La confiance qui libère
Comment délester notre vie des fardeaux inutiles ? Il nous arrive de prendre en voyage des valises trop volumineuses, qui nous encombrent tout au long, et dont une bonne partie est inutile. Les conseils ne manquent pas, cependant, pour voyager léger. Les adeptes de l’ultra-light vont jusqu’à trouer leur brosse à dents ! Il est plus réaliste d’analyser nos besoins réels, et de refuser de céder aux impulsions du « ça peut servir »…
Dans votre Bible : Matthieu 6.24-34
Il faut parfois se délester pour avancer. Évaluer ce qui nous alourdit, nous embarrasse. C’est ce à quoi Jésus nous invite, dans son Sermon sur la Montagne, à propos de soucis qui entravent inutilement notre vie. Il avertit contre les soucis des païens qui ne reconnaissent pas Dieu comme leur bon Père céleste (Mt 6.32). Et il propose, en contraste, la légèreté et la liberté des oiseaux du ciel.
Les soucis des païens
Jésus évoque notre vie, notre nourriture, notre corps, ce dont nous serons vêtus. Mais très vite, il nous renvoie à notre façon de les considérer. Il contraste ceux qui reconnaissent en Dieu leur Père céleste, et les « païens ». Il s’inscrit aussi dans l’optique qu’on ne peut pas servir Dieu et Mamon (Mt 6.24) : les « soucis des païens » sont aussi ceux qu’engendrent l’Argent et le fait de tout attendre de l’Argent, et de lui seul. La foi en Dieu doit faire une différence dans la façon dont nous nous relions aux choses, et dont nous attendons que soient comblés nos besoins.
Quels besoins vise Jésus ? On pourrait penser qu’il en distingue quatre : votre vie, ce que vous mangerez, votre corps, ce dont vous serez vêtus. Mais, à regarder le texte de plus près, il n’y en a que deux : « Ne vous inquiétez pas quant à votre vie de ce que vous mangerez, ni quant à votre corps de ce dont vous serez vêtus. » (6.25a). En ajoutant que la vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement, Jésus montre qu’il envisage une situation où la vie et le corps ne sont pas spécialement menacés. Il semble plutôt se situer dans le cours normal de l’existence, où l’on peut encore reconnaître et valoriser le don d’une vie qui tient et d’un corps qui se maintient.
Aux soucis d’hommes et de femmes qui n’ont d’autre base de confiance qu’eux-mêmes, et de personnes qui ont toujours besoin de plus pour se rassurer ou se combler, Jésus oppose l’exemple des oiseaux du ciel, qu’il nous invite à considérer.
La subsistance des oiseaux
Dieu le Créateur prend soin des oiseaux du ciel. « Il les nourrit » (6.26), sans qu’ils aient besoin, ni de semer, ni de moissonner, ni d’amasser. Jésus a ici une affirmation très touchante : Dieu a soin de ces petites créatures, qui semblent bien fragiles, mais qui sont siennes ; il fixe la durée de leur vie, il leur donne une place dans sa création, il veille sur elles et leur donne en suffisance (cf. Mt 10.29). Jésus sait de quoi il parle, il est Dieu fait homme !
Comment Dieu nourrit-il les oiseaux ? Il leur donne, dans sa création, des ressources suffisantes. Ils y trouvent des baies et des graines. Parfois, le travail des hommes intervient. Mais le nécessaire est pourvu, en suffisance, en régularité. Même sans rien amasser, ils trouvent de quoi survivre. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont rien à faire : les oiseaux dépensent de l’énergie pour se nourrir. Jésus n’enseigne ni de ne rien faire, ni de ne rien amasser. Mais il nous invite à avoir confiance dans les ressources de Dieu pour nous, à croire au soin qu’il a pour nous : « Ne valez-vous pas bien plus qu’eux ? » (6.26).
La proximité du Créateur pour ses moindres créatures est touchante. Mais l’amour du Père céleste pour ses enfants est encore plus tendre, encore plus attentionné. Comme le chante un Gospel : « Son œil est sur le moindre moineau, et je sais qu’il veille sur moi aussi. »
Le contentement des oiseaux
Mais l’oiseau du ciel nous enseigne aussi par son contentement. Oublier la confiance en Dieu et remplacer notre Père céleste par l’Argent comme Maître engendre une soif insatiable de « toujours plus », et un besoin inassouvi de « toujours encore » pour assurer notre sécurité. On a beau posséder, on craint de manquer. L’abondance devient un nouveau souci, au lieu d’être un apaisement : il faut la maintenir, l’assurer contre les aléas, la revaloriser. Elle devient le but que l’on poursuit, au lieu d’être un simple moyen de vie ou de partage.
Comment vit l’oiseau ? Le philosophe Soeren Kierkegaard, dans un sermon intitulé « Les soucis des païens », développe une belle réflexion : « Dieu lui mesure chaque jour son exacte pitance : juste assez ; mais l’oiseau ne songe pas non plus qu’il a davantage. […] Quand Dieu lui donne "assez" l’oiseau mesure et dit : "C’est assez !" Qu’il apaise sa soif de la goutte de rosée juste suffisante, ou qu’il se désaltère à l’onde du plus grand lac, il prend exactement la même quantité ; il ne demande pas tout ce qu’il voit, ne convoite pas tout le lac où il se désaltère, ne songe pas à l’emporter pour être préservé de la soif. »
Le « souci », dans cette image, est de penser qu’il nous faut posséder le lac tout entier pour pouvoir enfin être en paix et en sérénité. Le « souci » est cette insatiable course à « plus » pour se sécuriser. Jésus nous rappelle : « Mais tu as la vie ! Mais tu as ton corps ! » Dieu te les a donnés. Ils sont des marques de sa bonté, et des outils dont tu peux te servir. As-tu besoin de te mettre en préoccupation pour toutes ces choses en plus ?
Il y a là un vrai appel à la simplicité, au contentement et à la reconnaissance. Un appel, aussi, à faire la différence entre l’essentiel et le superflu. Cet apprentissage, nous devons le renouveler sans cesse. Car on n’arrête pas de créer l’insatisfaction là où nous avons déjà tout, et de nous faire croire que nous avons besoin de tout ce qu’on veut nous vendre. « Ma voiture a déjà quatre ans d’âge et deux rayures : mon Dieu, c’est grave ! Ma collègue a « posté » des photos de son hôtel quatre étoiles aux Maldives, et je n’ai que quelques photos de mon gîte en Bretagne : mon Dieu, c’est grave ! » Nous sommes en plein dans ces « soucis des païens », tous les jours !
Jésus nous demande d’avoir un regard critique, sur nous-mêmes, sur nos valeurs, sur nos « besoins ». À donner plus de valeur à la vie, ce cadeau magnifique, qu’à tout ce dont nous pensons devoir nous remplir toujours et encore. À donner plus de valeur à notre corps, avec ses possibilités, qu’à tout ce dont nous voulons le parer, pour parfaire notre image. Je remercierai le Seigneur si j’ai plus que le nécessaire. Mais je garderai la simplicité, le sens de la mesure. Je refuserai le souci pour ce qui n’est que superflu. Je ne m’alourdirai pas de cela. Je veux rester libre, comme l’oiseau. Et confiant dans ce que Dieu me donne, m’a donné jusqu’ici, plutôt que d’être anxieux et frustré de tout le superflu que je ne possède pas.
On peut reconnaître aux paroles de Jésus une vraie valeur écologique. Elle vise une « écologie personnelle », pour rester sobres et sereins. Mais globalement notre monde souffre, profondément, de la confusion entre le superflu et le nécessaire. On veut le lac entier au lieu de ce dont on a besoin pour boire. On veut le lac pour soi tout seul, au lieu de partager les ressources. Le « souci des païens » a des conséquences globales que l’on ne peut ignorer.
L’inquiétude inutile
Jésus parle de nos valeurs. Mais aussi de toute la résonance intérieure qu’engendre notre rapport à nos biens et à l’avenir que nous anticipons.
L’anticipation et ses limites
Nous avons la capacité de nous projeter dans l’avenir, par la pensée. Ce processus est particulier. À vrai dire, nous ne savons rien de l’avenir. Mais nous savons qu’il existe des régularités, et nous avons la mémoire de ce qui s’est passé : c’est avec cela que nous anticipons. Que se passe-t-il lorsque nous traversons une route, alors qu’une voiture s’approche, mais qu’elle a déjà ralenti parce qu’elle nous a vus ? Nous avons observé son approche et son ralentissement : c’est de la mémoire. Nous faisons l’hypothèse d’une constante : elle va continuer à ralentir, ou garder la même vitesse. C’est avec cela que nous traversons. Mais tout se base sur la mémoire et sur l’hypothèse de la constance. Si le conducteur décide brusquement d’accélérer, c’en est fini. L’anticipation est une combinaison de mémoire et de constante. Nous n’avons que cela. Avec ce bagage, nous faisons des projections. Mais nous ne « savons pas » l’avenir.
La question qui se pose à nous est donc : que projetons-nous lorsque nous pensons à l’avenir ? Faisons-nous la somme des indications négatives de ce que nous vivons ? C’est l’inquiétude. Projetons-nous les hypothèses les plus positives ? On tire alors vers l’optimisme. Ne projetons-nous rien du tout, en ne considérant que l’instant ? On risque alors l’insouciance.
Les bases du regard en avant
Jésus nous rappelle que nos inquiétudes et nos angoisses ne changent rien, sauf qu’elles nous cassent et nous minent. « Peux-tu, par tes inquiétudes, ajouter quelques centimètres à la longueur de ta vie ? » (6.27).
Il nous propose, comme base d’anticipation de l’avenir, le regard de la confiance. Dieu est votre Père céleste. Voyez sa manière d’agir dans la création : la moindre fleur est parée de beauté. Voilà une constante, à intégrer. Et il est votre Père céleste qui sait ce dont vous avez besoin. Pouvez-vous penser qu’il vous oubliera, lui qui prend soin des moineaux, et qui pare les fleurs des champs ? Ne projetez donc pas vos peurs dans l’avenir. « Il nous propose […] le regard de la confiance. »
Mais fondez-vous sur la valeur que vous avez aux yeux de Dieu, sur la confiance en son amour, sur le soin qu’il prendra de vous comme il le fait pour sa création. Jésus nous invite à faire de l’assurance que Dieu prend soin de nous un élément clé dans notre anticipation de l’avenir. L’ensemble de la création nous le rappelle. Ce que nous avons déjà expérimenté de Dieu nous aidera. La promesse de l’attachement personnel de notre Père est une vraie force. L’amour total et triomphant, manifesté par la Croix et la Résurrection de Jésus, en assure la totale fiabilité.
Cette confiance, parfois, sera facile, et apaisante. À d’autres moments, elle exigera un vrai combat pour aligner nos sentiments sur ce que nous croyons. À d’autres moments encore, il nous faudra apprendre à nous « décharger », à nous délester sur Dieu de ce qui nous pèse. Mais la base, forte, reste la même : « Déchargez-vous sur lui de tous vos soucis, car lui-même prend soin de vous. » (1P 5.7).
Une liberté nouvelle
Tout cela vise à une liberté nouvelle : celle de chercher d’abord le Royaume de Dieu et sa justice. Bien ajustés dans nos valeurs, bien enracinés dans la confiance en Dieu, nous pouvons découvrir une liberté nouvelle et entrer dans ce que Dieu fait. Nous pouvons participer à ce qu’il construit, jouir de ce qu’il nous donne. Nous pouvons vivre plus ouverts aux autres au lieu d’être centrés sur nos seuls soucis. Nous pouvons nous donner, et découvrir la richesse du don, plutôt que de nous crisper sur ce que nous voulons à tout prix protéger. Nous pouvons vivre sous le soleil du pardon de Dieu, de sa bienveillance, et offrir ce soleil à d’autres. Nous pouvons participer à ce qui demeure, construire dans l’espérance de ce que Dieu fera advenir.
« Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice. » (Mt 6.33). Il y a là un geste d’ordre, une priorité. Si Dieu est Dieu, il mérite cette priorité. Il mérite que nous accordions une pleine attention à ce qu’il veut, à ce qu’il aime, à ce qu’il veut réaliser. Il mérite que nous fassions la promotion joyeuse et authentique de ce qu’il apporte dans une vie, par sa présence, par son action qui forme progressivement l’image de Christ en nous. Il mérite que nous manifestions, dans nos relations, ce royaume qui ne « consiste pas dans le manger et le boire, mais la justice, la paix et la joie, par le Saint-Esprit. » (Rm 14.17). Il mérite, aussi, que nous vivions une vie fondée dans la confiance et l’amour pour lui.
Mais de cette priorité le Seigneur veut faire une vraie bénédiction. « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses – celles que cherchent et qui soucient tellement les païens – vous seront données par-dessus. » La générosité de notre Père céleste, son attention pour nous, possèdent cette intention bienveillante. C’est ce qui nous permet de marcher, jour après jour, sous la bonne main de Dieu. ■
Seigneur, Tu m’as toujours donné le pain du lendemain,
Et bien que pauvre, aujourd’hui, je crois.
Seigneur, Tu m’as toujours donné la force du lendemain,
Et bien que faible, aujourd’hui, je crois.
Seigneur, Tu m’as toujours donné la paix du lendemain,
Et bien que craintif, aujourd’hui, je crois.
Seigneur, Tu m’as toujours gardé dans l’épreuve,
Et bien que dans la difficulté, aujourd’hui, je crois. Seigneur, Tu m’as toujours tracé la route du lendemain,
Et bien qu’en recherche, aujourd’hui, je crois.
Seigneur, Tu m’as toujours parlé quand l’heure était propice, Et bien que dans l’attente, aujourd’hui, je crois.
Seigneur, Tu as toujours accompli tes promesses,
Et malgré mes incertitudes, aujourd’hui, je crois.
Seigneur, Tu m’as toujours été l’Ami fidèle,
Et sans savoir le lendemain, aujourd’hui, je crois(*).
(*) Adaptation d’une prière de Lucien Deiss reprise par la liturgie de la Communauté de Pomeyrol.