PAR : Paul Sanders
Pasteur à la retraite, docteur en histoire, Église protestante évangélique de Nantes

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Association baptiste
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Le baptisme, une branche du protestantisme, a une histoire riche qui mérite d'être explorée pour comprendre ses spécificités. Voici un bref exposé de l'identité du baptisme, de ses origines et de son développement en France. L’association baptiste en est un témoignage, partagé avec ses Églises de Belgique et de Suisse.

1. L'identité du baptisme

Le baptisme est un mouvement qui remonte au début du XVIIᵉ siècle en Angleterre. Les baptistes partagent les doctrines fondamentales du christianisme historique, ils adhèrent aux principes de la Réforme du XVIᵉ siècle et sont majoritairement évangéliques(1).

L’assonance « baptême-baptiste » peut laisser entendre que la principale préoccupation des baptistes serait le caractère obligatoire du baptême et sa modalité (par immersion totale). En réalité, leur conception et leur pratique du baptême n’est qu’un corollaire de leur conception de la nature de l’Église et de la conversion chrétienne, résumée ainsi par Sébastien Fath : « La théologie des baptistes est généralement calviniste, pondérée par un très fort accent sur la nécessité de la conversion. Son ecclésiologie – sa conception de l'Église – est congrégationaliste, c'est-à-dire qu'elle défend l'autonomie de l'assemblée locale. Elle est aussi professante : on entre dans l'assemblée sur profession de sa foi. Enfin, les baptistes se signalent par la pratique du baptême par immersion du converti(2).

portrait de Jean-Casimir Rostan

Si les baptistes sont résolument « congrégationalistes », les assemblées baptistes s'associent le plus souvent à d'autres Églises d'une même foi, sans remettre en question leur autonomie. Ainsi, deux principes bibliques s’équilibrent : l’autonomie de l’Église locale et l’interdépendance entre les Églises permettant une mise en commun des moyens : solidarité financière, conseil fraternel, moyens pédagogiques, évangélisation collective et encouragement mutuel.

En vertu de leur conception de l’Église, les baptistes soutiennent la séparation des Églises et de l'État et accordent historiquement une grande importance à la liberté religieuse, à la laïcité et à la défense des droits de l’homme.

Leur culte dépouillé (peu ou pas liturgique) met en son centre la prédication de la Bible, sans négliger la communion fraternelle, la prière, la solidarité et l’action communautaires. Enfin, le baptisme se distingue par sa conception « symbolique » des sacrements. En effet, le baptême et la Cène sont considérés comme des signes ou symboles de l’œuvre du Seigneur. Ces « ordonnances » sont prescrites par Jésus mais ne confèrent pas en elles-mêmes de grâce spéciale aux fidèles.

2. Les origines du baptisme

Les origines du baptisme sont débattues parmi les historiens. Certains ont tenté de le relier à Jean-Baptiste et à la première Église, d’autres aux anabaptistes du XVIᵉ siècle, tandis que d'autres le rattachent au non-conformisme (ou séparatisme) anglais du XVIIᵉ siècle.

panneau 1

Quoi qu’il en soit, les historiens du baptisme s’accordent pour attribuer la première implantation du baptisme à John Smyth, un prédicateur anglais puritain(4) qui, en 1609, fonda une Église séparatiste en Hollande après avoir quitté l'Église anglicane. Smyth, influencé par les mennonites hollandais, adopta la notion d’« Église de professants » fondée sur le baptême des adultes. Thomas Helwys, diacre et collaborateur de Smyth, quitta la Hollande, retourna en Angleterre en 1612 et y établit la première Église baptiste sur le sol anglais.

panneau 2

Le baptisme primitif est donc le fruit « d'une confluence entre l'anabaptisme hollandais et le puritanisme séparatiste anglais » (S. Fath).

Dès le milieu du XVIIᵉ siècle, les baptistes ont des avis divergents au sein de la controverse entre calvinistes et arminiens, notamment concernant la question de l'étendue de l'œuvre de rédemption du Christ. Les baptistes calvinistes ont été appelés « baptistes particuliers » et les baptistes arminiens « baptistes généraux » (cette dissension théologique existe encore aujourd’hui au sein du baptisme, y compris en France(4)). Malgré le désaccord sur ce point, les deux courants progressent considérablement et, en 1660, entre deux-cents et trois-cents Églises baptistes s’établissent en Angleterre et au Pays de Galles(5). Le mouvement baptiste est désormais solidement implanté.

Dans un contexte de plus grande liberté religieuse qu’en Europe, le baptisme se développe considérablement en Amérique du Nord dès le XVIIᵉ siècle et deviendra au fil du temps la principale dénomination protestante. Des figures baptistes remarquables ont influencé l’histoire de la nouvelle république américaine : « En Amérique du Nord, c'est à un baptiste, Roger Williams, qu'il revient d'avoir promulgué pour la première fois une entière liberté religieuse dans un texte constitutionnel – dans la colonie du Rhode Island qu'il créa en 1638 – texte dont s'inspira, plus tard, la Constitution des États-Unis(6). »

Pour la première fois au monde, la liberté de religion et un gouvernement séparé des Églises ont été ainsi instaurés dans ce petit état naissant des Etats-Unis, en précurseur de la laïcité moderne.

En France, la première Église baptiste ainsi nommée a été établie aux alentours de 1810 (nous y reviendrons). La première Église baptiste d'Europe centrale a été fondée à Hambourg en 1834 par l’allemand J.G. Oncken(7) (1800–1884). L’œuvre pionnière remarquable d’Oncken a exercé une influence bien au-delà de l'Allemagne, notamment en Scandinavie et en Europe de l'Est.

Nous voyons donc que, contrairement à une opinion largement répandue, les origines du baptisme ne sont pas nord-américaines mais bien européennes. Si le baptisme a pu prospérer particulièrement dans l’espace nord-américain dans un contexte de plus grande liberté religieuse, le mouvement est né et a connu sa première croissance en Europe, à partir de l’Angleterre et progressivement vers le continent européen puis le monde entier. Aux États-Unis, le baptisme constitue encore la principale dénomination protestante, comportant aujourd’hui environ un quart de la population. Dans le sud du pays un habitant sur deux se rattache au baptisme. En Europe, le baptisme est minoritaire mais en forte expansion ces dernières décennies. Selon les statistiques de l’Alliance baptiste mondiale(8), le mouvement baptiste inclut « deux-cent-soixante-six conventions, unions et ministères dans cent-trente-quatre pays et territoires, comportant cinquante-et-un millions de croyants baptisés dans cent-soixante-dix-huit mille Églises locales ».

baptême en rivière

Ayant trouvé ses origines en Angleterre, l’œuvre baptiste s’étendit naturellement vers d’autres pays anglophones, jusqu’en Australie et en Nouvelle-Zélande au XIXᵉ siècle, tandis que le XXᵉ siècle a vu des progrès remarquables en Afrique, en Asie et en Amérique latine(9). L’élan missionnaire baptiste fut amorcé par le pasteur remarquable William Carey (1761–1834), qui a œuvré en Inde et est qualifié par les historiens de la mission protestante de « père du mouvement missionnaire moderne ».

3. L'implantation et l'essor du baptisme en France

L'implantation du baptisme en France s’est produite en cinq périodes distinctes, selon Sébastien Fath. Il nomme « baptisme originel », les premières communautés apparues dans le Nord au début du XIXᵉ siècle(10). Ensuite, des missionnaires américains et anglais sont venus soutenir le développement du baptisme en France, notamment lors de la période « pionnière » (1832–1870). Le baptisme « institutionnel » (1870–1921) voit la création de structures comme la Fédération des Églises évangéliques baptistes de France (FEEBF) et notre Association évangélique d’Églises baptistes de langue française (AEEBLF). Le baptisme désormais structuré, « implanté » (1921–1950) met l’accent sur la consolidation de l’œuvre, avant le baptisme « relancé » dans la seconde moitié du XXᵉ siècle et au-delà(11).

Durant cette dernière période, la FEEBF continue de croître, tandis que l’Église du Tabernacle et les Églises de l’ABEPEN (Alliance baptiste évangélique de Paris Est et Nord, fondées par trois missions baptistes américaine, canadienne et irlandaise) rejoignent progressivement l’AEEBLF. En 2018, la FEEBF regroupait cent-dix-neuf Églises. Pour sa part, l’AEEBLF, est composée des unions d’Églises baptistes de trois pays : Belgique (neuf Églises actuellement), Suisse (cinq) et France (quarante-neuf).

Ajoutons à ces deux unions historiques, la création d’autres structures plus récentes, de profils théologiques divers :

  • La Fédération des Églises et communautés baptistes charismatiques (FECBC), fondée en 1986, comporte aujourd’hui vingt-neuf Églises réparties en France métropolitaine et en Outre-Mer. Elle est membre du CNEF.
  • L’Union des Églises protestantes libres de France comporte quatre Églises situées en Loire-Atlantique qui sont de théologie arminienne. Elle est membre du CNEF et du Réseau FEF.
  • L’Alliance baptiste de France (ABF) comprend dix Églises et fut fondée en
    1. La Communion évangélique des baptistes indépendants en France (CEBI) affirme regrouper soixante-et-une Églises (non identifiées sur leur site). Ces deux unions semblent être constituées d’Églises baptistes de tendance séparatiste, étroitement liée à des missions baptistes américaines implantées en France. Elles ne font pas partie du CNEF.

Conclusion

Le baptisme, en tant que mouvement distinct au sein du protestantisme, a des origines européennes qui remontent au XVIIᵉ siècle, une histoire complexe marquée par des influences diverses et un développement international. Ceux qui appartiennent à ces diverses formes du baptisme sont souvent peu au courant de son histoire et de ses marques distinctives. Au XXIᵉ siècle, en France et dans le monde, le baptisme continue de croître et de se structurer.


Pour aller plus loin

Pour aller plus loin : Le protestantisme, Jean Baubérot, Jean-Paul Willaime (MA, coll. « Le monde de … », p. 34-35) – Encyclopédie du protestantisme, « Arminianisme » et « Arminius, Jacob Armenszoon dit (1560-1609) », Hubert Bost (p. 47-48), « Baptisme », Michel Thobois (p. 95) – Centre for Mennonite Brethren Studies, « Oncken, Johann G. (1800–1884) » (cmbs.mennonitebrethren.ca/personal_papers/oncken-johann-g-1800-1884/) – New International Dictionary of the Christian Church, « Baptists », Ernest F. Clipsham (sous dir. J.D. Douglas, Zondervan, 1978, p. 101-103) – Les Églises baptistes. Un protestantisme alternatif, « Les baptistes en France : une précarité prospère », Sébastien Fath (sous dir. Étienne Lhermenault, Empreinte, 2008, p. 38-62) – « Les baptistes, une Église professante et militante », Sébastien Fath (Clio, 2021) – Une autre manière d’être chrétien en France. Socio-histoire de l’implantation baptiste (1810-1950), Sébastien Fath (Labor et Fides, 2001) – Revue du Nord, « Les débuts de l’implantation baptiste dans le Nord (1810-1821), (tome 81, n°330, Avril-juin 1999, pp. 267-281) – Bulletin de la Société d’Histoire et de Documentation Baptistes de France, « Histoires d’une famille … » (n° 1, 2007) – Grand dictionnaire de théologie, « Baptisme. Tradition baptiste », E. F. Kevan (sous dir. Daniel J. Trier et Walter A. Elwell, Excelsis, 2021, p. 147-149) – Les Églises baptistes. Un protestantisme alternatif, Etienne Lhermenault (sous dir., Empreinte, 2009) – « 27 septembre

  1. John Smyth a fondé les Églises baptistes », José Loncke (27 septembre 2023) – Histoire des Églises baptistes dans le monde, Georges Rousseau (SPB, 1951, épuisé mais consultable sur archive.org/details/MN5022ucmf_6) – A History of the Baptists, Robert G. Torbet (The Judson Pres, 1963).

(1) S. Fath suit l’historien anglais David Bebbington en définissant l’évangélisme par son « biblicisme », son « crucicentrisme », son « conversionisme » et son « militantisme ». Voir aussi l’article du CNEF : www.lecnef.org/page/445845-ce-qu-ils-croient

(2) S. Fath, Les baptistes, une Église professante et militante (Clio, 2021). S. Fath, Les baptistes, une Église professante et militante (Clio, 2021).

(3) Mouvement né dans l’Angleterre des XVIᵉ et XVIIᵉ siècles dans le souci de pousser plus loin la réforme doctrinale entreprise par Élisabeth (1ʳᵉ) et de purifier l'Église. Il prônait un engagement religieux personnel et dénonçait vigoureusement les fastes ecclésiastiques.

(4) Par exemple au sein de l’Union des Églises protestantes baptistes libres de France (Free Will Baptists) qui fait remonter son histoire aux premiers baptistes « généraux » anglais : « Ces Églises prêchaient que la personne baptisée devait être en âge d’accepter, par sa propre intelligence et volonté, l’Évangile de Christ et le baptême. Elles prêchaient également, influencées par le théologien Néerlandais Jacobus Arminius, que Jésus-Christ est mort pour tous les hommes et qu’ils sont libres de l’accepter ou non. » (epbl.fr/notre-histoire).

(5) E.F. Clipsham, « Baptists », dans New International Dictionary of the Christian Church, sous la direction de J.D. Douglas (Zondervan, 1978, p. 101-103).

(6) S. Fath, « Les baptistes en France : une précarité prospère », dans Les Églises baptistes. Un protestantisme alternatif, sous la direction d’Étienne Lhermenault (Empreinte, 2008, p. 38-62).

(7) Centre for Mennonite Brethren Studies (cmbs.mennonitebrethren.ca/personal_papers/oncken-johann-g-1800-1884).

(8) Baptist World Alliance. Voir baptistworld.org/fr/members. Notons que nombre d’unions, de fédérations et d’Églises baptistes ne sont pas membres de l’ABM/BWA. C’est le cas de notre Association baptiste. En revanche, la Fédération baptiste (FEEBF) en est membre plénier.

(9) Clipsham, p. 102.

(10) Selon S. Fath, l’émergence du baptisme dans le Nord de la France « a bénéficié de trois facteurs : le déficit d'encadrement paroissial consécutif à la Révolution et aux guerres de l'Empire, une ouverture accrue aux influences extérieures (rôle des troupes d'occupation) et l'impact du « Réveil » protestant de Genève sur la France, pays stratégique dans une optique d’évangélisation de l'Europe. Ces éléments ont facilité l'émergence du baptisme dans le Nord, prélude à une implantation à l'échelle nationale. » (« Les débuts de l’implantation baptiste dans le Nord (1810–1821) », dans Revue du Nord, tome 81, n° 330, Avril-Juin 1999, p. 267-281)

(11) Voir « Les baptistes en France : une précarité prospère »…, (S. Fath), p. 39s.

Article paru dans :

octobre 2024

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