La relation d'aide, vocation de l'Église ?
À l’heure où la relation d’aide a envahi nos milieux, il est bon de se pencher sur la question pour savoir de quoi nous parlons. Paul Millemann, pasteur et psychologue, s’attelle à la tâche et nous offre un ouvrage qui ressemble beaucoup à un manuel.
La relation d’aide, vocation de l’Église ? est un livre volumineux, dense et bien structuré. Il est accompagné d’une solide bibliographie et d’abondantes notes qui permettent d’approfondir chaque point abordé. C’est un instrument de travail. L’auteur tend à y démontrer que la relation d’aide est aussi l’affaire des Églises et qu’elle peut être spécifiquement chrétienne.
Le livre se découpe en vingt-deux chapitres, répartis dans cinq parties : définitions, repères bibliques, histoire, les différentes relations d’aides chrétiennes et leurs sources d’influences, une apologétique de la relation d’aide ecclésiale.
Paul Millemann débroussaille d’abord le terrain. Qu’entend-on par relation d’aide, cure d’âme, accompagnement pastoral, spirituel ou fraternel ? Ces pratiques se recoupent-elles ou recouvrent-elles des réalités différentes ? Quels sont leurs liens avec les sciences humaines (psychologie, psychothérapie, psychanalyse) ? Quel est l’apport de la Bible ? Une chose est sûre : tout cela concerne l’accompagnement de la souffrance. Puis l’auteur s’attache à examiner le texte biblique sous cet angle. Dieu prend part à la souffrance de son peuple et se montre un consolateur fidèle. Il établit différents ministères dont ceux de berger ou de prophète pour exhorter, encourager, reprendre. L’élément communautaire est très présent dans l’Ancien Testament. Les racines hébraïques naham (consolation) et hesed (bienveillance, amour, faveur) sont étudiées avec minutie. L’accompagnement de la souffrance est également important dans le Nouveau Testament. Jésus s’intéresse aux personnes, Paul exhorte disciples et Églises à pratiquer l’encouragement, la consolation. Dans la Bible tout entière, le souci de l’autre est essentiel et concerne tout le peuple de Dieu.
Suit une présentation de l’évolution de la relation d’aide (la cure d’âme) tout au long de l’histoire de l’Église, depuis les Pères jusqu’à nos jours ! Le panorama est très intéressant car nous voyons combien chaque époque a été influencée par les courants de pensée environnants ! D’une pratique presque codifiée mais collective au Moyen Âge, on aboutit à une personnalisation et une individualisation qui caractérisent notre époque.
Après nous avoir présenté les six différentes approches de la relation d’aide (issues pour la plupart de la psychologie moderne), Paul Millemann nous les détaille selon les critères suivants : méthodes thérapeutiques et intérêt pour la relation d’aide ecclésiale, principaux outils et public concerné par l’approche, forces et limites de l’approche, appréciation théologique (conception du divin, de l’homme, de l’usage de la Bible en accompagnement). Il faut bien reconnaître que peu ont vraiment l’approbation de l’auteur !
Paul Millemann évalue ensuite ces différentes approches chrétiennes de la relation d’aide à l’aune des méthodes présentées plus haut et des anthropologies bibliques sous-jacentes (holistes, monistes, dichotomiques, trichotomiques) : l’homme est-il composé d’un corps, d’une âme et d’un esprit ? Faut-il le considérer comme un tout ? L’âme et l’esprit sont-ils confondus ? Quelle place accorder à Dieu, à sa souveraineté, à la doctrine de la Trinité dans la relation d’aide ? À la Bible ? Chaque point de vue orientera la manière d’accompagner la souffrance ! L’auteur aborde également les approches relationnelles et communautaires par exemple pour une famille ou un groupe.
Jusqu’ici, le livre est très théorique ! Cependant les informations que nous recevons sont vraiment utiles et permettent de nous y retrouver dans ce labyrinthe ! Les pistes proposées peuvent ensuite être creusées à l’aide de la bibliographie déjà signalée. Des illustrations auraient été bienvenues. Cependant, dans son dernier chapitre, l’auteur nous présente « la méthode en sept étapes » qu’il pratique, celle de Famille je t’aime à l’aide d’un exemple. Pour cela, il nous expose le cas d’une jeune femme chrétienne en décortiquant tout le processus de l’aide apportée ! Et il s’agit bien d’un processus, comme pour les nouvelles techniques de management ! Il faut suivre le déroulé. Le souci d’empathie, d’écoute sont réels. Toutefois, le fait de n’aborder les problèmes rencontrés par cette jeune femme que d’un point de vue biblique me paraît très réducteur. Certes, la Bible est une aide précieuse dans la souffrance mais certaines difficultés nécessitent l’aide de spécialistes (ce que l’auteur ne nie à aucun moment). Cette méthode me semble confondre la cure d’âme proprement dite (l’aide pastorale) et l’aide psychologique. Pratiquée par des personnes non avisées, elle peut être risquée !
Nonobstant cette réserve, et si on garde à l’esprit que la méthode présentée en est une parmi d’autres, ce livre rendra service ! ■
Paul Millemann, La relation d’aide, vocation de l’Eglise ? (Excelsis, collection Diakonos, 476 p., 26 €)