PAR : Marc Schöni
Pasteur à la retraite, Église évangélique baptiste de Court

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Nos repères
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Depuis la montée en puissance du mouvement appelé Nouvelle réforme apostolique, il a beaucoup été question des « cinq ministères(1) ». En réponse à cette focalisation nouvelle sur les ministères énumérés en Éphésiens 4.11, nombre d’évangéliques se sont essayés à définir et expliciter, dans des optiques variées, les « cinq ministères(2) ». D’où la question : que veut dire Éphésiens 4.11 en contexte ? Qu’est-ce que ce texte a à nous enseigner aujourd’hui, dans le cadre plus large des Écritures ?

Les « dons » sont des personnes

Première surprise quand on lit attentivement le contexte en Éphésiens 4 : les « dons » que fait le Christ ne sont pas des aptitudes ni des dons spirituels (au sens des « charismes » de 1Corinthiens 12 et Romains 12). Ce ne sont pas non plus des ministères. Ce sont des personnes. Au verset 8, Paul cite le Psaume 68 où l’Éternel Dieu « a fait des dons aux hommes » (Ps 68.19) et il identifie Dieu au Christ, glorifié après avoir été humilié (vv. 9-10). Le Christ glorifié a « fait don » d’un certain nombre de personnes qui sont des cadeaux pour l’Église : « apôtres », « prophètes », « évangélistes », « pasteurs enseignants » (v. 11). À la lumière du Nouveau Testament, il est juste d’affirmer que tous les frères et sœurs, tous les membres du corps du Christ, sont des cadeaux de Dieu. Cependant, ici, l’accent est mis sur certains membres du corps en particulier car tous les chrétiens ne sont pas apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs, enseignants. Il convient d’accueillir les personnes ainsi énumérées comme des cadeaux du Christ. Cela signifie-t-il que le reste du corps est passif ? Non, le contexte dit tout le contraire.

Les ministères ne sont pas limités à ces personnes

Dans le verset 7, en amont, Paul affirme que « chacun de nous a reçu la grâce de Dieu selon la part que Christ lui donne dans son œuvre » et, au vu des six premiers versets du chapitre, il est clair qu’il s’agit là de chacun des membres de l’Église universelle. Plus significatif encore, dans la foulée du verset 11 qui énumère les personnes cadeaux, l’apôtre précise au verset 12 le but de ces dons du Christ : « … pour que les membres du peuple saint soient rendus aptes à accomplir leur service (mot aussi traduit par « ministère ») en vue de la construction du corps de Christ. » Autrement dit, le ministère (ou service) chrétien, dans ses multiples facettes, est l’affaire de toutes et de tous, et les personnes mentionnées au verset 11 ont un rôle clé à jouer pour reconnaître, mettre en mouvement, former et encourager les différents membres du peuple de Dieu dans leurs vocations respectives.

Revenons au verset 11 : nous y discernerons une note qui ressort avec netteté ici, dans le concert de ce que le Nouveau Testament nous dit des ministères.

Itinérance et enracinement local

Soulignons tout d’abord que dans le Nouveau Testament, les énumérations en lien avec des dons ou des services dans l’Église ne prétendent pas à l’exhaustivité, ici pas plus qu’ailleurs. Éphésiens 4.11 a le plus d’affinités avec le début de 1Corinthiens 12.28 : « … premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des enseignants… », sans que les termes soient pourtant identiques. Chaque énumération met en exergue ce qui tient le plus à cœur à l’auteur en contexte.

Deux choses frappent à l’examen plus approfondi d’Éphésiens 4.11. La première, que « pasteurs » et « enseignants » désignent ici les mêmes personnes, selon la syntaxe de l’original grec : « … et d’autres encore, comparables à des bergers, comme enseignants » (Bible du Semeur). Si on veut y voir une liste de ministères, alors il faut en comptabiliser quatre et non pas cinq !

Ensuite, et c’est peut-être le plus important, les trois premiers groupes de personnes cadeaux évoquent des serviteurs du Christ itinérants. C’est manifeste pour les « apôtres », terme qui signifie « envoyés » : dans le Nouveau Testament et dans les écrits chrétiens du début du IIᵉ siècle, quel que soit le sens précis donné au mot « apôtre », ils étaient tous (et toutes, voir Rm 16.7) itinérants. Les « prophètes », eux, sont à distinguer de l’ensemble des chrétiens qui peuvent recevoir le don de prophétie. Tout indique que les personnes reconnues spécialement comme prophètes avaient, dans la majorité des cas, un ministère itinérant. Quant aux « évangélistes », ils sont rarement mentionnés dans le Nouveau Testament : en-dehors de notre passage, Philippe dans les Actes (21.8) ainsi que Timothée (2Tm 4.5). S’il n’est pas sûr que le terme se limitait à la communication de l’Évangile aux non-croyants, une chose au moins est claire : Philippe et Timothée étaient itinérants. Le second a été envoyé à Éphèse pour un ministère temporaire dans une Église en situation de crise (1Tm 1.3) : si ce n’est pas un passage en coup de vent (« demeurer à Éphèse »), il s’agit bien d’une mission limitée dans le temps (voir 1Tm 4.13).

Parmi les personnes données à l’Église locale dans le long terme, Paul met en valeur ici les « pasteurs » (ou anciens)(3) et parmi leurs tâches, l’enseignement. Pourtant, dans une lettre où l’accent porte sur l’Église universelle, il met en avant les personnes qui font le lien entre les Églises locales par un ministère itinérant, afin qu’on apprécie pleinement leur contribution : équiper chacune et chacun, dans une vision qui dépasse le purement local.

De là à conférer aujourd’hui à des « apôtres » et à des « prophètes » une autorité indiscutable, comme le fait la Nouvelle réforme apostolique, il y a un pas à ne pas franchir. S’il y a des « apôtres » aujourd’hui, c’est dans le sens de « missionnaires »(4) et pas dans celui de ceux qui avaient l’autorité des témoins directs du Christ. Quant aux prophètes, leur message doit être examiné pour voir s’il est en accord avec ce qui nous a été révélé de Jésus Christ (1Jean 4.1-6). Aujourd’hui, le canon du Nouveau Testament nous aide fondamentalement dans cette tâche.

Si la focalisation actuelle sur Éphésiens 4.11 a un effet positif, c’est celui-ci : nous rappeler que les ministères locaux ne sont pas les seuls cadeaux du Christ à son Église.


(1) En fait, le mouvement dit de la Nouvelle réforme apostolique, auquel C. Peter Wagner a donné une impulsion décisive depuis la fin du XXᵉ siècle, n’est pas l’inventeur de la théorie des « cinq ministères », qui remonte au moins au milieu du XXᵉ siècle.

(2) Pour en avoir un aperçu, il suffit d’entrer « cinq ministères » comme moteur de recherche sur Google.

(3) Le substantif de « berger » (« pasteur ») n’est employé qu’ici dans le Nouveau Testament, mais ailleurs, les « anciens » ou « évêques » (termes équivalents) sont appelés à « paître » le troupeau de Dieu (Ac 20.28 ; 1P 5.2).

(4) Pas seulement interculturels, mais aussi dans leur pays ou un pays voisin.

Article paru dans :

juin 2024

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