PAR : Emmanuelle Rocton
Membre du service d’accompagnement spirituel, église de La Bonne Nouvelle, Mulhouse

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Et vous, comment réagiriez-vous1 ?

Dans le train, 17h, un wagon exclusivement féminin et là, il entre avec son petit chien. Regards, paroles, gestes déplacés. J’ai seize ans et je prie, je ne sais pas quoi faire d’autre. Aucune femme ne bouge ni ne parle et toutes pensent comme moi sans doute : « surtout pas moi ! » Peur, culpabilité, honte, colère, des sentiments nouveaux au milieu de mon adolescence… et des situations analogues se multiplieront au cours de ma vie, toucheront aussi mes enfants et mon cœur tremble…

Aujourd’hui ? De nombreuses accusations de harcèlement sexuel secouent le monde : les affaires Weinstein, DSK, Baupin, Hamilton… Il ne s’agit plus de fermer les yeux, de laisser le silence couvrir le harcèlement d’une chape de plomb.

Stop harcèlement

Les problèmes de domination de l’homme sur la femme existent depuis bien longtemps, dans tous milieux, conséquence du péché originel. Le constat de violences contre les femmes peut être fait aux plans historique et social. Comme le dit le docteur Denis Mukwege2 : « Dans les zones de conflit, les batailles se passent sur le corps des femmes. » Certains sociologues vont jusqu’à affirmer que nous vivons aujourd’hui dans une « culture du viol » : les violences sexuelles sont trop fréquemment banalisées, voire justifiées. Les personnes qui en sont victimes portent bien souvent la honte et la culpabilité qui devraient accabler leurs agresseurs.

Actuellement, un arsenal législatif existe déjà, punissant le harcèlement et les agressions sexuelles. Pourtant, il ne semble pas toujours efficace pour changer les mentalités et engager les femmes à porter plainte.

Le harcèlement au travail.

Gestes ou commentaires grossiers, propos obscènes, contacts physiques… Près d’une femme sur trois (32%) assure qu’elle a été victime d’une forme de harcèlement sexuel au cours de sa carrière, selon un sondage de 20183. Les expressions verbales ou visuelles sont les atteintes les plus répandues.

Depuis 2000, une loi condamne le harcèlement moral au travail. Personne ne la remet en cause, même si le délit est compliqué à démontrer.

Le harcèlement dans la sphère familiale.

Le 9 juillet 2010, c’est le harcèlement moral au sein du couple qui devient punissable par la loi. Mais où commence la violence psychologique ?

« Chez mon " ex ", le pire, c’était l’incohérence », résume Karine, ex-compagne d’un responsable associatif qui n’a que les mots « paix », « dialogue », « négociation » à la bouche en public, alors qu’il en est incapable dans sa vie privée… « Un jour où je le mettais en face de ses mensonges et contradictions, fou de rage et à court d’arguments, il m’a frappée. Auparavant, il arrivait qu’il se contente de faire le geste de lever la main sur moi, mais il ne m’avait encore jamais brutalisée physiquement. »

Les experts sont unanimes : la violence physique, qui concerne une femme sur dix, est toujours précédée de violence psychologique.

Le harcèlement dans la rue, les transports.

MeToo

Le plan national lancé le 9 juillet 2015 par Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre hommes et femmes, vise à faire reculer l’ensemble des manifestations de sexisme. Le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, porté par la secrétaire d’État Marlène Schiappa, a été présenté le 21 mars dernier en conseil des ministres. Il consacre une nouvelle infraction d’outrage sexiste relative au harcèlement dans la rue, qui sera sanctionnée d’une contravention (de 90 à 750 € d’amende, majorée à 3 000 € sur mineur(e) de moins de quinze ans).

Hommes et femmes dans l’Église.

Quels regards portons-nous les uns sur les autres ?

Oui, j’ai été interloquée d’entendre quelques chrétiennes remettre en cause l’une ou l’autre tenue vestimentaire, arguant que les hommes regardent toujours les femmes avec des pensées malsaines.

Oui, j’ai été choquée d’entendre certains chrétiens « excuser » le harcèlement ou la violence faits aux femmes parce que ces dernières n’avaient pas un comportement ou une tenue adéquats !

Oui, j’ai pensé bien longtemps que le harcèlement ne pouvait pas franchir les murs de l’église et considéré les cœurs des chrétiens et chrétiennes, comme une garantie, une sécurité inviolable parce que le Christ prône cet amour qui se donne, qui croit tout, espère tout, pardonne tout…

Oui, j’ai été bénie dans l’Église, entourée par la compassion et la délicatesse de frères, au bénéfice de leurs compétences lors de déménagement, d’accompagnement auprès d’administrations spécifiques…

Que l’Église soit ce lieu où les femmes et les hommes se côtoient, s’apprécient dans un profond respect et amour fraternel mutuel, c’est alors que nous devenons à notre tour ouvrier de paix dans un monde marqué par la domination et la destruction.

« Aujourd’hui, la culture est favorable à la construction d’un nouveau vivre ensemble basé sur le respect et la dignité des hommes et des femmes. Les uns et les autres peuvent apprendre à se considérer comme des vis-à-vis de même valeur dès leur plus jeune âge. Les enfants et les adolescents ont besoin de modèles vrais et solides qui savent gérer leurs désirs sainement. Ils ont besoin d’être encouragés à dénoncer les gestes et les mots déplacés qu’ils en soient victimes ou spectateurs dans l’Église ou dans la société. […] Il est temps d’ouvrir les yeux sur ce qui se passe dans toutes les sphères de la vie : écouter et prendre au sérieux les témoignages de victimes et développer des mesures de justice restaurative4. » ■


(1) Question lancée par le gouvernement sur son site dédié à la lutte contre le harcèlement sexiste (egalite-femmes-hommes.gouv.fr/harcelement-transports).

(2) Denis Mukwege, gynécologue surnommé « L’homme qui répare les femmes », article en ligne sur http://francetvinfo.fr/sante/soigner/dr-denis-mukwege-l-homme-qui-redonne-vie-aux-femmes_1891119.html.

(3) Sondage Ifop pour http://VieHealthy.com.

(4) Le Christianisme aujourd’hui, 20 novembre 2017

Article paru dans :

mai 2018

Rubrique :
Société
Mots-clés :
Église sans frontière

L'Algérie vue du ciel

Nordine Salmi
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