PAR : Léo Lehmann
Membre du comité de rédaction, pasteur, Église protestante évangélique Le Cépage, Bruxelles-Ganshoren

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À Bible ouverte
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Le psaume 131 est un « cantique des montées » ou, comme l’explicite la Bible du Semeur, un cantique pour la route vers la demeure de l’Éternel. Il s’agit donc probablement de l’un des psaumes qui étaient chantés à l’occasion des pèlerinages vers Jérusalem pour les grandes fêtes, comme une méditation pour la route.

C’est sur le chemin de cette méditation que je vous propose de nous aventurer, en suivant simplement les trois versets de ce texte.

Quels projets dans ma vie ?

« Ô Éternel, mon cœur ne s’enfle pas d’orgueil, mes yeux n’ont pas visé trop haut, je ne me suis pas engagé dans des projets trop grands, trop élevés pour moi. »

Pourrions-nous dire la même chose que le psalmiste ?

En s’arrêtant de temps en temps, il est frappant de voir à quel point notre monde court. Le monde mesure les gens à la hauteur de leurs capacités, de leurs projets. Un agenda chargé, malgré toutes les complications qu’il produit, est souvent vu comme un signe de réussite. Et la tentation est grande de les multiplier pour trouver notre place, avoir une valeur aux yeux de ceux qui nous entourent. Toujours plus, toujours progresser, sont des slogans très importants dans notre monde.

Incompétence

En 1968, Laurence J. Peter, chercheur canadien, propose, non sans ironie, le principe suivant : dans une structure hiérarchique, tout employé progresse jusqu’à avoir atteint son niveau d’incompétence, puis il stagne. En effet, à un employé efficace on proposera des promotions. Ce n’est qu’une fois arrivé à son niveau d’incompétence, où on ne lui proposera plus de promotion, qu’un travailleur devrait rester en place. Ainsi, avec le temps, chaque poste tend à être occupé par un employé qui est incapable de s’acquitter correctement de ses fonctions…

Même si nous ne travaillons peut-être pas dans une structure très hiérarchisée il n’en est pas moins vrai que cette tendance pourrait bien nous guetter. Il n’est pas rare que nous nous retrouvions à multiplier les responsabilités, les activités diverses. Et cette tendance à multiplier les activités ne manque pas d’effets pervers. Prenons l’exemple des e-mails, ces messages électroniques que nous recevons sur nos ordinateurs et qui nous occupent tant. Il y a là un outil fondamental de notre prétention à faire toutes sortes de choses en même temps. Mais il vient aussi finalement l’étrangler lorsque nous ne sommes plus capables de répondre à toutes les sollicitations utiles. Il nous étrangle, ou étrangle le travail d’autres personnes dépendant de nous. J’imagine qu’il a pu à tous nous arriver de recevoir des réponses à des messages qui nous laissent comprendre que notre interlocuteur n’a pas vraiment lu ce que nous lui avions écrit… Ou d’envoyer ce type de message trop expéditif… Si ce n’étaient que les mails, ce ne serait pas trop grave, mais trop souvent la multiplication des activités nous met en difficulté dans les petites comme dans les grandes choses…

L’idolâtrie du travail, de la tâche accomplie, se fait bien souvent au détriment de l’autre, au détriment de la qualité de la relation. Nous oublions de prendre le temps, d’écouter… La course à la productivité est telle que nous avons parfois la naïveté de confondre « efficace » avec « bien », « bon » ou « juste ».

« O Éternel, mon cœur ne s’enfle pas d’orgueil, mes yeux n’ont pas visé trop haut, je ne me suis pas engagé dans des choses trop grandes, trop hautes pour moi. »

La phrase est parfois difficile à dire.

Mais quoi alors ? Devrions-nous renoncer à tout ce que nous espérons faire de bon là où nous sommes, dans ce monde ?

Calme et tranquillité

« Au contraire, je tiens mon âme calme et tranquille : comme un enfant sevré dans les bras de sa mère, comme un enfant sevré est mon âme en moi. »

enfant et sa mère

Loin de tous les projets trop ambitieux, de toute forme d’orgueil, le psalmiste se veut calme et tranquille, comme un enfant près de sa mère. Et un enfant rassasié, un enfant qui ne désire rien d’autre que d’être auprès de celle qui prend soin de lui.

Belle image de douceur… de paix… Cependant, un commentateur (Maillot) fait remarquer que dans le parallèle qu’il établit, le psalmiste se met lui-même en face de la mère. On aurait pu imaginer qu’il dise que son âme est en Dieu comme un enfant près de sa mère. Mais ce qu’il dit est que son âme est en lui comme un enfant auprès de sa mère. Qu’est-ce que cela signifie ? Je crois qu’il y a là une image de réconciliation intérieure… L’âme du psalmiste ne vagabonde pas en rêvant de toutes les grandeurs de la terre mais elle se tient sereinement dans la réalité de ce qu’elle est. Nous avons là la description d’un homme, d’une femme qui ne prétend pas atteindre les hauteurs des cieux mais s’en tient sereinement à sa condition humaine.

Pas toujours facile de nous en tenir à notre condition humaine, à nos limites. Le psalmiste dit qu’il « tient » son âme en lui… Ce n’est pas sans effort, tant nous voudrions être grands, importants, réussir. Lorsque Paul nous exhorte à laisser renouveler notre intelligence, remarquons que la première application qu’il fait de ce renouvellement est celle-ci :

« Par la grâce qui m’a été donnée, je dis à chacun de vous de n’avoir pas de lui-même une trop haute opinion, mais de revêtir des sentiments modestes, selon la mesure de foi que Dieu a départie à chacun. » (Rm 12.3).

Quelles sont nos limites ? Et comment vivons-nous ces limites ?

Mais l’image de l’enfant nous pousse vers d’autres réflexions aussi. Image de faiblesse, d’impuissance, d’abandon. C’est en ce sens que Jésus réutilisera la figure de l’enfant : celui qui dépend de son parent. Loin des soucis de ce monde qui accapareront l’adulte, l’enfant repose simplement dans la confiance à l’égard de ses parents. Une image que Jésus nous appellera à vivre dans notre relation avec Dieu.

Parce que si le psalmiste peut se dire ainsi au repos, loin des vanités après lesquelles notre monde court, c’est parce qu’il sait qu’il a quelqu’un qui veille sur lui. La fin du psaume laisse bien comprendre que c’est en Dieu que le psalmiste, David, trouve son repos. En Dieu il peut être ce qu’il est, un humain dépendant de son Père céleste. Nul besoin alors de courir après les hauteurs comme si notre vie dépendait de nous… comme si nous devions être Dieu.

Oui, nous pouvons multiplier les activités, faire énormément de choses selon les dons que Dieu nous a faits. La Bible est très loin d’encourager la paresse. Mais gardons-nous de trouver là notre contentement. C’est auprès de Dieu que nous trouvons un véritable repos, que nous vivons véritablement ce que nous sommes.

Et cela a des implications très concrètes dans notre vie… Bien évidemment lecture de la Parole et prière. Mais aussi respect de certaines formes de sabbat… C’est un symptôme inquiétant que dans beaucoup de nos semaines nous manquions de temps pour nous arrêter, que ce soit pour simplement nous reposer, pour prendre du temps avec Dieu, avec notre famille, nos amis, nos frères et sœurs. Un repas en famille, une soirée en couple, une promenade le temps d’un après-midi, la lecture d’un livre… notre mode de vie est parfois loin d’encourager ce genre de choses. Même le culte du dimanche est un temps que nous peinons à arracher à d’autres activités. Par moments, il se trouve pris dans une course qui fait que nous n’en profitons que trop peu, ou trop partiellement. Nous n’avons pas le temps de venir en avance pour pouvoir prendre le temps de saluer les uns et les autres, de s’installer tranquillement, de se préparer dans la paix à ce temps de rencontre avec notre Dieu… Pour diverses raisons, là aussi la course nous prend et nous sautons à pieds joints dans le culte.

Le début du Psaume parle de choses trop grandes, trop élevées, ou, dans certaines traductions, trop merveilleuses pour moi… Entretenir une relation avec Dieu, quelle chose merveilleuse ! Voilà bien une ambition folle pour moi, inaccessible. Mais dans sa grâce Dieu a pourvu à ce que cette folle aspiration puisse devenir réalité. Depuis le début de la création il œuvre pour entrer en relation avec les hommes, il s’adresse à eux. Plus encore, il a envoyé Jésus-Christ dans ce monde, il est venu personnellement, pour enlever les péchés qui bloquaient le chemin entre lui et nous. Et maintenant qu’il est monté au ciel il a envoyé son Saint-Esprit qui réside en nous pour nous tenir jour après jour en communion avec lui. Dieu veut entrer en relation avec nous et il a mis en place des moyens inimaginables pour le faire ! Nous sommes appelés à continuellement faire le tri dans ce qui nous occupe pour revenir à ce centre : Jésus-Christ qui nous appelle à vivre en relation avec lui ! Pourquoi nous agiterions-nous pour des ambitions qui ne sont pas subordonnées à celle-ci ?

Espérer en l’Éternel !

« Israël, mets ton espérance en l’Éternel, dès maintenant et pour toujours. »

Courir sans cesse… Même si l’on se contentait de réfléchir en termes d’efficacité, le résultat n’est guère pertinent : fatigue, baisse d’attention, d’écoute, négligence au travail, dans la famille, de sa propre santé, etc. S’il y a certainement bien des occasions où il nous faudra mettre toute notre énergie dans certains projets pour les faire avancer, transformer notre vie entière en course n’est pas ce que Dieu veut pour nous.

Réfléchissons… Quelles sont les choses qui accaparent mon énergie, mes réflexions ? D’après mon organisation, où se trouve mon espérance ? « Israël, mets ton espérance en l’Éternel, dès maintenant et pour toujours. »

Réjouissance

Notre espérance en l’Éternel… ce n’est pas juste une belle pensée spirituelle… c’est un mode de vie où nous ne nous appuyons pas sur toutes les choses que nous pouvons faire, mais où nous venons jour après jour puiser auprès de Dieu les ressources dont nous avons besoin.

Les gens qui nous entourent courent dans toutes sortes d’activités, sont pris dans toutes sortes de préoccupations, s’égarent dans toutes sortes de projets. Si nous ne faisons que courir avec eux, comme eux, à quoi servirons-nous ? Si nous ne visons pas sans cesse la proximité avec Dieu, si nous n’avons pas le temps de nous retirer auprès de lui, que trouveront-ils auprès de nous ? La valeur de nos vies ne se trouve pas dans toutes nos activités, dans tout ce que nous faisons. Elle se trouve en Dieu, dans sa présence, par son amour.

Nous pouvons faire beaucoup, mais quelles que soient nos ambitions ou nos détresses, rapprochons-nous avant tout de Dieu, trouvons notre repos auprès de lui.

Immense défi pour chacun de nous. Pourtant, c’est là que devrait être notre plus folle ambition, mettant véritablement notre espérance en l’Éternel, dès maintenant et pour toujours. C’est une route d’humilité, d’humble confiance, à laquelle sont appelés tous ceux qui, ensemble, cheminent vers la maison de l’Éternel. Ce psaume est un beau cantique pour cette montée, cette route qui, par Jésus-Christ, nous a déjà été pleinement ouverte.

« Israël, mets ton espérance en l’Éternel, dès maintenant et pour toujours. » ■

Article paru dans :

avril 2016

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