, un Juif, un Antillais, un Haïtien, nous n’avons pas le choix : nous devons l’aimer comme nous-mêmes, et faire pour lui ce que nous voudrions qu’il fasse pour nous . C’est Jésus qui le dit ! (Lc 6.31).
Il y a bien sûr des différences entre l’orientation de notre vie personnelle et la gestion d’un pays, entre l’éthique et la politique. « Le rôle des Églises est d’appeler à la générosité, le rôle des États est d’organiser la solidarité… d’organiser les flux migratoires », écrit le théologien Antoine Nouis(*). Les États doivent souvent gérer l’ingérable. Mais notre attitude de chrétiens doit rester fondée sur l’enseignement de Jésus. Nous avons à être de bons Samaritains pour notre prochain.
Ce que nous pouvons faire pour la personne que Dieu place sur notre route, faisons-le. Combattons les discours de haine. Refusons les blagues racistes. Demandons à ceux que nous avons élus de simplifier les démarches administratives et de faciliter une véritable intégration. Explorons les différentes cultures et soyons prêts à cheminer avec ceux qui sont différents de nous.
En paroles et en actes, notre amour est appelé à témoigner à tous de l’Évangile qui réconcilie les peuples. ■
Antoine Nouis, Réforme n° 4049 du 27 juin 2024, p. 10.