Le « métier » de pasteur
Conscient des besoins présents et à venir de nos Églises en pasteurs, Le Lien fraternel propose une description de la fonction pastorale… Pour donner à réfléchir aux personnes qui pourraient se sentir concernées !
« Et vous, quel est votre métier ? – Je suis pasteur. » Lorsque je donne cette réponse aux personnes qui m’interrogent, elles adoptent en général une attitude mêlant silence et perplexité. On ose parfois la question : « Et ça consiste en quoi ? » Car ce que fait vraiment un pasteur est un mystère opaque pour de nombreuses personnes. Je me souviens de l’exclamation d’une salariée de l’Assurance maladie, lorsque j’étais encore au régime des trente-cinq heures : « Mais il ne dit pas des messes pendant trente-cinq heures par semaine, votre curé ! » a-t-on répondu à la bénévole dévouée de notre Église qui tentait d’expliquer mon cas. Mystère, disais-je… Eh bien ! Levons-le.
S’agit-il bien d’un « métier » ? Oui et non. Être pasteur, c’est une vocation ! C’est une mission à accomplir, une responsabilité, c’est se devoir aux personnes, à une communauté. Choisir le pastorat, c’est répondre à un appel de Dieu et de l’Église, et s’extraire du monde de la rentabilité et des enjeux économiques. Le régime social des ministres du culte le comprend d’ailleurs très bien, puisqu’il n’y est question ni d’horaires, ni de jours de congés obligatoires, comme pour un « métier normal », ni de salaire d’ailleurs, mais d’indemnité.
Cependant, je me rends compte du danger de l’amateurisme et de la nécessité d’un minimum de professionnalisme lorsqu’on est pasteur. Par exemple, nous sommes tenus à un devoir de réserve, voire au secret professionnel, nous devons avoir les bons réflexes si nous sommes témoins de maltraitance envers une personne vulnérable, de violences sexistes ou sexuelles, nous assurons des relations publiques parfois complexes, nous prenons la parole et nos propos sont diffusés sur internet, sans parler de ce que nous écrivons… En somme, un pasteur doit « avoir du métier » même si sa fonction n’en est pas vraiment un.
Je compare volontiers un pasteur à un artisan. Ses horaires se calent sur les besoins de son activité ; il est responsable de sa production, de son travail, et doit l’assumer ; il aime ce qu’il fait, et agit souvent avec passion. Cette comparaison a bien sûr ses limites : le pasteur agit en communauté, travaille en équipe, motive du bénévolat, anime, suscite, impulse, encourage, veille. Mais il y a aussi un côté solitaire de sa fonction, des préparations, de la réflexion, des visites à assumer, des entretiens, de l’organisation, et bien sûr de la piété personnelle, de la prière... Certains artisans n’ont pas leurs week-ends, comme les boulangers… les pasteurs non-plus ! L’emploi du temps pastoral a ses contraintes, même pendant la semaine : dans ma vie de père de famille, j’ai pris beaucoup plus de repas de midi avec mon épouse et mes enfants que de repas du soir, en raison des nombreuses réunions de fin de journée.
Je partage la fonction pastorale en quatre domaines : l’accompagnement des personnes, l’animation de la vie communautaire, l’étude et l’enseignement, les relations extérieures. Tout cela s’entremêle sans cesse dans l’emploi du temps pastoral. Au moins, il n’y a pas de routine ou d’ennui !
L’accompagnement des personnes est avant tout de l’écoute, et c’est un vrai travail. C’est « se réjouir avec ceux qui se réjouissent et pleurer avec ceux qui pleurent » (Rm 12.15). C’est aussi du conseil, pour l’épanouissement spirituel et personnel. Une véritable écoute « pastorale », celle du berger, éloigne d’autant une application pharisienne de nos principes. On marche aux côtés de la personne, sans taire la vérité pour autant. Il s’agit de mûrir une décision, de chercher des solutions, de poser un questionnement, exprimer une inquiétude… On parle d’amour, de rupture, d’énervement, de joie, de fatigue, de tristesse… Sans parler des prises de contact, des préparations au baptême, au mariage, des accompagnements du deuil.
Deuxièmement, l’animation de la vie communautaire. Il s’agit de lui donner une âme, une direction, un sens, c’est la conduire, la mener vers son but. La dimension relationnelle reste très importante. Le pasteur est avant tout un homme ou une femme de relation. Loin de tout faire lui-même – c’est très vite une gageure – il fait de la place, donne envie à tous de s’investir, sachant qu’une Église vit à vrai dire grâce au bénévolat. Le pasteur le facilite, l’organise, le rend agréable. J’aime épauler des personnes qui se lancent, soutenir celles qui prennent des responsabilités, leur donner de la sécurité pour oser. J’ai presque toujours travaillé au sein d’une équipe pastorale constituée de « pasteurs » salariés et de personnes bénévoles. Une mixité profitable, mais qui doit trouver son équilibre entre le cléricalisme autour du pasteur « professionnel » et le nivellement qui ignorerait sa spécificité, sa formation et sa disponibilité.
Troisièmement, l’étude et l’enseignement. Des heures d’étude, de lecture, d’écriture, de disponibilité devant Dieu, des temps dans l’ombre, solitaires, des temps de remise en question, d’approfondissement ou de consolidation… indispensables avant de prendre la parole en public. Les prédications au culte, en particulier, donnent le ton pour l’atmosphère générale de l’assemblée, pour le comportement des frères et sœurs, pour les actions, les engagements. Par ses prises de parole, le pasteur motive sans culpabiliser, corrige sans agresser, enseigne sans ennuyer, encourage au service pour Dieu… C’est la fonction la plus visible du pasteur. Être écouté sans être démagogue… et sans orgueil, car il faut se souvenir que le pasteur est un serviteur. Il sert la Bible qu’il ouvre devant l’assemblée, et le Dieu qui l’a inspirée.
Quatrièmement, les relations extérieures. Tout naturellement, on cherche « le pasteur » pour entrer en contact avec une Église. Il représente souvent l’Église dans les relations publiques, ou auprès des autres confessions ou religions. Sans oublier l’investissement dans la vie de réseau, les interventions acceptées, les formations proposées, et j’en passe ! Pour ma part, cet aspect du ministère revêt une grande importance. Je suis engagé dans le dialogue inter-religieux organisé par la ville ou la région, de même que dans l’action sociale à un certain niveau de responsabilité. Cet engagement – enfin j’espère – donne une image positive de l’Église dans la cité, il la fait connaître et évite au moins un peu les idées erronées que l’on peut se faire d’elle.
Je conclus par un mot, la reconnaissance. Alors que j’approche de la retraite, je peux dire – et ce n’est pas le cas de tout le monde – que j’ai fait dans ma vie ce que j’ai choisi de faire, grâce à Dieu. À bon entendeur, à bonne entendeuse !