Rencontre avec le vrai Dieu
« Je suis le Seigneur, ton Dieu ; c’est moi qui t’ai fait sortir d’Égypte, de la maison des esclaves. » Ce verset de Deutéronome (5.6) fait partie de ceux qui m’aident à comprendre en quoi le Dieu qui s’est révélé dans les Écritures est le vrai Dieu.
Nous nous trouvons juste après une grande récapitulation de l’histoire d’Israël avec Dieu. Moïse a rassemblé tout le peuple pour lui rappeler tout ce que Dieu a accompli jusqu’à ce moment-là. Il réaffirme l’alliance et la présence de Dieu au milieu de lui. Dieu est intervenu dans l’histoire et est resté avec son peuple.
Ce texte précède la répétition des dix commandements qui énoncent les fondements de la relation entre l’homme et Dieu et entre l’homme et son prochain. Avant de présenter les directives de ces deux axes relationnels, Deutéronome 5.6 rappelle en quelques mots deux réalités fondamentales pour la vie de son peuple : qui est Dieu et qui nous sommes. De la rencontre entre ces deux vérités, surgit un choc par lequel Dieu veut nous conduire jusqu’en Terre promise.
Les idoles de nos désirs
Parmi les diverses religions du Proche-Orient ancien, au moment de l’arrivée du peuple hébreu en Terre promise, il importe en effet de bien poser les bases. Depuis la rupture avec Dieu, l’être humain est foncièrement égoïste : il ne pense qu’à lui-même. Aussi, au cours de son histoire, il a créé des idoles sur lesquelles il peut notamment projeter ses désirs. Elles sont façonnées en fonction des aspirations humaines dont elles facilitent ou empêchent la réalisation, sacralisant au passage ses désirs. Toutefois, elles agissent de la même manière capricieuse que celle des hommes. Les Cananéens ne connaissaient pas la volonté de leurs dieux. Ils ignoraient s’ils satisfaisaient ou non leurs idoles et vivaient donc dans la méfiance et l’insécurité. Les rituels religieux étaient utilisés pour apaiser l’éventuelle irritation des divinités et pour les persuader d’accéder aux besoins ou aux désirs des Cananéens. L’homme se servait de rites religieux pour tenter de manipuler les dieux : de véritables transactions, visant à obtenir des avantages, sans aucune relation personnelle.
Il en va tout autrement avec Dieu qui veut établir une relation avec nous. Nous trouvons cependant plusieurs exemples de situations où les humains sont tentés de projeter sur Dieu leurs propres désirs. Je pense par exemple à Luc 9.54, quand les disciples veulent faire descendre le feu du ciel sur les pécheurs. Ils projettent sur Dieu leur propre irritation et leur propre volonté destructrice, assimilant Dieu à une idole. C’est ce que nous faisons lorsque nous souhaitons qu’il accomplisse notre volonté, lorsque nous nous laissons aller à penser que notre volonté est celle de Dieu. Nous créons ainsi un Dieu à notre image et à notre ressemblance. Pourtant, le Dieu de l’Écriture est bien plus grand que cela.
L’Éternel est son nom
Le nom Yahwé par lequel Dieu se désigne ici est fréquemment traduit par « l’Éternel ». Vous l’avez peut-être déjà entendu : il dérive du verbe « être » en hébreu. Dieu est par excellence celui qui est. Il est, par-delà tout temps et toute circonstance. Il se révèle aussi dans le temps et s’est manifesté tout au long de l’histoire. Même s’il est éternel et souverain, créateur du temps, il entre dans notre temporalité et se révèle à son peuple, des créatures mortelles et temporelles. Voilà qui est sans précédent dans l’histoire des religions !
Cette parole est donc celle d’un Dieu souverain qui contrôle toutes choses. Lorsqu’il affirme avoir délivré le peuple de l’esclavage, il démontre son caractère rédempteur, ne laissant pas sa créature errer au hasard, mais intervenant directement pour la sauver. Il est le Dieu tout-puissant. Cependant, ce Dieu tout-puissant, contrairement à d’autres dieux, s’est révélé à des esclaves aussi bien qu’à des rois et des puissants. Et ce n’est pas ce peuple qui a choisi son Dieu mais bien le Dieu souverain, tout-puissant, qui a choisi un peuple faible et oublié de la société, occupant la dernière place sur l’échelle sociale.
Si grand et radicalement différent de nous qu’il soit, notre Dieu est aussi proche de sa créature. En Jésus, il a choisi de vivre au sein de son peuple et de se priver librement de certains attributs de sa grandeur pour se révéler au milieu de sa création. Comment un tel Dieu, dépassant tout ce que nous pouvons imaginer, a-t-il pu s’ajuster ainsi à sa création finie et temporelle ? Difficile d’en préciser tous les détails mais Dieu a voulu être relié à sa création et s’adapter à son peuple.
Nous adorons donc le Dieu éternel qui nous a cherchés, qui nous a sauvés et qui désire une relation très étroite avec nous. Il s’est rendu proche et accessible pour que nous puissions le comprendre. Quel autre dieu dans l’histoire de l’humanité a fait une chose pareille ? Ce Dieu est le nôtre, celui que nous adorons, celui que nous servons. Comme les Israélites, il nous a cherchés et nous a sauvés.
Un peuple marqué par l’incapacité
Le peuple auquel Dieu s’adresse est dans un état d’incapacité totale. Les Israélites étaient réduits en esclavage depuis quatre cents ans, considérés comme de simples biens de production. Comment auraient-ils pu connaître Dieu après toutes ces années de servitude ? Ils n’avaient aucun crédit devant Dieu ni devant les hommes. Du reste, lors de leur voyage dans le désert, certains préférèrent l’idée de retourner à l’esclavage à la libération offerte par Dieu.
Lorsque Dieu se révèle aux Hébreux et leur annonce qu’il est leur Dieu, il affirme aussi par-là la dignité qu’il leur confère parce qu’ils sont son peuple choisi. Dieu se montre aussi différent des dieux égyptiens, qui pouvaient être manipulés par les prêtres. Tout au long de l’Écriture, Dieu ne se révèle jamais aux siens comme un exauceur de désirs mais comme le but ultime de leur vie. Le sens de la vie de ce peuple est d’appartenir au Dieu souverain. Il ne s’agit pas de voir tous ses désirs satisfaits mais d’être racheté par le Seigneur.
La foi chrétienne nous montre la véritable situation dans laquelle nous nous trouvons : notre éloignement de Dieu et la distance qui nous sépare de ce que nous devrions être. Le monde cherche toujours à écorner la dignité que Dieu a conférée à l’être humain ou à trouver d’autres sources à cette dignité. Or, la foi chrétienne permet d’assoir et de fonder cette dignité et cette raison d’être dans sa relation avec le Dieu créateur et souverain. Lorsque l’éloignement de Dieu et la dévalorisation de l’être humain se manifestent, la foi chrétienne apporte une solution : le rétablissement de la relation avec le Seigneur.
La foi chrétienne nous permet de comprendre qui nous sommes, avec un sens et un but très concrets. Notre dignité ne provient pas de nos mérites, mais de ce que nous sommes des créatures de Dieu, rachetées pour entrer en relation avec lui. Dieu représente la finalité ultime de notre vie et non pas un simple moyen d’obtenir des choses. Nous avons besoin de lui.
Un choc créateur de renouveau
Le peuple sortait d’une situation d’asservissement et de dégradation et se dirigeait vers la terre promise, au bénéfice de la présence visible de Dieu. Le peuple connaissait ainsi à la fois ses origines et sa destination. Néanmoins, bien des récits des premiers livres de l’Écriture montrent que ses origines pesaient encore lourd.
Les Israélites avaient été libérés de la « maison de la servitude » mais celle-ci leur avait malgré tout offert foyer et identité. Certes esclaves, ils étaient bien installés. Un choc se produit ainsi entre volonté humaine et volonté divine. Lui, l’Éternel et le souverain, veut que sa créature soit libre et que sa dignité soit rachetée. Pourtant, certains Hébreux se montreront régulièrement prêts à retourner dans le « chez eux » de leur esclavage.
Lorsque l’être humain se tient devant Dieu, des tensions surgissent en raison de la peur qu’il éprouve. Celle-ci découle de sa nature pécheresse, limitée et incapable face à un Dieu tout-puissant et éternel. Pensez à Pierre après la pêche miraculeuse : « Seigneur, retire-toi de moi, car je suis un pécheur. » « Ne crains pas », répond Jésus (Lc 5.8,10). Luc rapporte ici un moment de tension entre l’homme pécheur et le Dieu infini et souverain. Dieu tire l’homme de sa condition et opère une transformation. Dans le récit de Luc, Jésus annonce à Pierre qu’il deviendra pêcheur d’hommes. Dans le Deutéronome, les Israélites sont appelés à sortir de l’esclavage.
L’être humain ne reste pas le même lorsqu’il est mis en présence de Dieu. Dans cette confrontation, il se découvre incapable et pécheur, craignant la perte de ce qu’il contrôle et l’inconnu des nouveaux horizons qui pourraient s’ouvrir devant lui dans la liberté offerte par Dieu. Toutefois, quelles que soient ses craintes, ce n’est pas lui qui commande à Dieu. Dieu est à la barre et nous mène vers de nouveaux horizons où il se tient à nos côtés.
Des vérités pour le chemin à parcourir
Derrière cette libération dont notre verset se fait l’écho, se dessine un mouvement. Le peuple hébreu, autrefois esclave en Égypte, devra se diriger vers la terre promise pour y trouver la liberté.
Comme nous, le peuple sait où aller mais ignore quelles sont les étapes qui le conduiront à destination. Encore de la tension, de la douleur et de la souffrance. C’est sur ce chemin que nous apprenons progressivement à accepter nos faiblesses et nos limites, prenant conscience de qui nous sommes et de ce que Dieu fait en nous.
Lorsque nous perdons de vue qui est Dieu, qui nous sommes et pourquoi nous existons, c’est l’impasse : celle où arriva la génération sortie d’Égypte. La dépendance totale de Dieu contrarie parfois nos désirs. Nous craignons le changement et nous ne pouvons pas imposer notre volonté à Dieu. Cependant, Dieu continue de marcher avec son peuple. Jésus se tient tous les jours à nos côtés.
Dans notre marche avec lui, nous sommes constamment transformés de gloire en gloire. Nous devenons ce que Dieu veut que nous soyons. Oui, nous vivons une tension entre ce que nous sommes et ce que nous serons. Celle-ci prendra fin. L’apôtre Jean écrit : « Mes chers amis, nous sommes maintenant enfants de Dieu, mais ce que nous deviendrons n’est pas encore clairement révélé. Cependant, nous savons ceci : quand le Christ paraîtra, nous deviendrons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est. » (1Jn 3.2).
Dans notre parcours de foi, et au travers de l’Écriture, nous comprenons qui est Dieu, et qui nous sommes. Malgré les souffrances engendrées par la tension de nous trouver face à l’Éternel et au souverain de l’univers, si souvent empêtrés que nous sommes dans nos réalités terrestres, nous savons que nous nous dirigeons vers le meilleur. Notre esprit et notre intelligence sont renouvelés afin que le Christ, qui est le chemin, la vérité et la vie, soit visible en nous. Voilà le but ultime de notre vie. Et nul autre Dieu ne propose un tel programme !