Respectons-nous la République ?
La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République n’a pas fini de faire parler d’elle dans les Églises de France ; et pour cause.
Dans sa conférence de presse de décembre 2020, le ministre français de l’Intérieur et la ministre chargée de la Citoyenneté avaient présenté un projet de loi visant à constituer « un élément structurant de la stratégie gouvernementale pour lutter contre le séparatisme et les atteintes à la citoyenneté(1) ». Ils avaient en outre précisé que ce texte apportait « des réponses au repli identitaire et au développement de l’islam radical, idéologie hostile aux principes et valeurs qui fondent la République ».
L’entreprise peut se comprendre, tant on avait expérimenté, avec une douleur infinie, la capacité de nuisance de l’islamisme.
La loi a été votée en août dernier, après diverses consultations et quelques amendements. Elle se partage en quatre titres : Respect des principes de la République, Libre exercice du culte, Dispositions diverses, Dispositions relatives à l’Outre-Mer. Elle consiste surtout en des amendements d’autres lois existantes.
Nous espérons tous qu’elle aura un effet durable contre l’islamisme en France.
Aperçu du texte de loi.
Je ne relèverai que quelques éléments de ce long texte.
Les principes républicains.
La loi renforce les principes de la laïcité dans les services publics, notamment la neutralité des salariés, la loyauté des policiers à la République, la formation des fonctionnaires à la laïcité (articles 1-11). Elle protège aussi les services publics contre les menaces éventuelles émanant de personnes réclamant des dispositions spéciales pour raisons religieuses, en particulier à l’encontre des enseignants.
La loi porte ensuite (articles 12-23) sur les associations et fondations. Celles recevant des fonds publics devront signer un « contrat d’engagement républicain », encore en discussion. Le président d’association que je suis reste attentif à ce que ce contrat ne nuise pas à la liberté d’association, comme nous le disions pour la liberté de culte. Et je m’interroge : qu’apportera un tel document au droit que l’on applique déjà, sinon une suspicion trop générale à l’encontre du monde associatif ?
Du point de vue fiscal, on observe un durcissement général des contraintes et des contrôles qui, d’une part alourdit le fonctionnement et, d’autre part, entraîne des coûts supplémentaires. Notre union d’Église se joint en ce moment-même à d’autres pour mutualiser moyens et compétences dans ce domaine. Et le CNEF se montre incontournable et fort précieux, désormais, comme ressource dans les domaines juridique et fiscal et doit être soutenu à ce titre.
Les articles portant sur les droits des personnes et l’égalité entre les femmes et les hommes (articles 24-35) sont significatifs : polygamie, titre de séjour, certificat de virginité, excision, sexisme, mariage forcé. Ceux portant sur les discours de haine ou destinés à nuire (articles 36-48) de même, puisqu’une grande partie du texte légifère sur les réseaux sociaux.
L’exercice du culte.
La validité du statut cultuel, ouvrant droit à l’émission de reçus fiscaux, sera vérifiée de plus près et périodiquement (article 69).
Je précise, à l’intention de l’Alsace-Moselle, que la loi modifie le « droit local » (notamment par son article 74) dans les mêmes termes que pour les associations cultuelles du reste du territoire national.
Le financement des cultes, comme pour les associations en général, fait l’objet de contrôles accrus, notamment pour les fonds provenant de l’étranger.
La section « Police des cultes » (articles 80-87(2)) retient bien sûr l’attention, même si elle figure déjà dans la loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Il s’agit d’abord de renforcer la liberté individuelle de culte (article 81), de renforcer aussi la condamnation de discours séditieux (article 82), de mariages religieux sans mariage civil (article 83) et d’activités politiques (article 84).
L’article 87 ajoute un article à la loi de 1905 (36-3) justifiant la fermeture d’un lieu de culte si « les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes ou tendent à justifier ou à encourager cette haine ou cette violence ».
Point de vue
Rendons hommage au Conseil national des évangéliques de France pour son important et précieux travail de représentation, d’information et de sensibilisation.
Esprit citoyen ?
Laïcité oblige, la loi ne pouvait pas viser qu’une religion et elle s’adresse en fait à toutes. C’est ainsi que nous aussi, nous sommes affectés, alors qu’aucun discours de haine ou projet d’acte violent n’a émané de nos Églises, enfin je l’espère. Les contraintes fiscales, administratives et juridiques de cette loi s’appliquent à nous comme aux mouvements ouvertement visés. Il y a là quelque chose d’injuste.
Néanmoins, passée l’heure de ce sursaut de protestation, il nous faut obtempérer. Pour participer nous-mêmes, de manière citoyenne, à l’effort national de lutte contre « le séparatisme et les atteintes à la citoyenneté », qui est aussi notre lutte.
Ceci dit, gardons aussi un regard critique sur cette loi – c’est aussi une attitude citoyenne – à propos des dérives possibles d’ingérence dans les cultes ou d’abus de pouvoir. En effet, n’oublions pas que l’anticléricalisme était très présent dans les débats autour de la loi de séparation de 1905. S’opposaient à cette époque deux Frances : d’une part la « fille aînée de l'Église(3) », d’ailleurs capable « d’antiprotestantisme » ; et d’autre part l’héritière de la Révolution, républicaine et laïque, dans laquelle se rangeaient en général les protestants pour jouir de leur liberté de culte. Resterait-il aujourd’hui quelque chose, plus d’un siècle après ces débats de société, de l’anticléricalisme connu alors ? Question délicate.
Alors… Esprit citoyen ou défense des libertés ? Vieux débat de société mais très actuel et ayant cours dans toutes sortes de domaines. Nos Églises n’en sont pas exemptes. Les uns ne verront en cette loi qu’une privation injuste de certaines libertés et agiteront le spectre de la persécution. Les autres voudront plutôt participer à l’effort commun contre la violence islamiste.
Il faudra sans doute observer avec plus de soin encore les statuts de nos Eglises et des associations « culturelles » qui leur sont adossées. Non que j’aime les complications administratives… mais cela pourra nous conduire à améliorer nos fonctionnements.
Cette loi étant votée, il faut maintenant observer comment son application sera menée. Reconnaissons qu’elle a déjà produit des effets, puisque des mosquées ont été fermées en raison de discours « d’appel à la haine » qui y ont été tenus. C’est dans les prochains mois, les prochaines années que nous pourrons en évaluer les conséquences effectives pour nos Églises évangéliques.
La laïcité
Sur les principes de renforcement de la laïcité dans les services publics et des libertés individuelles en matière de culte, le pasteur que je suis ne voit que du bon. La laïcité protège les libertés qui nous sont chères, surtout dans notre théologie baptiste. Elle les protège des personnes et d’une idéologie qui veulent nous les enlever. Notre histoire de minorité protestante nous a laissé suffisamment de blessures pour que nous réfutions ceci de toutes nos forces, sans parler des persécutions anti-chrétiennes qui sont très courantes en terre d’islam.
Les femmes et les hommes
À déclarer trop vite que nous ne sommes pas concernés par les articles sur l’égalité entre les hommes et les femmes, nous pourrions nous priver d’une remise en question pourtant profitable. En effet, bien des femmes, dans nos Eglises et sous le prétexte d’une certaine orthodoxie doctrinale et d’une lecture très discutable de certains textes bibliques, ont été blessées, injustement privées de responsabilités(4).
Pour ce sujet comme pour d’autres, ne refusons pas cette invitation de notre société à une réflexion théologique approfondie. Moi qui me suis engagé dans le féminisme, au sens d’une défense d’une égalité des droits et de la reconnaissance des femmes et des hommes, je fais régulièrement l’amer constat de cette absence de remise en question chez mes interlocuteurs.
Les personnes homosexuelles
Il faut reconnaître que des propos plutôt agressifs ont été tenus dans certaines Églises à l’encontre des personnes homosexuelles. Or la loi de 2021 pose ce genre de propos comme motif de suspension, de dissolution pour une association et de fermeture pour les lieux de culte(5).
S’agit-il d’une privation de notre liberté d’expression ? Mais nos prises de paroles ne doivent-elles pas, avec ou sans cette loi, être empreintes d’une sagesse inspirée par Dieu ? « La sagesse d'en haut, elle, est d'abord pure, ensuite pacifique, conciliante, raisonnable, pleine de compassion et de bons fruits, sans parti pris, sans hypocrisie. Or le fruit de la justice est semé dans la paix par les artisans de paix. » (Jc 3.17-18). Partons plutôt du principe que des personnes homosexuelles sont susceptibles de nous écouter – prions Dieu qu’il y en ait. Ainsi, nous ne voudrons pas les blesser en exprimant notre manière de penser.
Notre éthique
Plus généralement, nos positions éthiques, notre manière de lire l’Écriture, notre mode de pensée, ne doivent pas être des dogmes immuables, dénués de toute remise en question. C’est l’Écriture elle-même qui est immuable, et nous savons quelles lectures maladroites en ont déjà été faites au cours de notre histoire.
Au lieu de nous arcbouter sur la liberté d’expression à préserver, ce qui est certes une lutte à toujours mener, ayons aussi l’humilité, l’honnêteté et le courage de nous remettre en question à la faveur des sujets de société qui viennent à nous.
Mesurons aussi l’effet de nos paroles en société et sur les personnes concernées, lorsque nous exprimons telle ou telle position éthique. Quelle image de l’Évangile donnons-nous ? Comment accueillons-nous les personnes telles qu’elles sont ?
Alors voilà…
Nous savons que le monde est le monde. Notre pays de France relève de cet ordre des choses, avec ses lois, imparfaites quoique nécessaires. Nos Églises y ont leur place et leur rôle à jouer. Ayons avant tout le souci de notre témoignage à la gloire de Dieu, quoiqu’il arrive.
Dans le prochain numéro, un coup d’œil sur les parallèles possibles avec la Belgique et la Suisse.
Les deux citations de www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif « Loi n°2021-1109 du 24 août confortant le respect des principes de la République ».
Plus les articles correspondant pour le droit local.
Jean Baubérot, Hélène Zuber, Une haine oubliée, l’antiprotestantisme avant le « pacte laïque » (1870-1905), Paris, Albin Michel, 2000, p. 10. Les protestants étaient accusés de « chercher sournoisement à "dénationaliser" le pays », de fomenter un « complot protestant », p. 7.
Même des tenants d’une position restrictive concernant le rôle des femmes dans l'Église dénoncent le sexisme qui y a trop longtemps eu cours. Tous, nous devons continuer de le dénonce
Voir l’article 16 de la loi, qui modifie l’article L212-1 du Code de la sécurité intérieure relatif à la « suspension ou dissolution de certains groupements ou associations » et y ajoute comme motif qu’elles « provoquent ou contribuent […] à la discrimination […] envers une personne en raison de […] leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ».
Il faut hélas citer aussi l’article 87 sur « les propos tenus, les idées ou les théories […] qui provoquent à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes ou tendent à justifier ou encourager cette haine ou cette violence ».