PAR : Christian Baugé
Membre du comité de rédaction, Église protestante évangélique d’Ozoir-la-Ferrière

Article paru dans :
Rubrique :
Qu'en penser
Mots-clés :

Ce livre de Gordon Margery est sous-titré : « Regard sur les relations catholiques-évangéliques en France. »

Mais qu’est-ce qui a pris à cet ancien d’OM(1), pasteur en Bretagne puis en Île-de-France, professeur dans des instituts bibliques évangéliques, d’oser aborder un sujet aussi sensible que les relations entre catholiques et évangéliques ? C’est qu’il a une certaine expérience de la chose par notamment sa fréquentation du Groupe national de conversations catholiques-évangéliques, frères effectivement séparés, mais pas sans relations. Des personnalités des deux familles participent à ce groupe ; le CNEF nomme les participants évangéliques(2).

Cet ouvrage est un exercice d’équilibriste plutôt réussi d’un auteur loyal, qui fait la guerre aux caricatures et aux idées reçues, souvent nées de l’ignorance. Au cours de ma lecture, j’ai apprécié la justesse des mots, empreints de courtoisie et de politesse, loin des polémiques, dans un réel respect mutuel. Tout est mesuré au cordeau, surtout le langage avec une analyse pointue et une énorme documentation ; les huit pages de la bibliographie en témoignent. Non, l’Église de Rome ne peut être la Babylone de l’Apocalypse, exégèse à l’appui ! G. Margery invite ses amis catholiques « à être patients à l’égard des évangéliques ». La réciproque est sûrement vraie. Tout au long des deux-cent-cinquante-cinq pages de cet ouvrage, j’ai découvert tant de publications, de rencontres, de déclarations, de conférences, de livres pour appeler à un meilleur dialogue. En intitulant son dernier chapitre « Et maintenant ? », G. Margery revient sur les textes bibliques relatifs à l’unité ainsi qu’aux ruptures des siècles passés depuis les Actes des apôtres jusqu’à nos jours. Se fréquenter, combattre côte à côte, évangéliser, prier ensemble dans certaines conditions, est certainement possible si on prend la peine de mieux se connaître et de s’apprécier.

L'auteur avec son livre

Cependant, les sujets qui fâchent (primauté du Pape, Marie, salut, péchés, sacrements, transsubstantiation, contraception, divorce, etc.) sont abordés sans concession. Nos divergences sont exposées avec une grande rigueur théologique autant que tout ce que nous avons en commun. Le pasteur Margery nous aide aussi à comprendre le vocabulaire de nos amis catholiques, démontre que certains mots n’ont pas la même signification dans les deux « camps » et combien grande est l’érudition tant des rédacteurs de Rome que de ceux du CNEF.

La qualité des interlocuteurs du Groupe national des conversations catholiques-évangéliques m’a surpris. Pensez donc, ont apporté leurs idées à l’amélioration du manuscrit autant sœur A-M. Petitjean, les frères dominicains M. Mallèvre et F. Lemaître, ainsi que des personnes plus connues dans nos milieux : H. Blocher, S. Romerowski, pour ne citer qu’eux. Ça donne le ton et une idée de l’ouverture à l’autre !

Comme moi, vous apprendrez peut-être des mots nouveaux (le sacrement de chrismation, le sens de semper eadem, l’hyperdulie ou encore ce qu’est un culte aniconique). Vous constaterez que les Dix Commandements pourraient paraître n’en compter que neuf chez certains ; qu’une génuflexion est différente d’une simple inclination et que vénérer n’est pas adorer. Vous ne vous étonnerez pas que le mot « communion » n’a pas le même sens dans les différentes chapelles. Vous découvrirez aussi un peu d’histoire avec, par exemple, ce qui s’est passé à la célébration de Lund ou bien encore le vol de la plaque commémorative d’un pardon mutuel fixée dans la cathédrale d’Orléans en 2017. Vous pourriez être étonnés par certains aspects de Vatican II, rapportés dans le livre ou par la présence à Lourdes, un jour, du président du CNEF. Vous sourirez en lisant que, selon certaines statistiques, deux pour cent des catholiques vont à la messe tous les dimanches, et qu’en conséquence cette Église « est presque devenue une Église de professants ».

Espérons que ce livre n’aura pas fâché tout le monde, mais contribuera à une meilleure connaissance mutuelle des deux communautés chrétiennes qui, rappelons-le tout de même, ne sont pas d’accord sur tout en leur propre sein. Est-il possible, en gardant notre identité, d’avoir une approche conciliante malgré de sérieuses divergences ? Sans nier le fardeau de nos différences de culture et de théologie qui peut peser sur certains, j’ai apprécié l’idée d’un amour blessé entre nous que suggère l’auteur.

« L’apôtre Paul ne se trompe pas quand il dit que l’amour résume toute la loi » nous rappelle G. Margery. Augustin (saint ?) l’avait affirmé lui aussi.


(1) Opération mobilisation, mission évangélique internationale om.org/fr.

(2) Le Groupe national de conversation catholiques-évangéliques est une des commissions du CNEF, Conseil national des évangéliques de France (lecnef.org), pour sa partie évangélique.


Frères séparés, regard sur les relations catholiques-évangéliques en France (Excelsis, 2022, 272 pages)

Article paru dans :

février 2023

Rubrique :
Qu'en penser
Mots-clés :
Société

Le Prophète… du Far West

Jean-Marc Bellefleur
Article précédent
Article paru dans :