PAR : Marc Schöni
Pasteur à la retraite - Église évangélique baptiste de Court

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À Bible ouverte
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Pourquoi a-t-il trahi ? Pourquoi fallait-il qu’il y ait un traître dans cette affaire ? Si le Nouveau Testament ne répond pas à la première question, il livre des éléments précieux en réponse à la seconde.

Bombe à retardement

La Passion étend son ombre sur la vie de Jésus bien avant sa dernière semaine à Jérusalem, en fait dès le choix de ses disciples. Parmi les douze qu’il choisit pour leur donner un rôle particulier, il y a celui dont les trois évangiles synoptiques relèvent qu’il va trahir Jésus(1). Son nom ne laisse rien présager de fâcheux, vu que c’est celui de l’ancêtre illustre de David (et de Jésus) : Juda(2). Mais le terrain est bel et bien miné. Luc note que Jésus a fait ce choix à la suite d’une nuit de prière (Lc 6.12). Autant dire qu’il a lui-même posé la mine, en concertation avec son Père. Et un passage de Jean confirme que Jésus savait parfaitement à l’avance qu’une porte était ainsi ouverte aux machinations du diable au sein même du groupe (Jn 6.70-71).

Responsable malgré tout

Le rôle de Satan est souligné par Luc et par Jean. Les deux disent qu’à un moment donné, « Satan entra » en Judas (Lc 22.3 ; Jn 13.27). Dans Luc, on se situe au moment où les chefs religieux tentent de monter un complot pour capturer Jésus discrètement, loin des foules (22.6). L’initiative de Judas va leur permettre d’infiltrer le groupe. Au moment de sa capture, Jésus souligne combien tout cela était dérisoire : on pouvait l’arrêter en plein jour sans qu’il oppose la moindre résistance (Mt 26.55 ; Mc 14.49 ; Lc 22.52-53). Mais si Jésus a été capturé ainsi, à la sauvette, en pleine nuit, c’est qu’il y avait là un plan de Dieu, que Jésus selon Luc résume paradoxalement ainsi : « C’est le pouvoir des ténèbres. » (Lc 22.53, TOB). Dieu se sert des manœuvres de Satan pour son but, qui n’est pas celui de Satan.

homme en réflexion

Judas ne serait-il alors que le jouet de puissances qui le dépassent ? Non, il reste pleinement responsable. Ses motivations nous demeurent certes opaques(3). Mais elles lui sont propres et ne sauraient être confondues avec le plan de Dieu et les objectifs de Satan. C’est avec une grande tristesse que Jésus parle de cette décision propre à Judas : « Car le Fils de l’homme s’en va selon ce qui est écrit de lui, mais malheureux l’homme par qui le Fils de l’homme est livré ! » (Mc 14.21, TOB).

Cela fait-il de Judas un monstre ? un être exceptionnellement mauvais ? Non, chacun de nous pourrait être le traître.

« Est-ce moi ? »

C’est ce que montre le récit que les évangiles synoptiques font du dernier repas de Jésus. Sans désigner nommément le coupable(4), Jésus révèle que l’un des Douze va le trahir, et tous de se demander : « Est-ce moi(5) ? » Ce que les évangélistes soulignent en faisant ainsi vivre le récit, c’est que chacun des disciples pourrait être le traître. Si le groupe des Douze n’était pas à l’abri d’une trahison interne, aucun groupe de chrétiens ne l’est. La fragilité de toute communauté humaine est aussi celle de l’Église. Et donc, celui qui a succombé n’était pas pire que les autres.

Une fin qui interroge

C’est Matthieu(6) qui raconte la fin de Judas (Mt 27.3-10). Voyant Jésus condamné, il est pris de remords et finit par se pendre. La lecture de ce récit a beaucoup souffert du noircissement de Judas dans l’histoire de l’Église(7) et de la caractérisation erronée du suicide comme « péché mortel » qui ne pourrait être pardonné.

Or, le récit de Matthieu nous montre un être foncièrement humain, dont le remords est profond et sincère : « J’ai péché en livrant un innocent à la mort ! » (Mt 27.4, Semeur). Le drame de Judas, c’est que son acte est irréparable : plus rien ne peut empêcher la mise à mort de Jésus. Pour Jésus, cette mort sera une victoire, mais cela, Judas ne le sait pas – ni les autres disciples, d’ailleurs. Contrairement à Pierre qui a renié Jésus, il n’y aura pas d’avenir pour Judas dans la mission(8). Mais nous ne connaissons pas le sort éternel de Judas. Laissons cela à Dieu.

Pour quoi tout cela ?

Si le pourquoi de la démarche de Judas nous reste opaque, la question du « pour quoi » fait jaillir la lumière au cœur des ténèbres.

Il fallait que Jésus, dans sa marche vers la mort, souffre de la trahison d’un ami. Dans la version que Jean donne du dernier repas, Jésus cite un verset du Psaume 41 qui doit s’accomplir : « Celui qui mange le pain avec moi a levé son talon contre moi » (Jn 13.18, Seg21).

Notre salut dépend-il d’une trahison ? Certes, Jésus aurait pu mourir à notre place sans cette trahison : il eût suffi que ses ennemis osent l’arrêter en plein jour. Mais s’il a dû mourir en subissant le châtiment de notre péché à notre place, le salut qu’il a obtenu va plus loin encore. C’est la victoire de l’amour au cœur des ténèbres de l’égoïsme et de la haine (Lc 22.53). Cette victoire transforme nos vies. Pour la remporter, Jésus a dû passer par toute la gamme des souffrances humaines, y compris la trahison d’un ami.


(1) Mt 10.4 ; Mc 3.19 ; Lc 6.16

(2) Nos Bibles françaises l’ont affublé d’un s final, singularisant ainsi le traître, alors que le nom du patriarche Juda était couramment porté par des Juifs au temps de Jésus (et jusqu’à aujourd’hui). Et même, l’un des Douze, selon Luc, était son homonyme, mais là, nos traductions ont pris l’habitude de franciser Juda en « Jude » (Lc 6.16) !

(3) Même l’amour de l’argent, souligné par Jean (Jn 12.4-6), ne suffit pas à expliquer son geste. Après tout, trente pièces d’argent (Mt 26.15) ne représentaient pas une grosse somme.

(4) Ou en dévoilant son identité seulement dans un second temps, selon Mt 26.25.

(5) Mt 26.20-22 ; Mc 14.17-19 ; voir Lc 22.21-23.

(6) Pierre au début des Actes (Ac 1.15-20) raconte également la fin de Judas.

(7) Comme le nom de Judas (du patriarche Juda) est aussi celui du peuple juif, ce noircissement sans nuances de celui des Douze qui a trahi a alimenté l’antisémitisme, contre l’intention des récits évangéliques.

(8) C’est ce qui ressort clairement du récit des Actes (Ac 1.20), qui présente des difficultés par ailleurs.

Article paru dans :

avril 2025

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