PAR : Thierry Huser
Membre du comité de rédaction, pasteur, Église évangélique baptiste de Colmar

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À Bible ouverte
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Comment mettre en œuvre l’amour du prochain ? Jésus nous donne sa règle d’or, en une phrase, qui résume « la loi et les prophètes ». Quinze mots, soixante-quatorze caractères : une merveille de concision ! « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux. » (Mt 7.12).

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C’est clair, net, précis. Et surtout, éminemment pratique. Mais attention ! Les « petites phrases » de Jésus se saisissent de nous et ne nous lâchent plus. Elles ont un côté « poil à gratter », qui démange, ne laisse pas tranquille. Pourtant, si c’est pour le bien, cela n’en vaut-il pas la peine ?

L’art du Maître

Jésus fait ici la preuve de tout son talent de formateur. Il prolonge le principe général : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Son souci ? Nous indiquer une manière tangible de traduire ce principe. Avec Jésus, le concret n’est jamais dévalorisé et voici une façon plutôt féconde de nous y engager !

Cette parole porte la marque personnelle de Jésus mais est-elle aussi originale que cela ? Soyons honnête : d’autres sages ont utilisé des formules assez semblables. Confucius (Ve s. av JC) recommandait : « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’ils vous fassent. » Les stoïciens enseignaient la même chose. Peu avant Jésus, le rabbin Hillel, avait eu des mots très proches. On l’avait soumis à un test impitoyable : quelqu’un s’était planté devant lui, debout sur une seule jambe, lui demandant de lui dire toute la Loi, le temps qu’il tiendrait sur sa jambe sans poser l’autre à terre. Hillel avait accepté le défi, et répondu : « Ce que tu n’aimes pas pour toi-même, ne le fais à personne. Voilà toute la Loi, tout le reste n’est que commentaire. »

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Alors, Jésus, un moraliste comme les autres ? Ce ne serait pas choquant : Dieu n’a pas limité la sagesse à ses seuls enfants. Pour autant, malgré ces ressemblances, la parole de Jésus va plus loin. En effet, Jésus est le seul à donner une forme positive à cette règle d’or. Il dépasse le « tu ne feras pas » pour inviter à l’initiative : « Faites-le ! » Prends l’initiative vers ton prochain, sois inventif !

Nous voilà donc rassurés : Jésus, est le meilleur. Il a vu plus loin que tout le monde. Quelle sagesse, quelle élévation ! L’enjeu, pourtant, n’est pas là. L’Évangile n’est pas le concours de la meilleure formule. Nous n’avons pas à nous glorifier par procuration. Si Jésus va plus loin, c’est qu’il veut que nous allions plus loin. S’il met la barre plus haut, c’est qu’il attend que nous la mettions plus haut, grâce à son œuvre en nous. Comment donc nous approprier cette parole ?

Le grand renversement

Jésus veut nous conduire loin sur le chemin de l’amour du prochain. Néanmoins, son point de départ est à la portée de tous : « Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous... »

 Le point de départ

Jésus vient nous chercher en terrain connu. « Qu’aimeriez-vous que l’on fasse pour vous ? Qu’attendez-vous des autres ? » Voilà un domaine où nous ne sommes pas à court d’idées. En toutes sortes de situations, il nous est facile de nous représenter « ce que nous aimerions que l’on fasse pour nous ». Ou, à défaut, ce que nous aurions tant voulu que l’on ait fait pour nous. Le catalogue est bien fourni. Nous aimerions qu’on s’intéresse à nous, qu’on nous considère, qu’on nous accepte, qu’on soit juste envers nous, que de temps en temps on ait un geste sympathique, qu’on nous encourage, qu’on apprécie ce que nous faisons, qu’on nous aide lorsque nous sommes à la peine, que l’on vienne vers nous lorsque nous sommes seuls... et tant de choses encore !

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Jésus nous propose de partir de là, de ce terrain familier. Faites la liste de ce que vous attendez des autres. En attitudes, en paroles, dans les divers domaines de votre vie et de votre activité. Ensuite, arrêtez-vous. Pensez à l’autre, et dites-vous : « Voilà exactement ce dont lui, ou elle, a très certainement besoin ! Voilà exactement ce que lui, ou elle, est en droit d’attendre de moi ! Ce qui me semble légitime pour moi, l’est pour les autres aussi. Ce que je revendique pour moi, je peux le donner moi aussi, en tout premier. »

« Tout ce que vous voulez que les autres vous fassent, faites-le de même pour eux. »

 La grandeur morale

Que l’on s’entende bien. Il ne s’agit pas d’un calcul, de type « donnant-donnant », où l’on donne pour recevoir. Si Jésus avait cela en vue, il aurait précisé : « Faites-le d’abord pour eux. » Jésus dit, simplement : « Faites-le de même ! » Cette simplicité fait la grandeur morale de sa parole car elle implique que nous nous répétions, sans cesse, et à tout propos : « Je reconnais à l’autre, à mon prochain, tous les droits que je me reconnais à moi. »

Nous touchons ici au principe qui porte cette parole de Jésus. C’est un principe d’égalité. Tous les hommes naissent libres et égaux en droit, nous le savons. Cependant, Jésus pousse ce principe d’égalité jusqu’à nous conduire à le mettre en œuvre. À chaque fois que je pense à « mes droits », ou à « mes désirs », je suis invité à entrer dans la réciprocité. Il y a là comme un réflexe à cultiver : ce que je souhaite pour moi, je dois être prêt à le donner à l’autre. Et cela, de manière « normale ». Je ne suis pas sublime en pensant ou en agissant ainsi. J’applique juste un principe basique d’égalité, de réciprocité, qui est appelé à s’inscrire au fond de moi.

L’égalité ne fonctionne jamais à sens unique. Si je désire les mêmes droits que d’autres, je dois accorder ces droits aux autres. Si j’estime une chose légitime pour moi, je dois l’estimer légitime pour d’autres, à situations comparables. On ne peut pas revendiquer l’égalité des droits sans réciprocité.

Un remède radical

Il faut bien reconnaître que Jésus nous piège un peu. Il nous rejoint sur le terrain ambigu de nos attentes des autres. Cette liste est, facilement, le lieu de nos égoïsmes, de nos exigences, de notre ressentiment. Jésus y pénètre avec nous mais pour la retourner et l’ouvrir. Il vient transformer les attentes tournées vers nous en gestes tournés vers l’autre, et les exigences envers les autres en engagements en leur faveur. J’attends des autres une belle qualité de travail ? Je m’imposerai, dans mon travail, la même qualité que celle que j’attends. Ai-je éprouvé certaines déceptions ? J’aurai à cœur de ne pas reproduire ce qui m’a blessé. Le Seigneur nous invite à un immense recyclage ; de manière régulière, continue ; à propos de tout, comme une sorte de réflexe.

De la réflexion à l’action

Mais Jésus vise plus que notre regard : il désire notre action. « Tout ce que vous voulez que les autres vous fassent, faites-le pour eux. »

 Initiatives

Cette action se traduira en initiatives concrètes, fruit du renversement de notre regard.

Tu connais le besoin qu’on vienne vers toi, qu’on s’intéresse à toi ? Pense à d’autres qui, dans bien des situations, ressentent ce même besoin. Saisis l’occasion pour aller vers l’un ou l’autre : tu le sais, tu l’as senti toi-même, c’est un vrai besoin ! Et probablement, en faisant cette démarche, tu te sentiras bien mieux qu’en cultivant l’attente et en remâchant tes frustrations !

Tu ressens le besoin qu’on t’encourage, qu’on te donne de temps en temps une bonne tape sur l’épaule ? Regarde un peu autour de toi et vois s’il n’y a pas quelqu’un à qui une parole d’encouragement ou une tape sur l’épaule pourrait faire un peu de bien. Deviens autour de toi quelqu’un qui encourage. Et probablement en retireras-tu de la joie !

Tu désires qu’on te comprenne, qu’on t’écoute, qu’on soit sensible à ce que tu vis ? Tu as souffert d’être mal jugé ? Deviens autour de toi quelqu’un qui s’emploie à écouter, qui offre une oreille attentive et un accueil du cœur. Cherche à comprendre plutôt que de juger à l’emporte-pièce. Favorise la vérité et la bienveillance plutôt que de distiller le soupçon ou de répandre la critique. Probablement, en retireras-tu la joie de relations meilleures.

Voilà une façon dont Jésus se propose de recycler nos attentes : en faire autant d’initiatives en vue de l’action. « Faites-le ! »

Prudences

La ligne est claire. Néanmoins, son application demande malgré tout certaines prudences. En effet, Jésus n’applique pas cette parole n’importe comment : il nous invite, par elle, à accomplir « la loi et les prophètes ». C’est avec cet arrière-plan qu’il donne ce principe de conduite.

Une première prudence consiste à réfléchir à ce qu’il est légitime de désirer, pour soi et pour les autres. Nous pouvons avoir des désirs exagérés, insensés, égoïstes. Je peux souhaiter que tout le monde soit à mon service ou qu’on ne me contredise jamais. Cela ne peut pas devenir la base de mon action. Si, par exemple, je disais : « Je n’aime pas qu’on me contredise, donc je ne contredirai jamais les autres », je n’appliquerais pas légitimement la parole de Jésus. Car pour Jésus, la contradiction est parfois nécessaire : il a repris ceux qui faisaient le mal, il a dénoncé les hypocrisies. La Bible nous dit qu’accepter les réprimandes est sage et nécessaire (Proverbes 15.31-32). La règle d’or de Jésus ne doit pas nous faire basculer dans le n’importe quoi. Elle ne court-circuite pas l’évaluation de ce qui est juste et droit, pour moi comme pour les autres.

Une deuxième prudence consiste à respecter les différences de situations. Comment un enseignant exigeant pour ses élèves s’appliquera-t-il ce principe ? Il lui faut respecter la différence entre sa position d’enseignant et la position de ses élèves. Le principe de réciprocité ne nivellera pas la relation, si on affirme qu’élèves et enseignants sont sur le même plan, qu’il n’y a plus de différence entre eux. L’enseignant qui en demande beaucoup à ses élèves s’imposera beaucoup à lui-même : mais il le fera en tant qu’enseignant, dans sa responsabilité, qui est différente de celle de ses élèves à son égard. Pas d’aplanissement des situations, donc. C’est à situations comparables que l’on appliquera la règle de réciprocité.

Une troisième prudence consiste à respecter le vis-à-vis et l’altérité des personnes. Ce qui me semble souhaitable pour moi ne correspond pas forcément aux besoins de l’autre. Je ne vais pas imposer mes désirs aux autres sous couvert de réciprocité. Je dois tenir compte du fait que ceux qui m’entourent sont différents de moi, et adapter mon souci d’équité à ce qu’ils sont.

Une dernière prudence, enfin, consiste à respecter le cadre et le contexte de mon action. Comment, par exemple, appliquer la règle d’or de Jésus si, dans mon travail, je suis impliqué dans une négociation ? Une impasse totale serait de dire, de manière simpliste : « De quoi aurais-je envie ? De gagner ! Donc, je dois faire gagner l’autre, pour respecter la règle de réciprocité. » En agissant ainsi, on détruirait tout simplement le cadre de la négociation, et la responsabilité de chacun dans ce cadre, en tant que négociateur. Il faut donc trouver le juste terrain où appliquer cette parole de Jésus. Par exemple, celui des attitudes fondamentales. « Ce que je souhaite de l’autre, dans une négociation, c’est la droiture, le respect de la parole donnée, le souci d’un juste prix, et qu’on ne me trompe pas sur la marchandise. » Cela, je dois me faire un devoir de l’appliquer, dans ma manière de négocier. Ensuite, j’ai la responsabilité d’entrer dans la négociation, avec tous ses ressorts et ses subtilités, ses dits et ses non-dits, dans un plein vis-à-vis.

Décentrement et équité

Jésus nous invite à une démarche imaginative pour le bien de l’autre : « Comment aimerais-je être traité si j’étais dans sa situation ? » Il y a là un décentrement admirable, exigeant. Une piste, aussi, qui permet de régler harmonieusement tant de situations où ne s’affrontent que des « moi, moi et rien que moi ». L’ouverture que nous propose Jésus est une aide très concrète. En effet, elle nous invite à intégrer la situation de l’autre et à ne pas tout considérer à partir de notre point de vue personnel.

Cette règle est exigeante car elle vise l’équité. Il s’agit d’être et de rester juste, d’accorder à l’autre les mêmes droits, dans une réciprocité qui engage pleinement, tout en restant cohérent avec ce que l’Écriture enseigne par ailleurs. Voilà pourquoi, tout en ayant évoqué un principe d’égalité, il faut recourir à la notion, plus précise, d’équité. Sinon, on peut justifier n’importe quoi au nom du simple principe d’égalité. L’équité, elle, demande le respect de ce qui est juste ainsi que l’évaluation des situations. Jésus nous invite, toujours, à cette responsabilité.

Lui-même nous en a donné magnifiquement l’exemple. Il possédait toute la gloire du ciel. Pourtant, il ne s’est pas complu en lui-même, en cette gloire. Son désir a été de conduire à la gloire une multitude de fils et de filles. Et il l’a fait ! Il nous a voulus riches de ses richesses, aimés de l’amour qu’il recevait lui-même du Père : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. » (Jean 15.9).

Nous savons la beauté, la fécondité de cet amour d’ouverture et de vraie place faite à l’autre. À nous de l’actualiser, aujourd’hui, demain, et encore et encore… ■

Article paru dans :

mars 2019

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Mots-clés :
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