PAR : Thierry Huser
Membre du conseil de l’Association, pasteur à la retraite, Église La Bonne Nouvelle, Colmar

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À Bible ouverte
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Quelle place l’espérance a-t-elle dans notre vie ? Nous nous définissons volontiers comme « croyants ». Nous croyons en Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre ; en Jésus-Christ notre Sauveur, mort et ressuscité pour nous ; en l’Esprit-saint consolateur, Dieu présent et agissant en ceux qui s’ouvrent à lui. Mais sommes-nous aussi des « espérants(1) » ? Des personnes dont la foi ouvre un regard différent sur l’avenir, riche d’une attente positive qui conduit à l’action ? L’apôtre Paul nous invite à « abonder en espérance » (Rm 15.13). Le cœur de l’Évangile est « Christ en vous, l’espérance de la gloire » (Col 1.27). Impossible de parler de Jésus sans cette dimension d’espérance : il est, lui-même, « notre espérance » (1Tm 1.1).

Jeune homme poussant un vélo

Un monde sans illusion

Nous vivons dans un monde qui a perdu nombre de ses illusions. Dans mes jeunes années, tout le monde croyait en un avenir meilleur. Le progrès des sciences et des techniques ouvrait des perspectives d’avenir pleines d’espoir. Même ceux qui contestaient le progrès capitaliste annonçaient le « Grand Soir », qui renverserait l’ordre établi pour une société nouvelle. On voulait tous croire qu’on pourrait « changer le monde ».

Les temps ont bien basculé. La désillusion s’est installée. Les grandes utopies se sont échouées sur les rivages de l’histoire. On se sent empêtrés dans des réseaux que personne ne contrôle. L’angoisse climatique se greffe là-dessus, dans un horizon devenu bien sombre. On découvre, et c’est un choc profond, que notre monde peut avoir une fin.

Miroir brisé

Un article récent souligne ce basculement dans la littérature contemporaine : « La fiction s’est résignée à l’apocalypse, malheureusement(2). » Les nouveaux héros s’adaptent comme ils le peuvent à cette réalité. Les uns baissent les bras. D’autres cherchent les « petites raisons de vivre » qu’offre le quotidien et mettent sous le tapis leur mauvaise conscience de ne pas agir. D’autres s’entraînent à survivre. D’autres ruminent contre tout ce que l’on n’a pas fait et que l’on aurait dû faire. L’article se termine par un souhait : « Nous avons besoin de récits transformateurs. »

La tentation est grande pour nous chrétiens, d’affirmer tout sourire : « Nous l’avons, nous, ce récit transformateur ! Nous attendons un monde nouveau, merveilleux, éternel, qui balayera ce monde mauvais voué depuis longtemps à la perdition. » Est-ce cela « abonder en espérance » ? Certes, nous attendons un monde nouveau, libéré de tout mal, et pour l’éternité. Mais « vivre l’espérance » ne se limite pas à cela, et nous implique solidairement.

L’espérance au quotidien

Une première pensée est que l’espérance est d’abord une attitude qui concerne notre vie présente. Quand la Bible nous dit : « Espère en l’Éternel ! », la plupart du temps, c’est face à ce que l’on vit, maintenant. « Pourquoi t'abats-tu, mon âme, et gémis-tu au-dedans de moi ? Espère en Dieu, car je le louerai encore. Il est mon salut et mon Dieu. » (Ps 42-43). Celui qui parle ainsi est affligé et découragé, loin des jours heureux d’autrefois, aux prises avec l’oppression du mal. Mais il ne veut pas se complaire dans la nostalgie et le découragement. Il sait que Dieu garde des projets en réserve pour lui. Il s’encourage donc : « Espère en Dieu, car je le louerai encore. » Espérer de cette façon, c’est avoir confiance dans les ressources de Dieu pour notre vie d’aujourd’hui, dans les situations que nous traversons. C’est attendre, vraiment, du Seigneur qu’il réponde à nos besoins et accomplisse pour nous ses promesses. C’est faire basculer notre cœur dans cette direction : « Espère en Dieu, car je le louerai encore. »

Pas dans le sable

Bien des textes vont dans ce sens. La fin du psaume 27 résonne comme une résolution d’espérance face à une situation difficile. « Oh ! si je n'étais pas sûr de voir la bonté de l'Éternel sur la terre des vivants ! Espère en l'Éternel ! Fortifie-toi et que ton cœur s'affermisse ! Espère en l'Éternel ! » (Ps 27.13-14). On place dans son cœur la certitude de ce que Dieu va faire « sur la terre des vivants » ! Fort de cela, on s’encourage à avancer, on se fortifie pour l’action. Ce n’est pas une fuite loin de la réalité, mais un engagement dans le présent et l’avenir, parce qu’on les sait riches de ce que Dieu veut encore être pour nous.

Une telle espérance est portée par la conviction que Dieu possède et garde toujours des ressources pour ceux qui viennent à lui. Il est un Dieu vivant, agissant. Il n’est pas limité par ce qui nous limite, ni enfermé par ce qui nous enferme. Il est « le Dieu qui donne la vie aux morts et qui appelle à l’existence ce qui n’existe pas » (Rm 4.17). Là où je ne vois rien, Dieu peut toujours faire advenir de nouveaux possibles. Le nom même de Dieu dans l’Ancien Testament, dit cela : « Je suis celui qui suis » (Ex 3.14) ; et il inclut la nuance : « Je serai qui je serai ». Vous pourrez découvrir, encore et toujours, ce que je suis, par ce que je serai pour vous.

Le théologien allemand Jürgen Moltmann a une phrase admirable en relation avec le Dieu de l’espérance : « Son nom est un nom de route, un nom de promesse, qui ouvre un nouvel avenir, et dont on saisit la vérité dans une histoire(3). » Un « nom de route » : Dieu nous accompagne. Un « nom de promesse » : la promesse précède le peuple de Dieu, dans toute la Bible, le met en chemin, lui assure un avenir, tient bon malgré les obstacles, se réalise avec fidélité. Jésus l’illustre, totalement. « Un nom qui ouvre un avenir » : Dieu fait advenir ses ressources dans notre vie. « Sa vérité se saisit dans une histoire » : Dieu n’est pas une simple idée rassurante ou consolante, il s’éprouve dans la réalité et c’est ce qui construit notre histoire.

Le contraire de l’espérance est la résignation, l’inertie, l’abattement, le découragement. C’est pourquoi nous sommes invités à tenir ferme dans l’espérance : « Retenons fermement l’espérance que nous proclamons, car celui qui a fait la promesse est fidèle. […] N'abandonnez donc pas votre assurance, à laquelle est attachée une grande rémunération. Car vous avez besoin de persévérance, afin qu'après avoir accompli la volonté de Dieu, vous obteniez ce qui vous est promis. » (Hé 10.23,35-36). Espérer en Dieu conduit à la persévérance.

Deux attitudes opposées, mais symétriques, pèchent contre l’espérance : la présomption et le désespoir(4). La présomption veut tout « déjà et maintenant », et affirme tout avoir, déjà et maintenant. Le désespoir, quant à lui, anticipe le non-accomplissement de ce que l’on demande ou que l’on attend, se projette déjà dans ce cas de figure, comme il nous arrive parfois de le faire, même lorsque nous prions. L’un et l’autre passent à côté de l’espérance, qui confesse qu’elle ne possède pas et qu’elle attend (Rm 8.21), mais qui, lorsqu’elle attend, le fait avec confiance en les ressources de Dieu, en son action, sa bonté, sa sagesse. Seule cette attitude renouvellera notre vie, éclairera notre regard, donnera force à notre pas, portera notre persévérance. Cette espérance est portée par la foi, une foi qui se tourne vers l’avenir, et qui ajuste son cœur à ce qu’elle sait de Dieu.

Nous avons besoin, soulignait l’article cité, de « récits transformateurs ». Le premier de ces « récits » n’est-il pas le témoignage de vies qui, au quotidien de ce que nous traversons, montrent des ressources d’espérance, de paix, de joie ? Nous savons en qui nous croyons, nous comptons sur les bontés de l’Éternel qui « ne sont pas épuisées », mais se « renouvellent chaque matin » (Lm 3.23). Nous pouvons devenir des « espérants » de chaque matin. Nous pouvons l’être devant chaque obstacle : « Seigneur, que vas-tu faire, comment vas-tu m’aider ? » Nous pouvons le rester là où nous serions tentés de perdre courage, d’abandonner la partie, là où nous ne voyons pas l’issue, lorsque les craintes s’emparent de nos cœurs. Telle est la force et la portée de l’espérance au quotidien.

L’espérance et le projet de Dieu

Mais que dire lorsque nous regardons au contexte global de notre monde, à ses souffrances, ce sentiment de fragilité qui nous saisit, et toutes les craintes qui peuvent nous oppresser ? La foi chrétienne offre-t-elle un « récit transformateur » ?

« Nous attendons, selon la promesse de Dieu, de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera. » (2P 3.13). Le Dieu de l’espérance garde des ressources et des projets pour notre monde, qu’il veut renouveler de fond en comble, et dont il éradiquera le mal et tout le cortège des souffrances qui l’accompagnent. Le monde est sa création, il ne l’abandonnera pas au chaos du mal et de l’injustice. Mais il faut d’abord qu’il juge le mal, qu’il en montre l’échec, qu’il y mette un terme définitif et victorieux. Faire la preuve de l’échec du mal passera par des temps de chaos et de convulsions, la Bible ne le cache pas. Mais la victoire définitive sur le mal se fera par l’intervention du Seigneur Jésus venant en gloire et en puissance, pour juger les vivants et les morts, anéantir le diable et toutes ses œuvres, établir son règne éternel sur une terre et un monde entièrement renouvelés. Alors sera exaucée, en toute plénitude, la prière du peuple de Dieu : « Que ton règne vienne ! » Alors on découvrira la liberté merveilleuse d’être totalement « délivré du mal » : de tout mal, de tout penchant à faire le mal, de tout environnement mauvais, de toute crainte, même, de commettre ou de subir le mal. « Les délivrés y marcheront, une joie éternelle couronnera leur tête. » (Es 35.9-10).

L’aboutissement sera ample et large. « Il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire à venir qui sera révélée pour nous. » (Rm 8.17). Ce que Dieu tient en réserve surpasse, infiniment, ce que nous vivons aujourd’hui, et que nous pouvons imaginer. Il y a de quoi nourrir une forte et pleine espérance. Cette espérance n’est pas de vivre au ciel, à chanter des cantiques, mais de vivre pour toujours sur une terre totalement purifiée, renouvelée, dans des corps à l’image de celui du Christ ressuscité, dans la pleine présence et la pleine lumière de Dieu.

Paysage de montagnes

Tel est l’horizon de la promesse que nous fait le Dieu de l’espérance. Mais déjà la réalisation de cette promesse est en route. Ce monde nouveau a déjà commencé, est déjà inauguré. C’est en Jésus que tout cela a commencé. Il a revêtu notre humanité, pour devenir notre nouvel « Adam », le précurseur de l’humanité nouvelle libérée du péché. Il a pris sur lui notre condamnation, pour nous en délivrer pour l’éternité : « Tout est accompli ! » a-t-il pu dire, de ce point de vue-là. La route nouvelle de l’espérance s’est encore élargie par sa résurrection : en elle, c’est carrément le monde nouveau qui fait irruption dans notre réalité, car Jésus ressuscité est notre précurseur. Déjà l’humanité glorifiée existe, en sa personne. Déjà elle est définitivement victorieuse de la mort et de la corruption. Il en est le garant : « De même que nous avons porté l’image d’Adam, tiré de la terre, de même nous porterons l’image de Jésus, qui est au ciel. » (1Co 15.49).

Mais parce que le Christ est le Fils éternel de Dieu, par qui et pour qui tout a été créé, sa résurrection annonce le renouvellement de toutes choses, la restauration complète qu’il est venu accomplir. Elle est les prémices d’une moisson bien plus large : elle annonce la restauration, non seulement de l’humanité qu’il a assumée, mais de « tout ce qui est sur la terre et dans les cieux » (Col 1.20).

Autre anticipation de ce que nous espérons : déjà nous avons reçu l’Esprit saint, comme une sorte d’acompte de ce que Dieu tient en réserve pour nous (Rm 8.23 ; 2Co 1.22).

Le « récit transformateur » qu’offre la foi chrétienne n’est pas une vague promesse consolante. C’est, pour qui veut le voir, une promesse déjà bien ancrée dans la réalité, dans notre histoire, et pour une part dans notre vie : « Christ en vous, l’espérance de la gloire. » (Col 1.27).

Espérance et solidarité

Cela nous permet-il de nous installer dans une petite bulle d’espérance, le cœur bien au chaud, assurés que, pour nous, tout est bien ? Tel n’est pas le langage de la Bible. Paul nous dépeint la souffrance de la création tout entière, « soumise à la vanité » (Rm 8.20). Il évoque ainsi la fragilité, la mort, la frustration de tout ce qui n’aboutit pas, qui est détruit, qui se délite. La création tout entière « soupire », souffre et aspire à la liberté d’un monde renouvelé, cette « liberté glorieuse » promise aux « enfants de Dieu » (8.21).

Deux enfants assis dans l'herbe

Mais, continue l’apôtre, nous aussi, nous « soupirons », avec l’ensemble de la création, car nous aussi, nous attendons d’être délivrés de la vanité, de la fragilité, des conséquences du mal dans le monde. Nous avons, par la présence et l’action du Saint-Esprit, les prémices de notre espérance. Mais nous attendons d’expérimenter la plénitude de notre héritage d’enfants de Dieu (8.17,21,23). Nous attendons, tout particulièrement, la rédemption de notre corps, qui reste soumis à la mort, à la fragilité, à la maladie, aux limitations de tous ordres. Nous avons déjà, par le Saint Esprit, les « prémices » de ce que nous attendons, mais nous restons solidaires du reste de la création, de sa condition, de ses souffrances, de ses aspirations. Et Paul poursuit en disant que l’Esprit lui-même « soupire en nous », par des soupirs inexprimables (8.26). Dieu lui-même a le désir de voir tout cela renouvelé. Le Seigneur entretient en nous par l’Esprit l’aspiration à être délivrés du mal. Il accompagne nos soupirs et nos prières à l’égard du monde, de ses souffrances, de ses angoisses. Il agit aussi pour faire « travailler toute chose » à l’accomplissement de ses desseins (Rm 8.28).

Tout cela nous invite à une espérance pleine et entière, ancrée en tout ce que Jésus a déjà inauguré, mais sensible et solidaire. Tout cela nous invite à unir la joie de ce que nous attendons à la persévérance au jour le jour, tout en partageant les soupirs d’un monde de plus en plus conscient de ses limites et de ses fragilités.

« Que le Dieu de l’espérance nous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi, pour que nous abondions en espérance, par la puissance de l’Esprit saint. » (Rm 15.13).


(1) Cette belle expression est tirée de la première partie de la Théologie de l’espérance de Jürgen Moltmann (Cerf, 1983), qui a inspiré plusieurs réflexions de cet article.

(2) Courrier International, HS n°93, « Climat, le temps de l’action ».

(3) Théologie de l’espérance, p. 28.

(4) Cette perspective est attribuée à Joseph Pieper (1949) par Moltmann, op.cit., p. 19.

Article paru dans :

février 2023

Rubrique :
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Point de vue

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