Souffrir « pour rien » ?
Tout le monde n’aime pas le livre de Job. Tant de souffrances rappellent à chacun de nous des choses difficiles ou douloureuses déjà vécues. Pourtant, ce livre nous apporte d’importants encouragements. Méditons ensemble le chapitre 2.1-10.
« Pour rien »
Après avoir assisté aux premiers malheurs qui s’abattent sur Job et sur sa femme, nous voilà à nouveau au conseil de l’Éternel, dans ce qui reste en général invisible à nos yeux humains.
Comme la première fois (Job 1.6-12), Dieu met le sujet « Job » sur la table : « As-tu remarqué mon serviteur Job ? Il n'y a personne comme lui sur la terre. C'est un homme irréprochable et droit, fidèle à Dieu et qui évite le mal. » Et cette fois-ci il ajoute : « Il reste fermement irréprochable, et c'est pour rien que tu m'as poussé à lui faire du tort. » (v. 3).
« Pour rien ». C’est ainsi qu’Alphonse Maillot intitule son ouvrage sur le livre de Job. L’adversaire, dit-il, « n’arrivera pas, même par les plus sombres épreuves, même par les coups les plus rudes, à vaincre ‘‘l’amour-pour-rien’’, qui unit Dieu à l’homme » (p. 31). « L’amour-pour-rien » : aimer Dieu pour qui il est et non pas uniquement pour ses bienfaits. Aimer Dieu dans la sombre nuit et non pas uniquement en plein soleil.
« Pour rien ». Satan a déjà utilisé cette expression : « Est-ce vraiment pour rien que Job révère Dieu ?» (1.9). Dieu répond probablement ici à cette accusation : Oui c’est bien « pour rien », pour rien en retour, que Job m’est fidèle. Et du coup c’est surtout tout le malheur que tu lui as infligé qui a été « pour rien ». Tout ce que tu fais est pour rien, par pure méchanceté. Jésus le dira ainsi en Jean 10.10 : « Le voleur vient seulement pour voler, pour tuer et pour détruire. » Cet homme faisait ce qui était bien, et Dieu le bénissait. Maintenant cette protection semble avoir disparu (cf. 1.10). Job fait toujours ce qui est bien, mais il souffre.
Job va apprendre à connaître un peu plus ce Dieu qui ne fonctionne pas selon un simple « système rétributif », comme le décrit Marion Muller-Colard dans son livre L’autre Dieu. Un système qui, même si nous sommes habitués à la grâce, baignés dans la grâce, s’invite régulièrement dans nos pensées.
La souffrance peut être pour rien. La souffrance du juste n’est pas normale et nous voudrions une explication. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? À aucun moment du livre, Job ne recevra une réponse au pourquoi de ses souffrances. Et je pense que nous devons résister à expliquer l’inexplicable. Oui d’une certaine manière nous pourrions nous dire que le fait que Job reste accroché au Seigneur dans sa souffrance montre que l’amour gratuit, l’amour pour rien est possible, et que cela rend gloire à Dieu. Mais cette explication n’est jamais donnée à Job, et elle n’est qu’à moitié satisfaisante. En fin de compte, cela ne nous dit encore rien du pourquoi de la souffrance injuste du juste. Dieu n’avait pas besoin que Job souffre pour montrer à Satan que « l’amour pour rien » est possible. Dieu n’avait pas besoin d’être rassuré là-dessus.
Dans la suite du livre, Job vivra un tournant en acceptant que le pourquoi ne lui appartient pas, mais qu’il appartient à Dieu. Comme c’est souvent mon cas, notre cas, dans la souffrance, cela a mis du temps. Job avait besoin de cheminer pour arriver à ce tournant, pour renoncer à ce pourquoi. Et j’ai à cœur que nous puissions retenir ce premier encouragement : pouvoir déposer le pourquoi aux pieds de notre Seigneur est réellement libérateur. Il est toujours libérateur de ne pas nous charger de ce qui ne nous appartient pas.
La Bible du Semeur explique : « Ainsi le livre de Job ne fournit aucune réponse théologique quant au problème de la souffrance du juste, ou de la souffrance injuste. Mais il indique une solution pratique : la présence de Dieu, qui s’adresse à nous dans la Parole, et qui se tient auprès de celui qui souffre et s’en remet à lui. »
Mais pour le moment, Job souffre d’une maladie de la peau. Quiconque a déjà souffert de démangeaisons sait combien cela peut être pénible, combien cela use les nerfs. Entre peau usée, croûtes, fièvre, cauchemars, quelques-uns des symptômes décrits au long du livre, le tableau est véritablement sombre.
« Et il s'assit sur un tas de cendres. » (v. 8 ) : probablement l’endroit où l’on brûlait les déchets. La cendre était un signe de deuil. Job est en deuil de ce qui lui restait encore : sa santé, une vie d’activité peut-être. Il est maintenant plus démuni que jamais. Assis dans les miettes douloureuses qui restent de sa vie, se grattant avec un morceau de poterie.
« Et voici que de cet homme dont la justice et le bonheur rayonnaient sur tout l’Orient, il ne reste plus qu’une voix pour gémir et protester et demander compte à Dieu de l’absurdité du monde », dit Roland de Pury dans son commentaire.
Mais avant cela il a à dialoguer avec sa femme : sa protection à elle aussi a disparu.
Pour en finir
La femme de Job fait son entrée dans ce chapitre 2. Un seul verset lui est consacré.
Elle aussi a perdu tous ses enfants et tous ses biens. Quelle souffrance elle a dû endurer ! Perdre ses dix enfants en un jour ! Nous pourrions nous arrêter ici, nous taire ici devant un malheur si indicible. Elle aussi a perdu la santé de son mari. Elle a perdu un mari en bonne santé. Que d’épreuves, que de deuils à traverser. Elle aussi devait être complètement brisée, ne comprenant rien à ce qui leur arrivait, à ce qui lui arrivait à elle.
La femme de Job, dont nous ne connaissons d’ailleurs pas le nom, fait tout d’abord le même constat que Dieu : Job est resté irréprochable, il a persévéré, il persévère encore dans son intégrité (cf. 2.3). Mais elle va plus loin : « Maudis Dieu ! »
Certains pensent qu’elle parle ainsi pour abréger les souffrances de Job et je trouve l’idée assez convaincante : maudire Dieu pourrait mener dans sa conception des choses à une mort immédiate qui mettrait fin à la souffrance. La femme de Job ne souhaite pas la mort de son mari, mais la fin de ses douleurs. Elle n’en peut plus de le voir souffrir si atrocement. Elle craque. Ce n’est pas à nous de la juger.
À première vue, Job répond durement à sa femme : « Tu parles comme une folle ! » (v. 10). Cette folie est inspirée par la souffrance, cette souffrance de voir souffrir l’être qu’elle aimait le plus au monde.
« Écoute-toi (???), ces paroles ne te ressemblent pas. » La souffrance peut nous pousser à dire des choses que nous ne dirions pas d’habitude. C’est aussi une leçon pour nous : quand nous écoutons quelqu’un qui souffre, un membre de notre famille, un ami, recevons ses paroles pour ce qu’elles sont : des paroles de quelqu’un qui souffre, des paroles dites à un moment précis de son histoire, et pas des paroles dans lesquelles on devrait l’enfermer, même si c’est presque tout ce que nous avons pour la femme de Job.
Pour elle, tout s’écroule également, tout ce en quoi elle croyait. Mais il est probable qu’elle restera fidèlement aux côtés de son mari pendant la maladie. Il fallait bien quelqu’un pour le soigner, pour prendre soin de lui. Job n’aurait pas survécu tout seul sur un tas de cendres. Et à la fin du récit, le narrateur nous parle de la restauration de Job : il va avoir encore sept fils et trois filles (42.13). Il est évident qu’il n’a pas pu avoir ses enfants tout seul. Le prologue le présente comme père de dix enfants. L’épilogue fait de même, sans mentionner une autre femme. Il semble donc que nous retrouvons ici aussi sa femme. Dieu la bénira autant que son mari par la restauration de sa vie.
Mais elle a eu ce moment de faiblesse, comme l’apôtre Pierre et bien d’autres ont eu leurs faiblesses (cf. p. ex. Mt 16.22). Prions que Dieu dans sa grâce nous préserve de telles pensées, de telles paroles. Mais quand cela nous arrive, ne nous laissons pas emporter dans le courant de la culpabilité. Au contraire, laissons-nous reprendre par l’Esprit saint et par nos frères et sœurs et revenons à Christ pour nous accrocher à lui seul.
Job n’était pas un surhomme. C’est uniquement grâce à Dieu qu’il a pu rester fidèle et rejeter ce conseil douteux. C’est la confiance qu’il plaçait en Dieu qui lui a permis de continuer à mener cette vie intègre même en plein milieu de la souffrance.
Pour vivre
« Si nous acceptons de Dieu le bonheur, pourquoi n'accepterions-nous pas de lui aussi le malheur ? En tout cela, Job ne commit aucune faute en paroles. » (v. 10).
Avez-vous remarqué que l’ennemi n’a pas de place dans la pensée de Job ? C’est Dieu seul qui semble être responsable. « Job loue Dieu seul, […] il accusera Dieu seul. » (Maillot, p. 35).
Dieu est au centre de son monde. Job peut nous inspirer en cela. Son attitude nous invite à accorder beaucoup plus de poids à l’action de Dieu qu’à l’action de Satan, même lorsque les circonstances se gâtent.
« Nous ne pouvons pas, […], recevoir l’amour, sans en partager la faiblesse, nous ne pouvons pas recevoir de Christ sa gloire sans son abaissement ; […]. Non ! nous ne pouvons suivre Jésus, sans recevoir, de ses mains percées, sa croix. » (Maillot, p. 36). La croix est au cœur même de notre foi. Elle est bien sûr symbole de victoire pour nous, mais elle nous rappelle aussi que le tombeau précède la résurrection. L’abaissement précède le retour à la vie. Il y a un temps avant l’aube de Pâques.
Dans ma vie, il y a déjà eu plein de moments d’« avant l’aube ». Des moments où l’on ne voit pas très clair. Où l’on souffre sans voir le bout. Où l’on prend pleinement conscience de notre humanité dans un monde en souffrance. Ce sont des moments où le « pas encore » semble engloutir le « déjà ». Notre seule chance pour traverser ces moments, c’est de nous accrocher à la main de notre Dieu, avec la ferme conviction que sa main de nous lâchera pas.
Le corps ressuscité, le corps transformé de Jésus portait les marques des clous. Je pense que si nous avions eu le choix, nous aurions effacé ces marques. Mais elles sont un puissant rappel que cette victoire a eu un prix. C’est un puissant rappel que dans les victoires que nous remportons dans notre vie avec Dieu, il y a un moment où nous devons tout abandonner au pied de la croix. Où nous devons nous dépouiller de nous-mêmes, renoncer à notre propre sagesse pour nous en remettre à la puissance de Dieu qui s’est manifesté au moment de la plus grande faiblesse du Christ.
Oui Job est un livre des extrêmes. Extrême richesse, extrême statut, extrême intégrité, mais aussi extrême souffrance. Et ces extrêmes nous renvoient au Christ, lui qui a été le seul être humain sans péché, lui qui est allé jusqu’à l’abaissement le plus extrême. Lui le juste souffrant par excellence. Lui de qui dépend toute notre vie. Lui en qui nous avons placé tout notre espoir.
« J'ai mis tout mon espoir
dans un homme crucifié,
Dans ses mains transpercées
et son corps lacéré.
J'ai lâché mon orgueil
pour partager son sort
Et la gloire à venir
qui jaillit de sa mort(*). »
Pour moi…
Dans le bonheur ou le malheur, c’est à Jésus que tient notre vie. Je garde finalement ces trois encouragements de ce passage :
- Déposer le pourquoi est réellement libérateur.
- Rester fidèle et rejeter les conseils douteux est possible par la grâce de Dieu.
- Nous sommes « avant l’aube » : la main de notre Dieu ne nous lâchera pas.
Pour moi, ce sont réellement là des rayons de lumière qui percent les ténèbres.
« Job va bientôt crier, hurler, mais il commence comme il finira : par la foi ; si bien que son cri, sa protestation, sa révolte même, qui restent enracinés dans la foi, aboutiront à la foi. » (Maillot, p. 36).
(*) Graham Kendrick, recueil J’aime l’Eternel, vol.3 (JEM éditions, 2015), 983.