L’Esprit, arrhes et sceau
La fête de la Pentecôte célèbre un cadeau extraordinaire : Dieu donne son Esprit à un peuple appelé désormais à réunir des hommes et des femmes de toutes nations. Aucune différence entre riches et pauvres, jeunes et vieux, hommes et femmes, juifs et non-juifs : quiconque invoque le nom du Seigneur reçoit le pardon de ses péchés et le Saint-Esprit comme don de Dieu.
Le Saint-Esprit produit en nous la vie nouvelle et nous équipe pour le service de Dieu. Mais il porte aussi un message, par sa présence-même : « Vous avez été scellés du Saint-Esprit […] Il est le gage de notre héritage. » (Ep 1.13-14). Quel sens donner à ces deux images ?
« Scellés » du Saint-Esprit
Un sceau est une sorte de tampon sur lequel figure un nom ou un emblème que l’on imprimait à l’époque sur de la cire ou de l’argile. Les archéologues en ont retrouvé dans toutes les civilisations. Ces sceaux revêtaient plusieurs significations qui me paraissent pouvoir être mobilisées pour notre compréhension de l’œuvre de l’Esprit.
Une appartenance
Le sceau exprime une appartenance. Sceller un objet permettait de dire qu’on en était propriétaire. On ne scellait que des objets auxquels on tenait. Des personnes, aussi, pouvaient être marquées d’un sceau : les esclaves l’étaient parfois. Les partisans d’une divinité pouvaient aussi se faire « marquer » le nom de leur dieu : on les savait alors dévoués à la divinité dont ils étaient « scellés ». Paul, lui, portait en son corps les « marques de Jésus » (Ga 6.17) : les traces laissées par les persécutions témoignaient de son appartenance à Christ.
Le sceau de l’Esprit concerne, lui, non des esclaves, mais des personnes devenues libres ! Il est donné à ceux que Dieu s’est « acquis » (Ep 1.14), à qui il offre la libération ! Il y a eu un prix pour cela : la mort de Jésus. Lorsque nous l’acceptons par la foi, nous changeons de statut : « Tu n’es plus esclave, mais fils ! » Et plus encore : « Tu es aussi héritier, par la grâce de Dieu ! » (Ga 4.7) Le don de l’Esprit atteste cette liberté et cette appartenance !
Mais qu’apporte le fait que ce soit l’Esprit-Saint qui signifie cette appartenance ? On pourrait imaginer une marque extérieure sur le corps, comme la circoncision. Le « sceau » de l’appartenance à Dieu, dans le Nouveau Testament, est le Saint-Esprit. Il y a là plus qu’une marque : une présence, une implication. « L’Esprit de Dieu habite en vous », dit l’apôtre Paul (1Co 3.16 ; 2Tm 1.14). « Si quelqu’un m’aime… mon Père l’aimera. Nous viendrons à lui et nous ferons notre demeure chez lui. » (Jn 14.23). Comment Dieu témoigne-t-il que nous lui appartenons ? En venant lui-même en nous, en nous accompagnant au plus intime de notre vie. Toujours là, toujours proche, toujours attentif, toujours à l’œuvre. C’est cela, le sceau de Dieu ! Une présence personnelle, active, bienfaisante.
Dieu atteste ainsi que nous sommes à lui. Et cela nous atteint, jusque dans notre conscience : « L’Esprit rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. » (Rm 8.16). Par l’action de l’Esprit saint en nous, nous nous découvrons et nous savons « aimés de Dieu », accueillis comme ses enfants. Quelque chose se passe, pour que nous soyons en paix, sûrs d’être aimés, sûrs d’appartenir à Dieu. C’est l’Esprit-saint qui opère cela : par une expérience sensible chez l’un, par une certitude nourrie de la Parole de Dieu chez l’autre, par une paix profonde éprouvée par un autre encore. Un chrétien qui appartient à Dieu est en paix quand il s’approche de Dieu. Il se sait aimé, et il lui arrive de le ressentir fortement. « L’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit. » (Rm 5.5).
La relation avec le Dieu trinitaire est source de sérénité et se vit dans la paix. Elle s’enracine dans l’amour de Dieu le Père, qui nous veut à lui. Elle se fonde sur l’œuvre de Jésus, qui nous assure le pardon de nos péchés et la réconciliation avec Dieu. Elle s’enrichit du témoignage du Saint-Esprit, qui nous fait éprouver que tout cela est bien pour nous. La paix du chrétien n’est pas à créer par toutes sortes de conditionnements. Elle s’implante au fond du cœur par la présence et par l’action du Saint-Esprit. Ce sceau d’appartenance à Dieu dépasse la seule certitude intellectuelle : il est une perception qui se répercute dans tout notre être, pour que nous puissions nous réjouir d’appartenir à Dieu, le goûter, en être réconfortés.
Tout cela implique aussi, en retour, que nous accordions à Dieu une vraie place dans notre vie, dans l’usage de notre temps, dans les choix que nous faisons. « Vous ne vous appartenez plus à vous-mêmes. » (1Co 6.19). Si Dieu nous accorde une pleine attention, une vraie présence, il nous revient de lui accorder la place qu’il mérite pour honorer ce don. Lorsque Esaïe annonce la venue de l’Esprit, il en souligne les bienfaits : « Je verserai de l’eau sur le sol altéré, et des ruisseaux sur la terre desséchée, je verserai mon Esprit sur ta descendance, et ma bénédiction sur les rejetons. » (Es 44.3). Quelle en est la conséquence ? « Celui-ci dira : Je suis à l’Éternel ! Cet autre s’appellera du nom de Jacob, cet autre écrira sur sa main : à l’Éternel ! » (Es 44.1-5). Dieu rafraîchit notre âme par l’action de son Esprit. Que notre réponse soit un désir renouvelé de lui appartenir !
Une marque d’authentification
Le sceau est également une marque d’authentification. Apposer son sceau sur un document, c’est certifier qu’il est authentique, à la manière d’un « label », qui garantit l’origine d’un produit. Jésus a employé cette image, dans ce sens, pour lui-même : il a été « marqué de son sceau » par le Père (Jn 6.27). Le Père authentifie, par l’action de l’Esprit en Jésus, qu’il est bien son Fils bien-aimé. Paul dira pareillement des chrétiens de Corinthe qu’ils « sont le sceau » de son ministère (1Co 9.2). Et nous aussi, devant tout fruit de l’action de Dieu, nous pouvons dire : assurément, le Seigneur authentifie, par son Esprit, que je suis bien à lui.
Cela signifie que nous pouvons nous réjouir et prendre assurance lorsque nous découvrons dans notre vie un progrès dans la foi, des forces nouvelles, une aspiration à la sainteté, une paix que jamais nous n’aurions eue par nous-mêmes. Un progrès dans la vie chrétienne est plus qu’une victoire sur nous-mêmes : c’est un signe que nous sommes « marqués », scellés du Saint-Esprit. Cela nous encourage à chercher plus encore la sainteté, mais aussi à nous réjouir : Dieu est en train d’authentifier son œuvre en nous.
Une protection en vue d’un but
Un sceau est aussi une protection en vue d’un but. Un document scellé est protégé pour pouvoir servir. Il en est de même pour le Saint-Esprit. Il est une protection en vue du but que Dieu a fixé pour nous. « N’attristez pas le Saint-Esprit, par lequel vous avez été scellés pour le jour de la rédemption. » (Ep 4.30). Il s’agit ici de la rédemption finale, la délivrance qui nous sera accordée lorsque Jésus reviendra, jugera le monde avec justice, éradiquera tout mal et fera toutes choses nouvelles. L’Esprit nous est donné pour nous permettre d’arriver à ce jour-là.
Être scellés du Saint Esprit, c’est être certains, envers et contre tout, de sa présence fidèle jusqu’à ce jour. Dieu ne nous retire pas son Esprit lorsque nous faisons le mal. Au contraire, il demeure en nous, pour nous parler, nous faire revenir à lui. Il peut, certes, être « attristé » ; il doit être parfois bien choqué, blessé, mal à l’aise. Mais il demeure en nous, continue à agir, nous fait revenir à Dieu, nous donne les forces pour vaincre. Jésus a insisté sur ce point : « Le Consolateur que je vous enverrai demeurera éternellement avec vous. » (Jn 14.16). Être « scellé » signifie cette présence fidèle, choisie, persévérante, pour que nous arrivions au jour de la rédemption finale. Merci Seigneur, vraiment !
Être « scellé pour le jour de la rédemption » veut dire aussi qu’il nous équipe dans tout ce qu’il faudra traverser jusqu’à ce jour. L’Esprit demeure en nous, pour nous permettre de tenir la distance. Il sait donner la force, la patience et la persévérance, la sagesse ou l’amour, quand on les lui demande. Le courage et l’à-propos face aux situations. La sainteté et la victoire face au péché. La joie et la paix, intérieurement comme dans les relations. Le discernement et le conseil. La crainte de Dieu et la liberté devant lui. Il veut être, dans notre marche, la nuée qui nous précède et la colonne de feu qui nous protège, pour arriver au but et remplir notre mission tout au long de la route.
Le gage de notre héritage
C’est ici que prend le relais une autre image qu’emploie Paul : l’Esprit est aussi le gage de notre héritage (Ep 1.13). Deux fois, Paul associe le sceau et le gage. « Vous avez été scellés du Saint-Esprit qui est aussi le gage de votre héritage. » (Ep 1.13). « Dieu nous a marqués de son sceau et a mis en nos cœurs les arrhes de l’Esprit. » (2Co 1.22).
Une précision : les « arrhes de l’Esprit » ne signifient pas une première part de Saint-Esprit en attendant une part plus grande. C’est l’Esprit lui-même qui constitue les arrhes, ou le « gage » de notre héritage (Ep 1.13). Les « arrhes » sont un acompte : on verse une partie de l’argent, pour garantir que l’on va verser le reste. C’est une manière forte de dire que l’on s’engage.
On ne verse jamais un acompte sans un projet plus grand que cet acompte. Si l’on verse dix pour cent du prix d’une maison, c’est parce l’on vise toute la maison. Il en est de même pour Dieu : c’est parce qu’il a en vue le grand projet d’habiter éternellement parmi son peuple libéré du mal et de ses conséquences que, déjà, il habite en nous, et fait de nous son temple. Ce langage de l’acompte nous assure que, pour Dieu, son projet éternel est constamment devant ses yeux lorsqu’il agit envers nous aujourd’hui. Il ne sera satisfait que lorsqu’il nous fera bénéficier de tout l’héritage qu’il a en vue pour nous. Il ne vise jamais moins que cela.
Je note une différence entre les « prémices » et « l’acompte ». Les prémices d’une récolte sont les premiers fruits de cette récolte. C’est à partir de cette première partie qu’on imagine la suite. Quand on parle d’acompte, le regard part de la fin : c’est parce qu’on vise quelque chose de plus grand que, déjà, on verse un acompte. Pour dire l’espérance chrétienne, nous pouvons partir de ce que nous vivons, et dire que c’est un avant-goût de ce qui est à venir : c’est la logique des « prémices ». Mais nous devons aussi nous rappeler que tout ce que Dieu nous donne aujourd’hui n’est pour lui qu’un acompte de ce qu’il vise réellement : la nouvelle création, libérée du mal et de la mort, un monde nouveau, où la justice habitera, où le loup vivra avec l’agneau, où Dieu sera lui-même le soleil et le temple de son peuple, inondé de sa lumière et de sa présence, pour l’éternité.
L’Esprit saint, sa présence en nous aujourd’hui, est l’acompte de ce que Dieu tient en réserve pour nous. Le Seigneur ne nous appelle pas seulement à accepter la vie présente, avec ses joies et ses difficultés. Il a beaucoup plus en réserve pour nous ! En ce qui le concerne, il n’a qu’un projet : voir toute chose participer à la « louange de sa gloire » (Ep 1.12). Une gloire généreuse, magnifique, bienfaisante, éternelle !
Certes, nous gémissons encore, au cœur de notre monde plein d’injustices et d’horreurs : « Que ton règne vienne ! » Mais le projet de Dieu tiendra, la résurrection de Jésus l’atteste ! Et l’Esprit nous est donné, pour confirmer en nous l’œuvre accomplie par Jésus.
« Ainsi donc, soyons fermes, inébranlables, travaillant de mieux en mieux à l’œuvre du Seigneur, sachant que notre travail ne sera pas vain dans le Seigneur. » (1Co 15.58).