PAR : Léo Lehmann
Membre du comité de rédaction, pasteur, Église évangélique Le Cépage, Bruxelles-Ganshoren

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Qui est le plus fort ? Dans notre monde, le succès se mesure bien souvent à la richesse, à la renommée, à la force, à l’influence. Dès leur plus jeune âge, des enfants interrogent : quel animal est le plus fort ? Lequel est le plus rapide ? Les humains veulent montrer leur compétence, leur importance. Richesse et force comme moyens et signes de la réussite… Richesse et force pour nous rassurer. Une pensée qui nous imprègne tous et qui nous fait bien souvent apprécier outre mesure ce qui brille, ce qui paraît puissant aux yeux humains…

richesses

Mais en Christ il en va autrement… Et je vous propose de le constater en nous tournant vers l’une des lettres aux Églises que nous trouvons au début de l’Apocalypse. L’Église de Philadelphie (Ap 3.7-13), une Église qui ne se distingue précisément pas par sa force mais qui, contrairement à la plupart des autres Églises, ne reçoit aucun reproche de la part du Seigneur. Un exemple réconfortant de la destinée d’une communauté modeste qui s’est rendue disponible pour Christ…

Une Église lucide

La modestie justement… La première chose que l’on apprend concernant cette Église est qu’elle a peu de puissance… Cela se manifeste certainement de diverses manières : un petit nombre de membres, peu de moyens, tout juste de quoi payer un pasteur à temps partiel, des locaux inadaptés peut-être, la salle que la municipalité de Philadelphie lui prête dimanche après dimanche mais qu’il faut rendre à midi trente avant que le club de lecture n'arrive…

peu de puissance

La situation des premières Églises chrétiennes n’était pas simple. En réalité, il est peu probable que les autorités de la ville de Philadelphie auraient prêté une salle à l’Église. Et quand bien même l’Église aurait été nombreuse, la situation devait être plutôt tendue. L’arrivée de l’Évangile dans l’empire romain au premier siècle de notre ère ne s’est pas faite sans difficultés. Les juifs tout d’abord ont persécuté les premiers chrétiens. Un grand nombre d’Israélites ne voulaient pas entendre parler de celui qui était leur Messie, Jésus, et de ses apôtres, ces traîtres qu’ils voyaient faire place aux païens dans le peuple de Dieu. L’empire romain, d’autre part, lorsqu’il a réalisé que les chrétiens amenaient une nouvelle religion, différente du judaïsme, s’est montré de plus en plus hostile à leur égard.

À la fin du premier siècle de notre ère, quand Jean écrit l’Apocalypse, Philadelphie était de ces Églises, avec peu de puissance, entourée de dangers potentiels : les juifs qui cherchaient à s’opposer à leur œuvre ; l’empire qui les regardait avec de plus en plus de méfiance. Autant d’obstacles, de murs qui menaçaient de se refermer sur elle.

Certaines communautés, comme l’Église de Laodicée à laquelle Jésus va s’adresser dans la lettre suivante, pensaient pouvoir se satisfaire de leur situation, être assez fortes, assez riches pour tenir dans ces circonstances. Mais le Christ dénonce leurs illusions : « Tu dis : Je suis riche ! J’ai amassé des trésors ! Je n’ai besoin de rien ! Et tu ne te rends pas compte que tu es misérable et pitoyable, que tu es pauvre, aveugle et nu ! » (Ap 3.17) Le reproche est cinglant.

Mais Philadelphie se sait sans force et le Christ la rassure : « Je sais que tu as peu de puissance ». L’Église semble lucide sur elle-même. Les chrétiens de Philadelphie devaient bien voir leur manque de moyens, leurs faiblesses. Tout comme nous ne pouvons pas nier les faiblesses de la plupart de nos petites communautés évangéliques. Humainement parlant, nous tenons à peu de choses, quelle que soit d’ailleurs notre taille…

Une Église qui sait sur qui compter

sur qui compter

Mais l’Église de Philadelphie, dans cette précarité, sait sur qui compter : le Christ qui se présente comme le Saint, le Véritable, Dieu en somme, l’affirme très clairement au v. 8 : « Tu as obéi à ma Parole et tu ne m’as pas renié. » Et au v. 10 : « Tu as gardé le commandement de persévérer que je t’ai donné. » Dans toutes les inquiétudes que pouvaient provoquer le manque de puissance et la fragilité, les chrétiens de Philadelphie s’accrochaient de toutes leurs forces à leur Seigneur : le Saint, le véritable. C’est lui qui est le véritable soutien, le véritable sauveur sur lequel ils peuvent compter.

Quel meilleur secours pourraient-ils trouver ? « Celui qui tient la clé de David, celui qui ouvre et nul ne peut fermer, qui ferme, et nul ne peut ouvrir. » (v. 7). La clé de David, autrement dit l’autorité sur son royaume, une pleine autorité. Le Christ nous est présenté par l’Ancien et le Nouveau Testament comme l’héritier du trône de David, le roi attendu.

Cette image de la clé de David qui peut ouvrir et fermer, l’Apocalypse la tire du prophète Ésaïe, qui a écrit au VIe siècle avant notre ère. Au chapitre 22 de son livre, le prophète désigne ainsi un homme de son époque, Eliaqim (Es 22.20-25). Dieu avait confié à cet homme la clé de David, qui pourrait ouvrir sans que l’on puisse fermer, et fermer sans que l’on puisse ouvrir. Il devait diriger le royaume de Juda dans des temps troublés. Le texte d’Ésaïe compare cet homme à un clou planté solidement auquel toute sa parenté a pu s’accrocher, dans des temps de tourmente traversés par Israël. Mais, nous dit Dieu par son prophète, ce clou a fini par succomber sous le poids, il s’est détaché et tout ce qu’il soutenait s’est brisé à terre.

Mais pour Christ il n’en va pas de même. Jean réemploie cette image en disant que cette fois-ci celui qui tient la clé est le Saint, le Véritable, et ses frères et sœurs que sont les chrétiens peuvent s’accrocher à lui sans inquiétude, sans craindre que le clou ne cède. Dieu a tout soumis au Christ victorieux. Par son œuvre il s’est acquis la pleine souveraineté sur son royaume. Cette autorité, il l’exerce non seulement sur le salut de chacun, l’entrée dans le royaume, l’accès à la vie qu’il nous donne, ainsi que peut le suggérer le thème de la porte, mais aussi sur toute chose. Quel que soit le domaine, il n’est nulle porte qu’il a fermée que l’on puisse enfoncer, et nulle porte qu’il tient ouverte que l’on puisse refermer. Dans toute situation, ce qu’il a décidé de faire, il le fera. Ce qu’il a promis d’accomplir, il l’accomplira assurément. C’est à lui que l’Église de Philadelphie s’est agrippée de toutes les forces qu’elle a.

Et c’est lui qui, à son Église fidèle, persévérante, promet qu’il veillera sur elle, la gardera dans les épreuves à venir. La suite de l’Apocalypse donnera un aperçu de ce que pourront être les épreuves infligées par Dieu au monde rebelle. Le livre est rempli d’images de catastrophes, de dévastations en tout genre. Mais tout au long de celles-ci, une chose est sûre : Dieu est souverain et il veille sur ceux qui se confient en lui. Ainsi, l’Église de Philadelphie a fait le bon choix.

Une Église prometteuse

prometteuse

De la sorte, quoique sans puissance, cette Église n’en est pas moins une assemblée prometteuse… Prometteuse non pas par ce qu’elle pourrait faire elle-même, parce qu’elle aurait des forces importantes, mais parce que Dieu a des projets pour elle. Cette communauté fidèle s’est rendue disponible à la réalisation des plans de Dieu, et Dieu a bien prévu de l’utiliser.

C’est dans ce sens qu’il semble judicieux de comprendre le verset 9 : « Je te donne des membres de la synagogue de Satan. Ils se disent juifs mais ne le sont pas… » De qui s’agit-il ? Il y a là une terrible dénomination pour ceux qui se prétendent peuple de Dieu alors qu’ils ont rejeté son Messie. Le texte nous parle ici des membres de la communauté juive de la ville qui méprisent ou maltraitent l’Église (voir Ap 2.9-10). Ces juifs sont issus, selon la chair, du peuple élu mais ils n’en font pas partie selon l’Esprit puisqu’ils ont refusé Jésus-Christ. C’est eux, alors qu’ils cherchent à freiner le progrès de l’Évangile, que notre Seigneur appelle synagogue de Satan.

L’Ancien Testament, encore sous la plume d’Ésaïe, annonçait que ceux qui faisaient du mal au peuple de Dieu viendraient se prosterner devant lui. « Les descendants de ceux qui t’humiliaient viendront se courber devant toi, et ceux qui t’insultaient se prosterneront à tes pieds. Et l’on t’appellera : «Cité de l’Éternel, la Sion du Saint d’Israël» » (Es 60.14). Et c’est là ce que Dieu annonce à son Église dans notre texte : de ces juifs qui la persécutent, il en prendra pour les faire venir se prosterner devant eux, et reconnaître que Dieu a aimé cette Église. Reconnaître aussi certainement que Jésus est bien le Messie d’Israël. En parlant de se prosterner Jésus ne veut pas dire que ces juifs vont adorer l’Église, comme on se prosternerait devant Dieu. Mais il y a là pour Philadelphie l’annonce que Dieu œuvre parmi les juifs et veut en amener encore à s’humilier de leur erreur, l’erreur de rejeter Jésus le Messie, et à rejoindre son Église. Ceux qui se font ennemis de son Fils, il veut encore les appeler à lui, dans sa grâce.

Quelle joie pour cette petite communauté. Ses persécuteurs se joignant à elle. Le texte ne dit rien des moyens que Dieu veut employer pour cela : la prière des croyants certainement, leur témoignage vivant et persévérant, leurs vies changées, peut-être des relations d’amitié qui avaient existé, des discussions passionnées… On n’en sait rien. Non pas que ces moyens n’avaient pas d’importance, mais l’annonce que Dieu fait à ses enfants est qu’ils peuvent compter sur son intervention dans les cœurs. C’est lui qui ôtera le voile de devant les yeux de ces juifs et permettra que le témoignage de cette petite communauté fidèle porte des fruits.

Quel encouragement pour nous. Combien autour de nous peuvent sembler hermétiques à l’Évangile ? Dans combien de lieux les chrétiens sont persécutés ? Combien de synagogues, de mosquées, de philosophies, de pouvoirs politiques, de sectes, de mouvements occultes, font aujourd’hui encore bien souvent une œuvre qui n’est pas celle de Dieu ? Face à tous ceux-là, Dieu veut et peut nous utiliser. Il est souverain sur les cœurs de tous les membres de ces courants qui nous entourent. Il n’est aucune forteresse dans laquelle celui qui tient la clé de David ne puisse pas pénétrer. À nous de persévérer dans l’obéissance et de tenir fermement accrochés à son nom. Il saura nous utiliser.

Une Église victorieuse

avenir glorieux

Mais les promesses du Seigneur à l’Église de Philadelphie ne s’arrêtent pas au temps présent. Elles portent vers un avenir glorieux : « Du vainqueur, je ferai un pilier dans le temple de mon Dieu, et il n’en sortira plus jamais. Je graverai sur lui le nom de mon Dieu et celui de la ville de mon Dieu, la nouvelle Jérusalem, qui descend du ciel d’auprès de mon Dieu, ainsi que mon nom nouveau. » (v. 12).

Celui qui persévérera comme l’Église de Philadelphie y est invitée, Dieu en fera un pilier, ou une colonne, dans son temple. De quel temple s’agit-il ? Dans la suite de l’Apocalypse ce terme semble désigner le lieu céleste où Dieu réside entouré de sa cour et de tous les croyants décédés, ces croyants qui louent sa majesté (p. ex. Ap 7.12). Dans ce lieu, le fidèle sera comme une colonne. À la place des immenses cathédrales terrestres et de leurs forêts de colonnes de pierre, le temple céleste est rempli de colonnes humaines, des hommes et des femmes que Christ a sauvés et qui louent leur Seigneur. Des hommes et des femmes qui plus jamais ne seront amenés à quitter la présence de Dieu : le pilier dont nous parle le texte ne sort pas du temple. Sur lui sont inscrits trois noms : le nom de Dieu, le nom nouveau de notre Seigneur et le nom de la nouvelle Jérusalem qui descend du ciel. Ces trois noms inscrits sur ce pilier signifient trois réalités auxquelles le croyant appartient indéfectiblement. Rien ne l’en défera. Plus jamais il ne sera séparé de son Dieu et de son Sauveur, et dans la Nouvelle Jérusalem, cette ville rayonnante que l’on verra descendre du ciel à la fin de l’Apocalypse, il vivra toujours en présence de Dieu.

Dans un monde qui vit encore séparé de Dieu, dans bien des maux, quel espoir que celui d’une vie nouvelle avec Dieu, une vie en sa présence, des réalités qui subsisteront à jamais. La communauté de Philadelphie connaissait certainement les aléas que peut engendrer la vie sur terre : la ville, construite en zone à risque, a été détruite plusieurs fois par des tremblements de terre… Mais les réalités promises par Dieu sont inébranlables.

L’Église du Dieu fort

L’Église de Philadelphie, une Église destinée à réussir ? Certainement pas aux yeux des hommes en tout cas… Petite, modeste… Rien pour attirer le regard…

pour réussir

Mais la fidélité que le Seigneur loue dans cette communauté en fait pour nous un exemple de premier choix. N’ayons pas peur de notre modestie : Dieu nous remarque et veut faire de grandes choses. N’ayons pas peur de nos faiblesses : Dieu est puissant et il agit. N’ayons pas peur de ceux qui s’opposent à nous : Dieu les maîtrise. Ne craignons pas notre destinée terrestre : Dieu nous a appelés à constituer ensemble le temple dans lequel il veut habiter pour toujours.

Ainsi, l’Église qui, lucide sur sa faiblesse, sait obéir et s’appuyer sur son Seigneur sera utile pour aujourd’hui et victorieuse dans l’éternité. C’est le Saint, le Véritable qui le promet ! Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises… ■

Article paru dans :

février 2018

Rubrique :
À Bible ouverte
Mots-clés :
Point de vue

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