PAR : Thierry Huser
Président du conseil de l’Association baptiste, membre du comité de rédaction, pasteur, Église du Tabernacle, Paris (XVIIIe)

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« Tomber sept fois, se relever huit. » Ce proverbe nous invite à intégrer difficultés et relèvements dans la trajectoire de notre vie. Il dit la dynamique du courage et de la persévérance envers et contre tout. Philippe Labro en a fait le titre d’un témoignage où il raconte les deux années de dépression qu’il a endurées : le long tunnel, la lente marche vers la lumière, le monde qu’on ne voit plus désormais de la même manière.

« L’Éternel affermit les pas de l’homme, et il prend plaisir à ses voies. S’il tombe, il n’est pas terrassé, car l’Éternel lui prend la main. » (Ps 37.24). Notre marche avec Dieu peut traverser des passages à vide. C’est arrivé au prophète Élie. Comment donc le Seigneur s’y prend-il ici pour relever les siens ? Il vaut la peine de suivre ce récit, sans en faire un modèle unique.

[ Dans votre Bible : 1 Rois 19 ]

Un géant à terre

Nous découvrons, brutalement, un géant à terre. Élie a tout affronté. Il s’est levé, face à tous, comme témoin du Dieu vivant. Dieu s’est authentifié avec puissance en envoyant le feu du ciel. Au terme d’une course digne d’un marathonien, Élie a fait une entrée triomphale dans la ville d’Achab, devant le char du roi, sous une pluie bénie confirmant sa parole, après trois ans de sécheresse. Mais à quelques heures de là, on voit le même homme écrasé, cassé, fuyant pour sauver sa peau. Il marche droit devant lui avec pour seule idée de mettre le plus de distance possible d’avec la reine Jézabel qui a juré sa mort. Il se coupe de tout et de tous. Il se voit en échec complet. Le voilà à terre, en plein désert, demandant à Dieu la mort.

La mort

Jézabel a joué fin. Elle lui a envoyé un messager plutôt qu’un tueur. Elle lui a signifié qu’il était traqué, qu’elle saurait le trouver. Une menace lourde. Comme celle que représentent aujourd’hui une lettre de licenciement, un verdict médical sévère, un enfant en danger. Que faire de l’étau qui oppresse, de l’imaginaire qui galope, de l’angoisse qui enserre ?

Voilà Élie au bout de lui-même : « C’en est trop ! Maintenant, Éternel, prends ma vie car je ne suis pas meilleur que mes pères. » (1R 19.4). Il se couche sous un genêt, en plein désert, attendant la mort pour toute délivrance. Le récit nous laisse avec cette image saisissante.

Mais une autre image lui fait suite, avec délicatesse. « Or voici qu’un ange le toucha… » (19.5). Bascule-t-on soudain dans le merveilleux, loin des réalités communes de celles et ceux qui sont à terre ? Le texte nous dit plutôt qu’Élie ne s’est pas relevé seul, qu’il a eu besoin d’une aide, d’une présence, d’une parole. Cette aide, le Seigneur l’a envoyée. Même alors qu’il ne demandait plus rien. Dieu n’abandonne pas les siens qui sont à terre. Il place sur leur chemin des aides. Il est attentif, personnellement, à ce qu’ils vivent. « Moi, je suis pauvre et indigent. Mais le Seigneur pense à moi… » (Ps 40.18).

Un temps pour récupérer

Quelle est la mission du messager dépêché auprès d’Élie ? Imaginons-le se préparant, comme nous le ferions, à encourager Élie pour le relever. Que dire ? Rappeler les vérités fortes sur Dieu ? Renvoyer aux principes de la foi ? Secouer le prophète pour qu’il se reprenne ?

Une mission étonnante

S’il a suivi les consignes reçues, sa mission est tout autre. Elle tient en sept points : Chuuut ! Le laisser dormir. Il a besoin de sommeil. – Tout doucement, lui préparer à manger. Ne pas oublier l’eau, c’est vital. – Le réveiller en douceur, l’inviter à manger, le laisser faire. – Chuuut ! Le laisser encore dormir. – Tout doucement, lui préparer encore à manger. Ne pas oublier l’eau, c’est vital. – Le réveiller en douceur, l’inviter à manger, à reprendre la route. – Ne rien faire d’autre. Ne rien dire d’autre. Fin de la mission.

Le message qui ressort de cette mission étrange est que, pour relever quelqu’un, certaines réalités doivent être respectées : le corps et ses besoins, la présence bienveillante, le temps qui fait son œuvre.

Notre réalité

Nous avons tendance à penser que la foi devrait nous faire échapper à ces contingences. Ce récit nous dit que le propre d’une foi biblique est, au contraire, de les intégrer. Dieu nous a donné un corps : il nous faut respecter ses rythmes, ses besoins, ses limites, ses cassures, sa façon de récupérer. Ce n’est pas manquer de foi, mais nous situer au cœur de la foi au Dieu qui nous a créés. Il a fait de nous des créatures merveilleuses, mais ancrées dans des lois qu’il a données et qu’il respecte.

Repos

Grâce au soutien de Dieu, Élie avait accompli des choses magnifiques. Mais cette somme immense d’énergie dépensée a retenti sur son corps, l’a épuisé psychiquement jusqu’à altérer sa vision de la réalité. Pour se relever, pas de court-circuitage : il faut faire le chemin inverse, recharger ses batteries avant de retrouver une perception plus juste et de permettre à la foi d’éclairer à nouveau la vie. Si nous sommes épuisés et commençons à tout analyser négativement, nous n’avons pas forcément besoin d’une nuit de prières, mais d’abord d’un sommeil réparateur. C’est respecter l’œuvre du Dieu créateur. Il faut aussi du temps : certains chocs ne se résorbent que progressivement. Acceptons-le. Respectons-le.

Être « ange »

Et si nous voulons aider quelqu’un à se relever, pensons à l’ordre de mission reçu par l’ange venu du ciel pour soutenir Élie. Demandons-nous si avant de parler, de secouer, d’inciter à plus de foi, nous savons être présents, attentifs aux besoins qui conditionnent tous les autres. Si quelqu’un souffre, ne théorisons pas sur la souffrance. Acceptons d’être présents à la souffrance, cherchons les gestes capables d’apporter un peu d’apaisement, de confort. La présence et l’attention à l’autre avant les paroles. C’est une règle d’or. Et pour les paroles, ensuite, beaucoup de prudence, d’écoute, de respect de l’autre et de dépendance de Dieu.

Ce récit doit aussi encourager tous ceux qui, ici ou là, tentent d’aider par un simple geste, un mot, un gâteau, un texto. Agir ainsi, c’est parfois être comme un « ange du ciel » pour quelqu’un qui, comme Élie, a besoin de ce soutien sur son chemin de relèvement. Au jour où tout apparaîtra en pleine lumière, de vraies surprises se révéleront quant à la portée de tels gestes !

Un temps pour rencontrer Dieu

Le Seigneur respecte les temps et les besoins de son serviteur à terre. Mais il a aussi un rendez-vous pour lui. La dernière parole de l’ange à Élie parle d’une marche : « Mange, car autrement le chemin serait trop long pour toi… » (19.7). La perspective est donnée : il reste un chemin à faire.

La marche

« Élie marcha, quarante jours et quarante nuits, vers la montagne de Dieu à Horeb. » (19.8). Le langage rappelle la marche d’Israël au désert, vers la Terre promise. Élie, lui, fait le chemin en sens inverse. Il semble qu’il régresse. Mais dans ce désert, il y a la montagne de Dieu, à Horeb. C’est là que le Seigneur a fixé un rendez-vous à son serviteur au bout de tout.

« Quarante jours et quarante nuits » : pour Élie, c’est un temps étrange, mais qui l’achemine pourtant vers le rendez-vous qui le remettra d’aplomb. Bien des personnes connaissent cela, lorsqu’il faut se relever de gros chocs de la vie. Cette marche incertaine d’Élie nous rappelle que, même en de tels moments, Dieu nous soutient, pour nous acheminer vers ce qu’il a préparé pour nous.

Marche

La rencontre

Au terme de la marche, il y a une rencontre renouvelante, que Dieu a préparée. Elle changera toute la donne. Élie arrive à la montagne d’Horeb et « entre dans la grotte » pour y passer la nuit. Est-ce la grotte où Moïse s’est tenu ? C’est possible. Au petit matin, une question : « Que fais-tu ici, Élie ? » (19.9). Ce n’est pas un reproche, mais une invitation : Élie peut dire à Dieu ce qu’il vit, ce qu’il ressent. Il ne raconte pas des choses merveilleuses. On est loin des belles prières du début d’un culte. Mais c’est une parole vraie. Elle l’ouvre à nouveau à son Dieu.

Cette grotte reflète l’enfermement intérieur du prophète. Une autre parole lui est adressée : « Sors de la grotte, et tiens-toi dans la montagne devant le Seigneur ! » (19.11). Le moment de l’ouverture est venu. De quels enfermements aurions-nous à sortir ? De l’amertume ? Du découragement, de l’isolement ? D’un problème non réglé ? Du confort, de la nonchalance, du laisser-aller ?

Renouveau

Élie accepte de « sortir », de s’ouvrir à ce que Dieu peut lui montrer. La montagne devient le théâtre de toutes les manifestations de la puissance du Seigneur. C’est terrifiant. Insoutenable. Élie revit l’expérience du peuple d’Israël au pied du Sinaï (Ex 19) : montagne en feu, ébranlements, interdiction de s’approcher sous peine de mort. Cette puissance, Élie l’avait invoquée contre Israël infidèle, contre les Baals. Mais cette fois-ci, le Seigneur « n’était pas » dans ces déferlements (19.11-12). Ce n’est pas là son message pour Élie. Le prophète n’a pas à s’identifier à Israël, tenu à distance par le Seigneur et écrasé par sa grandeur. Si Dieu s’est ainsi manifesté devant Élie, c’est pour repousser cette crainte.

Après ce vacarme, un silence. Un calme bienfaisant, apaisant. Et là, quelque chose de très doux, « la voix d’un souffle léger ». Par contraste, Élie comprend : voilà le message de Dieu pour lui ! Il peut lui revenir en mémoire une autre manifestation de Dieu au même endroit. Moïse, épuisé par la révolte d’Israël, avait prié, lutté, pour que Dieu n’abandonne pas son peuple infidèle. À bout de force, il avait eu cette requête inouïe : « Fais-moi voir ta gloire ! » Dieu l’avait caché au creux du rocher, et avait proclamé son immense grâce et sa fidélité (Ex 34.5-7). Et le Seigneur avait continué à marcher avec son peuple.

« Tu as trouvé grâce à mes yeux » (Ex 33.17 ; 34.9). C’est le message de cette « voix comme une brise ». Jésus est venu nous l’annoncer, dans la manifestation la plus inouïe de la gloire de Dieu. Il est venu parmi nous, s’est donné pour nous, a triomphé de la mort par la résurrection. Une présence de proximité, le don du pardon, mais aussi une force victorieuse qui fait revivre. « Tomber sept fois, se relever huit… ». Cette grâce de Dieu, donnée, renouvelée, est notre recours. Où que nous soyons, son invitation est une promesse : « Va, et reprends la route ! » (1R 19.15). ■

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