PAR : Nordine Salmi
Membre du comité de rédaction, pasteur, Église baptiste de Genève

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L’image du père

L’accompagnement pastoral a évolué, c’est indéniable. Le modèle pastoral de la génération qui m’a précédé était celui du père, du chef de famille. Cette image a façonné l’accompagnement des croyants. Certains de ceux qui ont été au bénéfice de telle figure pastorale se souviennent encore de la visite du lundi qui venait « sanctionner » une absence au culte de la veille ! Devant cette figure paternelle, la piété du fidèle pouvait, ou devait, rendre des comptes. Les questions étaient parfois directes et visaient l’intimité de la piété. Tous n’investissaient pas ce droit (heureusement) mais peu de paroissiens s’étonnaient de ce qu’aujourd’hui on appellerait une atteinte à la vie privée. Le pasteur, père de famille, veillait sur sa « maisonnée ». Cependant cette « intrusion » se fixait des limites, tracées par la pudeur liée à ce qui, à l’époque, imprégnait la société. Si le pasteur était dans la confidence, bien des difficultés des paroissiens restaient sous le manteau pudique de Noé. Il n’était pas dans les mœurs pastorales d’y toucher.

 Un accompagnement de proximité

Cette image pastorale, parfois un peu distante et autoritaire, était souvent complétée par un accompagnement très concret et de tous les instants. Le pasteur répondait, suivant ses compétences, à toutes sortes de difficultés qui dépassaient largement le cadre de ses prérogatives. Celui qui m’a servi de modèle n’hésitait pas à retrousser ses manches pour réaliser une étagère à un paroissien peu fortuné ou à s’occuper des comptes d’une famille en difficulté. Que d’entretiens, de « cure d’âmes » n’a-t-il pas réalisés au travers de cette aide « humanitaire », loin de son bureau pastoral. L’accompagnement se mêlait à la vie quotidienne. Il est assez significatif que, sur le livre d’or qui lui a été remis lors de son départ, aucune allusion n’ait été faite à ses prédications, au demeurant remarquables. Seuls ressortaient ses accompagnements « matériels » qui ont transformé la vie de plus d’un de ses paroissiens.

Accompagnement

Vie publique, vie privée

La limite privée-publique de la vie pastorale était floue et parfois inexistante. Jeune chrétien, en recherche de modèle, je passais mes soirées dans le foyer du pasteur de l’Église. Lorsque j’y pense, j’en ai encore honte. Comment ai-je pu envahir leur soirée, et cela, jusqu’à des heures indues ? Mais j’avais chaque soir, sous mes yeux, un modèle de famille. Le pasteur ne m’a donné aucun cours sur « la famille » ou sur « le mariage ». Mais j’ai absorbé, en direct, toutes les leçons qu’ils ne m’ont jamais données. Leur exemple a été déterminant pour ma vie de famille. La vie privée de la famille pastorale s’est, fort heureusement, renforcée. La famille du pasteur ne sert plus « d’outil » professionnel à l’Église.

Visites et entretiens

Alors que j’étais jeune pasteur, personne ne s’offusquait que je propose, à l’issue du culte, une visite. Aujourd’hui au mieux on s’en étonne, au pire on s’en inquiète. Pourtant, les visites régulières permettent souvent d’anticiper les difficultés et parfois d’offrir l’occasion d’un espace de parole que le paroissien n’aurait pas osé demander de lui-même. La démarche est souvent initiée par le croyant lui-même. Ces entretiens occupent aujourd’hui l’essentiel de mon accompagnement pastoral.

La tentation du pasteur

L’ouverture de nos Églises aux données offertes par les sciences humaines a largement fait évoluer ce suivi pastoral. Elle s’est souvent faite sous la « pression » de croyants qui ont considéré, à juste titre, l’importance de cette contribution dans la prise en compte de l’individu dans sa globalité et dans une meilleure connaissance du fonctionnement psychologique humain. Cette évolution, sans aucun doute souhaitable, a « ringardisé » une forme de « cure d’âme » dont la pratique comportait un mélange de bon sens, un rappel des fondamentaux biblique et un soutien dans la prière. Si cette démarche (que je caricature) a été, pour bien des générations de croyants, un bienfait incontestable, le chemin de l’accompagnement, aujourd’hui, ne peut plus faire l’économie des données psychologiques. Il ne s’agit pas de jouer aux apprentis sorciers et de transformer le pasteur en psychothérapeute, mais de s’appuyer sur le bon sens qui se dégage de certaines données offertes par les sciences humaines. De ce point de vue, l’attente des membres d’Église est forte. Elle n’est pas neutre puisqu’ils ont eux-mêmes accès à toutes ces données. Bien souvent ils s’attendent à ce que nous les rejoignions sur ce terrain. Il n’est pas rare qu’ils jugent la qualité de Église du pasteur en fonction de cette capacité bien précise. Pour ne pas être disqualifié, la tentation est grande pour le pasteur de se transformer en ce qu’il n’est pas.

 Les langues se sont déliées

Les sujets qui, il n’y a pas si longtemps, étaient laissés à la porte de l’Église, aujourd’hui la franchissent beaucoup plus librement. La sexualité, les difficultés conjugales, les violences de tous ordres, occupent l’espace de l’accompagnement pastoral et nécessitent non seulement une formation spécifique mais également une maturité psychologique qu’aucun institut de formation ne peut offrir.

Des points relais

Heureusement, des ministères de suivi des personnes en souffrance se sont développés. Ces ministères permettent de soulager et de compléter le travail pastoral. L’évolution de l’accompagnement se trouve aussi dans ces « points relais » si utiles et bienfaisants pour chacun. Mais tous les pasteurs ne disposent pas dans leur Église ou à proximité de ce genre de relais. Ils doivent donc faire face à la situation avec les forces et la sagesse que le Seigneur leur donne.

Une prédication qui visite

La tentation est grande de se décharger d’accompagnements. C’est aussi dans cette proximité avec la personne souffrante que ma pastorale s’est enrichie, que mes prédications ont été nourries. Ce dernier élément est essentiel pour l’accompagnement, non seulement de toutes celles et ceux qui osent dire leur souffrance, mais aussi de toutes celles et ceux qui se taisent et qui ne souffrent pas moins. Nous l’oublions souvent, durant le temps de ma prédication je visite et j’accompagne bien plus de frères et sœurs que je ne le pense. Et peut-être qu’eux-mêmes ne le pensent… ■

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