PAR : Léo Lehmann
membre du comité de rédaction, pasteur, Église Le Cépage, Bruxelles-Ganshoren

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À Bible ouverte
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Voilà la troisième année que j’écris pour la rubrique « A Bible ouverte » de décembre. Je n’ai pas prévu de me spécialiser durablement en la matière. Voyez-y plutôt ma difficulté en tant que coordinateur de cette rubrique à solliciter à temps les contributeurs pour ce numéro qui, Noël oblige, est toujours un peu spécial. Si donc certains collègues qui me lisent ont des propositions pour les années à venir, elles sont les très bienvenues.

Mais pour cette année je reprends encore la plume pour redire l’espérance que nous rattachons à cette fête de Noël. Dans un contexte particulier pour nous tous en cette étrange année 2020, je vous invite à relire le chapitre 2 de l’Évangile de Matthieu, dans lequel notre Dieu fraie son chemin entre ombre et lumière.

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La « magie » de Noël

« L’or, l’encens et la myrrhe » (v. 10). De ces trois éléments que viennent déposer les mages auprès de Jésus, rayonne beaucoup de ce que nous aimons dans cette période de l’année : lumière, beauté, parfums agréables.

L’histoire des mages elle-même fait partie de ces récits qui illuminent notre souvenir de la venue de notre Seigneur dans le monde. Et il y a bien de quoi s’émerveiller. Le Dieu des Juifs, au moment où il choisit d’envoyer son Fils pour le salut des êtres humains, décide de prévenir non pas les grands de son peuple, ou les spécialistes de la Loi, mais un petit groupe d’étrangers au loin. C’est à Bethléem, en Judée, que tout se passe (v. 1). Mais l’événement a déjà une portée universelle.

Dans leur observation des étoiles, les mages ont discerné la venue du roi des Juifs. Ils disent même avoir vu « son étoile » (v. 2). Comment cette étoile a-t-elle été associée à Jésus ? Dans le texte biblique, c’est une prophétie d’un autre mage oriental, Balaam, qui permet d’envisager un éventuel rapprochement :

« Je le vois, mais non pour maintenant, je le contemple, mais non de près : un astre sort de Jacob, un sceptre s’élève d’Israël. Il transperce les flancs de Moab et renverse tous les descendants de Seth. Il se rend maître d’Edom, il se rend maître de Séir, ses ennemis. Israël manifeste sa force. Celui qui sort de Jacob règne en souverain, il fait mourir ceux qui s’échappent des villes. » (Nb 24.17-19).

Nos mages s’inscrivaient-ils dans une tradition qui, dans le lointain Orient, avait conservé ces paroles sur plus d’un millier d’années ? Quelles autres lumières ont-ils reçues pour les décider à prendre la route ? Nous ne le savons pas. Ce que l’on peut imaginer du « parcours spirituel » de ces hommes, qui sont sans doute aussi « magiciens », laisse songeur. Tout ce que nous savons est qu’ils ont pris la route et arrivent un jour dans une Jérusalem qui ne se doute aucunement de ce que Dieu est en train de préparer. Cherchant un roi, ils se sont logiquement dirigés vers la capitale.

Leur arrivée et leur récit provoquent l’étonnement dans tout Jérusalem, jusqu’au roi en place, Hérode, qui reçoit ces étrangers. Pour répondre à leur demande, il convoque un grand concile de « tous les chefs des prêtres et spécialistes de la Loi » (v. 4) afin de savoir où doit naître le Messie : à Bethléem.

Le roi lui-même, convoquant les mages en secret, leur fait part de son désir d’aller adorer ce Messie qui doit venir et leur demande de lui rapporter les renseignements qu’ils pourront obtenir. Un roi pressé de voir son Messie ? Qui ne connaît pas Hérode pourrait encore s’y laisser tromper : son ignorance des prophéties et son choix de ne pas se rendre lui-même sur place dans l’immédiat pourraient éveiller un soupçon (comme à propos des responsables religieux de Jérusalem qui ne prennent pas la peine de se déplacer), mais Matthieu n’a encore laissé aucune indication explicite qui permette de connaître les réelles préoccupations du roi.

Et voilà les mages repartis pour Bethléem, sur le dos des chameaux que la tradition leur a offerts, tout heureux d’avoir été mis sur le bon chemin. Joie, émerveillement ! Le grec y insiste : en voyant l’étoile les mages « se réjouirent d’une joie extrêmement grande » (v. 10). Puis vient la découverte de ce petit enfant près de Marie sa mère. Ils se prosternent devant lui et lui ouvrent leurs trésors : or, encens et myrrhe en cadeaux, annonciateurs de la grandeur du destin de celui qui les a amenés jusque-là. Quelle foi étonnante que celle de ces étrangers qui ne s’inquiètent pas du décalage entre leurs présents et l’humble condition de celui qu’ils ont devant eux. Une scène que l’on pourrait longuement méditer, contempler…

Noël beau, Noël dans la joie, Noël dans l’émerveillement… Voilà bien ce que nous aimons. Voilà bien ce dont nous craignons d’être en partie privés en cette année de pandémie et de confinement. Car si la lumière de l’Évangile a commencé à rayonner, l’ombre n’a pas cessé de menacer.

L’ombre qui menace

Les choses commencent doucement dans notre texte. Les mages sont simplement avertis en rêve de ne pas retourner auprès d’Hérode, et c’est donc par un autre chemin qu’ils quittent le récit (v. 12).

Au nombre des « rêveurs », il nous faut aussi compter Joseph. Il apparaît dans ces deux premiers chapitres de l’Évangile de Matthieu comme un digne successeur de son illustre homonyme, « maître des rêves » en son temps (Gn 37.19). Des six fois où Matthieu rapporte qu’une personne est avertie en rêve, pas moins de quatre concernent Joseph (Mt 1.20 ; 2.13, 19, 22 ; voir 2.12 et 27.19 pour les autres occurrences). On sait bien peu de choses de Joseph, « homme juste » (Mt 1.19), mais il se révèle dans ces versets comme un homme prêt à entendre la voix de son Dieu, et à se laisser conduire par celui qui sait où va l’histoire. Ce rêveur a les pieds sur terre.

Et c’est bien heureux ! Le danger est imminent : « Hérode va rechercher le petit enfant pour le faire mourir » (v. 13). Joseph, Marie et Jésus prennent donc la route de l’Égypte que Dieu leur indique. Déjà éloignés de chez eux à Bethléem (Lc 1.26-27), ils se retrouvent immigrés sur une terre étrangère, loin de leur patrie, pour que leur enfant échappe à la mort. Épisode certainement douloureux, où Matthieu verra toutefois la répétition pour Jésus de l’histoire du peuple qu’il vient sauver (v. 15). Ne fallait-il pas que notre Sauveur connaisse nos souffrances ?

Malheureusement, les souffrances ne s’arrêtent pas là. Hérode qui prétendait vouloir venir adorer le Messie révèle ce que divers épisodes historiques ont laissé voir de lui : un tyran paranoïaque prêt à tout pour la préservation de son pouvoir. La mention de l’Égypte au verset 15, immédiatement avant cet épisode que la tradition connaît sous le nom de « Massacre des innocents » (v. 16-18), nous aide à discerner le parallèle que Matthieu voit probablement entre cet événement et le sauvetage de Moïse tiré des griffes de Pharaon alors que les garçons israélites étaient eux aussi massacrés (Ex 1.8-2.10).

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Imaginez la disparition violente de tous les enfants de moins de deux ans dans votre quartier, dans votre famille, ou dans votre Église ! Des enfants que l’on a portés, nourris, soignés, chéris… assassinés pour l’attrait du pouvoir. Il est troublant de penser que, pour la plupart des habitants de Bethléem et de ses environs, c’est là l’événement principal de leur « Noël » à cette époque. Dans ces moments, à côté de ce drame terrible, qu’ont pu peser la naissance d’un enfant dans une étable (Lc 2.7), l’enthousiasme de quelques bergers (Lc 2.8-20) ou le passage d’une caravane de généreux mages illuminés ?

L’histoire est cruelle pour ces hommes et ces femmes pour qui le meurtre de leurs enfants est associé à la venue de leur Sauveur. Mais là aussi, Matthieu voit la continuité de l’histoire de son peuple, dont il évoque la douleur passée en citant le prophète Jérémie :

« On a entendu des cris à Rama, des pleurs et de grandes lamentations : c’est Rachel qui pleure ses enfants et n’a pas voulu être consolée, parce qu’ils ne sont plus là » (Mt 2.18, cf. Jr 31.15).

Cependant, il y a là plus qu’un écho à l’histoire passée. Le passage auquel Matthieu emprunte ces quelques lignes est en réalité un passage affirmant avec force l’espérance d’Israël, le retour de l’exil, la reconstruction, et la nouvelle alliance que Dieu veut établir avec les siens. Les mots choisis par l’évangéliste pointent vers la réalité d’une œuvre de Dieu en progression constante, et ce malgré les terribles souffrances par lesquelles passe l’humanité. Celles-ci n’auront pas le dernier mot.

Hérode lui-même meurt, quelques années plus tard (v. 19). Un roi de passage… Il est alors temps pour Joseph et sa famille de quitter l’Égypte pour rentrer en Israël, comme une sorte de nouvel Exode. Pour qui connaît l’histoire d’Israël, le texte parle bel et bien d’espérance. Mais toute ombre n’est pas écartée, au point qu’à nouveau le Seigneur lui-même avertit Joseph pour qu’il conduise sa famille à Nazareth, loin du fils d’Hérode, pas beaucoup plus recommandable que son père. C’est de là que se poursuivra le récit de l’histoire du « nazaréen » (v. 23). Mais ici s’arrête le chapitre 2.

Noël, entre ombre et lumière

Comme beaucoup, je serais heureux de retrouver cette année encore les belles coutumes par lesquelles nous avons l’habitude de célébrer la joie de la venue de notre Sauveur : rappel des récits bibliques, culte de Noël en Église, cantiques traditionnels, retrouvailles en famille, repas, échanges de cadeaux, guirlandes, lumières… Mais comme tout le monde, je ne sais pas ce qui sera réellement possible cette année, ni sous quelle forme.

Pourtant, ce récit avec les différentes scènes qu’il entremêle me réconforte et me rappelle ceci : la bonne nouvelle de Jésus incarné, l’histoire de Dieu qui tisse son plan à travers toute l’histoire pour sauver l’humanité, reste vraie quelles que soient nos circonstances. Que nos noëls soient vécus dans la richesse et la lumière, entourés de nos proches, ou que nous les passions sur des routes d’exil, d’éloignement, voire même dans le deuil, cet essentiel demeure.

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Le dernier repas de Noël que j’ai pris était préparé par des bénévoles. Mon épouse et moi l’avons reçu avec des personnes que nous ne connaissions pas, avec lesquelles la communication était limitée par nos différentes langues. C’était dans une maison d’accueil pour parents d’enfants hospitalisés, alors que nous était offerte cette pause bienfaisante dans la tourmente où nous étions tous plongés. Quelques jours pour certains, plusieurs semaines pour d’autres. Ce Noël-là m’a profondément touché, interpelé.

Je ne sais pas ce que sera votre Noël cette année. Bien des ombres demeurent dans la vie de notre monde. Si Noël ne sera pas à la fête pour certains, cela n’est pas une nouveauté de 2020. En Jésus il y a certes de quoi célébrer, selon les possibilités qui seront les nôtres. Mais ne nous laissons pas aveugler par les lumières des guirlandes, ou leur absence : la lumière véritable brille en Jésus-Christ. C’est sur lui, notre roi, que nous voulons fixer nos regards. Et c’est de sa lumière que nous voulons être les témoins auprès de nos contemporains, qu’ils soient heureux ou affligés. Puissions-nous saisir les occasions qui nous seront peut-être offertes pour cela en cette année hors norme. Joyeux Noël à vous !

Article paru dans :

décembre 2020

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