PAR : Jean-Marc Bellefleur
Membre du comité de rédaction, pasteur, Églises baptistes de Mulhouse et St-Louis

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À Bible ouverte
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À Noël, nous commémorons la naissance de Jésus, et nous avons bien raison. Permettez-moi cependant de faire un pas de côté. Détournons le regard de Jésus – sans détourner de lui notre foi – et portons-le sur Marie, sa mère.

Dans la piété protestante, Marie ne tient pas une grande place, sans doute en réaction à la théologie catholique qui lui donne un rôle majeur. Cela fait partie de nos inéluctables différences. Quoi qu’il en soit, Marie est un personnage tout à fait unique des récits évangéliques. Elle a beaucoup à nous apprendre.

Pourtant, elle reste un personnage discret. Juste après la Nativité, on peut la suivre, avec Joseph, au Temple pour la présentation (Lc 2.21-24). Matthieu raconte ensuite leur fuite en Égypte, pour échapper à la violence meurtrière du roi Hérode (Mt 2.13-23). Environ dix ans après, c’est l’incident du Temple où Jésus échappe à la vigilance de Joseph et Marie et où cette dernière, en bonne mère, le réprimande (Lc 2.41-51). On rencontre encore Marie, mais désormais sans Joseph, près de vingt ans plus tard, à une cérémonie de mariage, dans la région de Nazareth, où elle commence à comprendre la messianité de son fils : « Faites tout ce qu’il vous dira », ordonne-t-elle aux serviteurs des noces à Cana (Jn 2.5). Cette compréhension reste encore fragile, comme en témoigne l’épisode de Capernaüm où, entourée de ses autres enfants, elle veut ramener Jésus à la raison (Mc 3.21, 31-35). Enfin, on la retrouve au pied de la croix de son fils, auprès de Jean, à qui Jésus la confie (Jn 19.25-27). Luc citera encore Marie avec les frères de Jésus, après l’Ascension, parmi les disciples réunis pour prier, témoignant finalement de sa foi (Ac 1.14).

Le cantique de Marie

Dans les récits de la Nativité, où elle a pourtant – et nécessairement – un rôle central, on ne l’entend guère, si ce n’est dans son fameux Magnificat (Lc 1.46-55). Sorti de son contexte, il donnerait l’impression d’une louange à Dieu pour son intervention contre une injustice, son secours, une délivrance ou même une guérison octroyée : « Il a porté les regards sur l’abaissement de son esclave ; […] Le Puissant a fait pour moi de grandes choses. » (v. 48, 49). Or du point de vue humain, cette grossesse met Marie dans une situation très délicate, et cela doit nous faire réfléchir.

Femme joyeuse

Voici les circonstances : peu de temps après l’Annonciation (Lc 1.26-38), où elle apprend par l’ange qu’elle va tomber enceinte d’une manière surnaturelle, Marie se rend chez un membre de sa famille, Élisabeth(1) (la Visitation, Lc 1.39-45). Cette visite « en hâte » intervient « en ces jours-là » (v. 39), soit peu après l’Annonciation.

C’est en réponse à l’accueil plein d’enthousiasme d’Élisabeth à son arrivée que Marie fait naître son célèbre cantique. C’est chez Elisabeth et Zacharie, dans une « ville de Juda » dont Luc ne donne pas même le nom, une « région montagneuse » (v. 39), qu’elle s’exprime. Mais si Luc a pu l’intégrer dans son évangile, c’est que Marie l’a peut-être écrit, ou en tout cas que son texte a été conservé, copié, transmis. Aujourd’hui, parti des montagnes de Judée, il s’est répandu dans le monde entier, traduit dans des centaines de langues.

Le texte que déclame Marie « tisse ensemble des fragments de l’Écriture, pris dans les livres de Samuel, les psaumes, Esaïe, Job, Michée(2)… ». France Quéré ajoute : « Cette femme est une Bible ouverte. » Qui s’en étonnera à vrai dire ? Mais qui le souligne aujourd’hui ? Il faut lui rendre cet hommage. Sa connaissance des Écritures, une connaissance vécue, intériorisée, a indubitablement dicté la conduite que nous lui connaissons dans les évangiles. Bel exemple pour nous.

Confiance en Dieu

Revenons au déroulement des faits : à peine enceinte, Marie loue Dieu. On ne sait pourtant jamais ce qui peut arriver pendant une grossesse : perdre l’enfant dans les premiers mois, accoucher prématurément, avoir un enfant infirme ou, pire, mort-né, et j’en passe. Pensez-vous ! Marie a entendu l’ange Gabriel et ne doute pas un instant que Dieu mènera cette grossesse à son terme !

Autrement dit, Marie se réjouit avant l’heure de ce que Dieu va faire. Cela m’évoque ce que Jésus enseignera dans les Béatitudes. Chacune de ces béatitudes contient deux parties, l’une proclamant le bonheur présent des « pauvres », des « attristés », etc., et la seconde expliquant au futur les causes de ce bonheur : « car ils seront consolés(3) », etc.

Comme Marie, nous pouvons nous réjouir dès maintenant des promesses que Dieu nous adresse : c’est lui dire notre confiance ! C’est une louange au Dieu qui ne suscite aucune méfiance en nous, aucun regard circonspect. C’est une manière bien à nous, chrétiennes et chrétiens, d’envisager l’avenir, qu’il soit facile ou difficile : Dieu y sera fidèle, et notre vie restera entre ses mains. D’ailleurs, Marie n’aura pas que des jours faciles devant elle, et elle le sait sans doute déjà. Cela lui sera confirmé par Syméon au Temple, à l’occasion de la présentation de Jésus (Lc 2.33-35) : « Toi-même, une épée te transpercera. »

La plus belle des louanges ne nous fait pas échapper aux réalités quotidiennes. Elle ne nous téléporte pas dans la Maison du Père. Elle ne nous soustrait pas aux difficultés. En revanche, elle nous conduit à vivre autrement les difficultés, à prendre de la hauteur (celle du Très-Haut ?).

Je rends hommage à Marie ! J’aurais peut-être, moi, déchiré rageusement le texte du Magnificat face aux obstacles, si j’avais eu à les affronter. Or nous n’avons aucune trace, chez Marie, d’un regret, d’une amertume.

Révisons donc, si nécessaire, notre théologie. Ce n’est pas pour échapper aux afflictions de ce monde que nous nous tournons vers Dieu. C’est pour appartenir à son peuple éternel, délivré de la condamnation du péché. Et même si Dieu peut nous délivrer de plus d’un malheur – et il le fait – ce n’est pas pour cela que nous lui vouons nos louanges. Louons Dieu pour ce qu’il est pour nous, quoi qu’il arrive, et puisons là l’énergie pour affronter les obstacles.

Acceptation des circonstances

Voici donc Marie embarquée dans une aventure compliquée : contraire aux usages, à se retrouver enceinte sans être mariée ; contraire à la nature, à attendre un enfant sans avoir eu de rapport sexuel ; et même contraire à Joseph, qui conclut à l’infidélité et projette de se séparer d’elle. Matthieu raconte cependant qu’un ange réhabilite Marie aux yeux de Joseph en lui expliquant le miracle (Mt 1.19-25).

Pas même officiellement marié, voici donc le jeune couple face à une grossesse qui n’était vraiment pas prévue. Pas de temps pour découvrir tranquillement la vie à deux, « en amoureux » dirions-nous aujourd’hui : non, il faut se préparer à accueillir ce bébé, et il faudra l’élever. Cet enfant si spécial, comment s’y prendra-t-on ? Quelle éducation faudra-t-il donner au Messie ? Et les familles – il n’y a pas qu’Élisabeth et Zacharie – comprendront-elles cette situation si particulière ?

Femme enceinte

Puis vient l’accouchement, mais à Bethléem en Judée, alors qu’elle et Joseph habitent en Galilée. En effet, un recensement ordonné par Rome impose le déplacement (Lc 2.1-5). Ah ! Même aujourd’hui, quand la maternité est à cette distance – environ deux heures de voiture, cent quarante kilomètres – on trouve que c’est inadmissible ! Marie était vraisemblablement à plusieurs mois de grossesse. Elle était restée trois mois chez Elisabeth (Lc 1.56) et Luc précise que Marie était « enceinte » (Lc 2.5) lors de ce voyage. Sa grossesse était sans doute bien visible. Or les voyages se faisaient à dos d’âne, en chariot ou à pied… Ce n’est pas quand on est enceinte qu’il faut pratiquer ce genre d’exercice ! C’est d’ailleurs peut-être pour cela que Marie et Joseph sont restés en Judée pour l’accouchement.

Et voyager pour arriver où ? C’est tout juste si des membres de la famille, à Bethléem, ont pu les abriter dans la partie de leur maison consacrée aux animaux(4). Nos crèches, à Noël, enluminent à souhait cette scène pourtant très rustique.

Ah ! De nouveau, si j’avais été à la place de Marie ! J’aurais râlé. Râlé sur l’âne, râlé dans l’étable, râlé même de voir débarquer des bergers inconnus dans l’intimité précaire de l’accouchement à peine terminé (Lc 2.15-20). Marie, elle, « retenait toutes ces choses et y réfléchissait ». Pourtant, elle venait d’accoucher ! Elle nous donne un magnifique exemple d’acceptation.

Marie « retenait ces choses »… la même expression réapparaît à l’occasion de l’incident du Temple, lorsque Jésus avait douze ans (Lc 2.41-51). Ces petites phrases permettent d’entrevoir une Marie qui était tout sauf naïve. Elle se souvenait, elle réfléchissait…

Acceptons, nous aussi, d’être bousculés par Dieu. Nous clamons à gorge déployée notre attente de son action, nous nous présentons à lui comme servantes et serviteurs, nous appelons sa royauté sur nous… mais attention ! Qu’il ne vienne pas contrecarrer nos projets, nos plans, nos programmes. Qu’il ne vienne pas déranger notre quotidien. Nous faisons déjà bien assez pour lui ! Marie, elle, montre tout le contraire : disponibilité au changement, ouverture à l’imprévu, sans pour autant négliger la réflexion sur les événements.

Contentement

Marie aurait pu marchander, aussi. D’autres l’ont fait avant elle. De nouveau, si j’avais été à sa place… Porter le Fils de Dieu en mon sein ? Très bien, je veux bien lui rendre ce service. « Mais alors, Seigneur, il faudra que tu m’octroies une maison plus digne de ma mission, un revenu mensuel couvrant les dépenses que m’impose cette noble tâche, et des voisins serviables car il y aura beaucoup à faire. Il faudra organiser l’accouchement dans la maternité de Capernaüm, avec service médical dédié, prestations d’hôtellerie de qualité et protection policière… »

Bien au contraire, dans le Magnificat, Marie présente cette grossesse comme une joie : « Je suis transportée d’allégresse […] chaque génération me dira heureuse ! » Elle annonce aussi « les grandes choses » que le Tout-Puissant a faites pour elle. Elle décrit l’action salvatrice de Dieu pour son peuple, comme si elle en était simple témoin. Quelle simplicité ! Elle est tout sauf égocentrique ! Elle n’exige rien ! Le Magnificat enseigne le contentement et la simplicité. Elle se fait une joie de servir Dieu, et même de payer de sa personne. Point de propos larmoyant sur l’abnégation à laquelle Dieu la contraindrait… Mais la fierté de participer à la grande œuvre du Dieu tout-puissant !

Femme enceinte souriante

Quand nous avons des décisions difficiles à prendre en tant que chrétiennes, chrétiens, pensons à l’exemple donné par Marie. Quand Dieu met sur nos cœurs des engagements coûteux, quand nos convictions nous amènent à faire des sacrifices, faisons comme elle : voyons cela comme des grâces de Dieu, comme le privilège de porter son nom dans ce monde.

Les disciples de Jésus, alors que leur maître n’était plus ici-bas, s’étaient un jour fait arrêter par le Sanhédrin, le tribunal religieux juif. Ils y avaient reçu des menaces, des réprimandes, ils avaient été battus. En conclusion, Luc écrit (Ac 5.41) : « Ils se retirèrent de devant le Sanhédrin, tout joyeux d’avoir été jugés dignes d’être déshonorés pour le Nom. » Que dire des chrétiens persécutés pour leur foi aujourd’hui même, qui montrent le même état d’esprit, absolument remarquable ?

Conclusion

Noël ! Oui, louons Dieu pour le don de Jésus, la lumière du monde, figure centrale des évangiles et de notre foi. Sachons aussi discerner, dans les récits de la Nativité, des personnages comme Marie. Celle-ci nous offre un exemple magnifique de confiance, d’acceptation et de contentement.


(1) Elisabeth est « parente » de Marie (Lc 1.36), le mot grec ne permettant pas d’être plus précis. Une tradition avance cependant qu’Elisabeth et Marie étaient cousines, selon des textes très anciens présentant leurs mères comme deux sœurs.

(2) France Quéré, Marie (Desclée de Brouwer, p. 59).

(3) En Mt 5.3-12, la première et la dernière (suivie de son complément aux v. 11-12) des béatitudes ont une seconde partie au présent, « car le royaume des cieux est à eux ». Mais on comprend la perspective eschatologique de l’expression. De même pour les béatitudes rapportées par Luc 6.12-13.

(4) Il est bien plus conforme aux usages de l’époque de comprendre la description de Luc (2.7) de cette manière.

Article paru dans :

décembre 2023

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