PAR : Lydia Lehmann
Pasteur, Le Cépage, Bruxelles-Ganshoren

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À Bible ouverte
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« En toute franchise, je ne connais rien qui ait le pouvoir de nous changer de l’intérieur comme la liberté qui découle de la grâce(1). » L’expérience de la grâce de Dieu nous transforme radicalement. Et je vous propose de l’observer ici avec un récit bien connu de l’Évangile : la rencontre entre Jésus et la femme samaritaine (Jn 4.1-42).

Dans votre Bible : Jean 4.1-42

Ce texte nous concerne chacun à, au moins, deux niveaux : premièrement, il peut nous parler de nous-mêmes, des endroits en nous que le Christ veut encore toucher par sa parole de grâce libératrice. Deuxièmement, il peut résonner comme un appel à laisser transformer notre regard sur les autres et nous encourager ainsi mutuellement à vivre la liberté que Christ donne.

Enchaînée

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Exclue, bannie de la société. Une personne trois fois rejetée. En tant qu’étrangère, la femme samaritaine était rejetée par les Juifs. En tant que femme, elle était marginalisée par les hommes. Épouse de maris multiples, elle souffrait d’exclusion même de la part des autres femmes de son peuple. C’est pour cela qu’elle vient au puits à midi, aux heures les plus chaudes de la journée… (v. 1-7).

Trois fois rejetée. Pourtant, Jésus voit plus loin, il ne la traite pas comme une exclue. Il la prend au sérieux et lui parle d’être humain à être humain, d’égal à égal pourrait-on presque dire. Jésus s’expose volontairement au contact des Samaritains. Pour rejoindre la Galilée depuis la Judée, le chemin le plus direct passait par la Samarie. Cependant, les Juifs faisaient généralement un détour pour ne pas prendre le risque de croiser des Samaritains, peuple issu du mariage entre des Juifs du royaume du Nord et des étrangers. Pour Jésus, pas question de céder à ces préjugés. Cette route est la plus courte, alors c’est celle qu’il emprunte. Nos a priori auraient-ils tendance à nous faire faire des détours inutiles ?

« S’il te plaît, donne-moi à boire. » Cette demande de Jésus, simple, banale éveille quelque chose en cette femme trois fois rejetée. C’est ici que sa libération débute, c’est ici que Dieu commence à tirer sur ses chaînes.

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La première réaction de la femme est la surprise. « Comment ? Toi qui es juif, tu me demandes à boire, à moi qui suis une femme samaritaine ? » (v. 9). Comme pour être sûre d’avoir bien entendu… Et j’imagine qu’elle a failli en laisser tomber sa cruche. Et nous, à sa suite : « Quoi, Dieu m’adresse la parole ? À moi qui ai fait ceci ou cela ? À moi que l’on ignore souvent ? À moi qui semble parfois ne pas avoir de place ? Comment est-ce possible ? ».

Jésus utilise cette surprise, cet étonnement, pour commencer une discussion théologique avec elle. Dans le dialogue qui suit, il aurait plus d’une fois pu dire : « Ne te soucie pas de cela. Laisse cette question aux hommes(2). » Non, Jésus prend le temps de l’instruire. À l’époque, cette attitude est complètement révolutionnaire. Nous avons à faire ici à la conversation privée de Jésus la plus longue qui nous soit rapportée. Et son interlocuteur est une femme ! On ne cherchait aucunement à éduquer une femme à l’époque. « Il était inconcevable pour la plupart des rabbins d’enseigner la Torah à une femme. […] [Dans le judaïsme] les femmes ne pouvaient jamais avoir avec Dieu la même relation que les hommes. C’est à travers des personnes [masculines] de son entourage qu’une femme devait accomplir sa destinée spirituelle. […] Enseigner la loi de Dieu à une fille était considéré comme une perte de temps, voire pire(3). »

Jésus ne se laisse pas entraver par ces considérations culturelles. Il prend du temps pour elle. Il prend le temps nécessaire pour qu’elle soit prête à le suivre dans ce voyage passionnant de la soif du corps à la soif de l’âme. Le temps qu’elle ose lui présenter ses chaînes, ses bras écorchés par leur poids quotidien. Jésus prend du temps pour nous. Il nous rejoint quand d’autres nous excluent. Il nous rejoint aussi quand nous nous excluons nous-mêmes.

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Jésus discute et répond aux interrogations de cette femme sur sa foi. Et ce n’est pas tout. C’est à elle, une femme rejetée, que Jésus annonce pour la toute première fois qu’il est le Messie, envoyé par Dieu pour sauver l’humanité (v. 26). Nous sommes ici face au tout premier « je suis » de Jésus, ces « je suis » qui marquent l’Évangile de Jean. Et aussi face à cette puissante déclaration de Jésus : « Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif. Bien plus : l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source intarissable qui jaillira jusque dans la vie éternelle. » (v. 14).

Jésus fixe toute son attention sur cette femme trois fois rejetée. Il utilise ses extraordinaires dons d’enseignant pour une élève que d’autres n’auraient même pas regardée. Mais Jésus ose s’approcher d’elle, il ose regarder plus loin, plus profondément, il ose regarder à sa détresse profonde. Il voit les chaînes invisibles de son passé.

Dans la discussion théologique qui s’ensuit, Jésus se concentre sur des points essentiels. Il poursuit un but. Quand la femme pose la question de savoir si Jésus est plus grand que leur ancêtre Jacob, il ne répond pas directement. Il vise plus qu’une simple connaissance théorique. Jésus veut la libérer. Et c’est ce qui va se passer.

Libérée

Cette femme est premièrement libérée par l’attitude de Jésus à son égard. C’est Jésus qui a changé sa vie. Elle est transformée par son amour. La grâce a accompli son œuvre irrésistible. Jésus la considère comme il l’aurait fait avec n’importe quelle autre femme. Il lui montre que ses choix de vie n’ont pas fait d’elle quelqu’un d’indigne. À ses yeux elle n’a pas à être exclue.

Elle est libérée car elle était en attente de libération. Elle était en attente du Messie (v. 25). Elle savait que quelque chose n’allait pas… Elle avait soif. Jésus discerne en elle une soif qui dépasse la simple soif physique. Elle veut de cette eau mais c’est, avant tout, pour ne plus devoir aller puiser de l’eau en plein midi. Elle ne saisit pas encore la profondeur de sa soif. Doucement, millimètre par millimètre, Jésus ouvre ses yeux… Peut-être l’avez-vous expérimenté vous-mêmes. Bien souvent nous avons besoin de parcourir tout un chemin avant de nous rendre compte de notre besoin de libération.

Cette femme est aussi libérée en acceptant de faire un travail sur elle-même, de regarder à ce qui ne va pas. Un travail qui fait partie du processus de libération… Quand Jésus lui demande d’aller chercher son mari, il met le doigt sur l’endroit le plus douloureux, le plus meurtri de son âme. Elle aurait pu s’en aller toute triste. Non, elle accepte de lever le voile sur cet endroit caché car elle a discerné le non-jugement en Jésus. Comme il était l’être le plus libre, la plus grande bienveillance devait se lire sur le visage de Jésus(4), même quand il prononçait des vérités susceptibles de blesser ou bouleverser : « Va chercher ton mari. » (v. 16). La communication est indirecte, visant à ce qu’elle établisse un contact avec sa propre vulnérabilité, avec son besoin. Ensuite, Jésus devient très direct : « Tu as eu cinq maris et l’homme avec lequel tu vis n’est pas ton mari. » Encore une fois, en entendant ces paroles, elle aurait pu s’enfuir. « Un homme qui semble savoir tout de moi… beaucoup trop dangereux ! » Néanmoins, l’attitude respectueuse de Jésus tout au long de l’échange a consolidé la confiance naissante.

Elle est libérée en rencontrant Dieu, d’une manière nouvelle. « Dieu est Esprit et il faut que ceux qui l’adorent l’adorent par l’Esprit et en vérité. » (v. 24). Dieu n’est pas limité à un seul endroit. Dieu peut être adoré à n’importe quel endroit, dans n’importe quel lieu, par n’importe qui. Ce qui compte ce n’est pas l’extérieur, l’apparence, mais c’est notre attitude vis-à-vis de Dieu, « en Esprit et en vérité ». « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres » (Jn 8.32). Vous ne rencontrerez plus Dieu par votre propre force, mais selon que l’Esprit vous conduira. Vous rencontrerez Dieu librement en connaissant la vérité sur lui et la vérité sur vous. Vous adorerez Dieu, libres des chaînes de votre passé. Le programme de toute une vie…

Au v. 8, les disciples sont évoqués comme entre parenthèses par Jean. Il est temps de les sortir de cette parenthèse. Eux aussi ont besoin de libération. Quand ils reviennent avec leurs achats, leur réaction confirme une vision du monde centrée sur l’homme. « Sur ces entrefaites, les disciples revinrent. Ils furent très étonnés de voir Jésus parler avec une femme. Aucun d’eux, cependant, ne lui demanda : « Que lui veux-tu ? » ou : « Pourquoi parles-tu avec elle ? » (v. 27).

Quand Jésus nous libère, les paroles des autres sur nous ont de moins en moins d’importance. En tout cas, les disciples n’osent pas prononcer ces mots devant la femme. Discernent-ils qu’il y a quelque chose de mystérieusement grand qui est en train de se passer ?

Une chose est claire : Jésus veut les libérer eux aussi. « Ouvrez vos yeux et regardez ». Regardez les choses d’une nouvelle manière (v. 31-38). N’en restez pas à votre vision réductrice des choses. Vous êtes aveuglés par votre culture. Les femmes font partie de la moisson qu’ils sont appelés à récolter. Elles vont même faire partie des semeurs, comme le montre la suite du récit. Les Samaritains de même…

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Notons finalement que dans la discussion entre Jésus et les disciples apparaît un élément fondamental pour nous mener vers la liberté dont témoigne Jésus : accomplir la volonté de Dieu. Nous mettre à l’écoute de Dieu, sa Parole, son Esprit. Ce qui rendait Jésus si merveilleusement libre, c’était sa dépendance absolue et joyeuse envers son Père céleste.

Sommes-nous prêts à faire les pas d’obéissance qui nous conduisent vers la liberté ? Quel pas est devant vous ? Nous avons besoin d’écouter et obéir à la Parole de Christ pour connaître la liberté.

Déchaînée

Cette femme est libérée, transformée. Elle est même « déchaînée ». La femme exclue, trois fois rejetée, devient une évangéliste au témoignage percutant : « Alors, la femme laissa là sa cruche, se rendit à la ville, et la voilà qui se mit à dire autour d’elle : Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Et si c’était le Christ ? Les gens sortirent de la ville pour se rendre auprès de Jésus. » (v. 28-30).

Nos libérations n’attirent pas les gens à nous mais à Jésus- Christ lui-même. Nos témoignages de libération le mettent à l’honneur, Lui. C’est en Jésus, et par ses paroles à lui, que le ministère de cette femme a porté du fruit, beaucoup de fruit même : « Il y eut, dans cette bourgade, beaucoup de Samaritains qui crurent en Jésus grâce au témoignage qu’avait rendu cette femme en déclarant : Il m’a dit tout ce que j’ai fait. Lorsque les Samaritains furent venus auprès de Jésus, ils le prièrent de rester, et il passa deux jours chez eux. Ils furent encore bien plus nombreux à croire en lui à cause de ses paroles, et ils disaient à la femme : Nous croyons en lui, non seulement à cause de ce que tu nous as rapporté, mais parce que nous l’avons nous-mêmes entendu ; et nous savons qu’il est vraiment le Sauveur du monde. » (v. 39-42).

Nous n’avons pas été simplement libérés pour mener notre vie comme auparavant. Nous avons été libérés pour quelque chose de nouveau, de plus grand. Comme cette femme nous sommes appelés à participer à la moisson du Royaume de Dieu, par pure grâce. Celui qui comprend quelle libération lui a été acquise comprend l’importance de témoigner à son tour à ceux qui sont encore enchaînés.

Déchaînés ! Ce qualificatif pourrait nous effrayer. Cependant, la liberté dont il est question ici n’est pas n’importe laquelle : libres d’obéir, libres d’aimer, de pardonner aux autres et de recevoir le pardon pour nous-mêmes. Libres de laisser les autres être ce qu’ils sont, différents de nous ! Libres d’espérer l’action de Dieu au-delà des limites de l’effort humain, là où nous avons dû nous arrêter. Libres de servir et de glorifier Christ. En des termes on ne peut plus clairs, Jésus-Christ a assuré les siens que sa vérité pouvait les libérer : « Si donc le Fils vous affranchit, vous serez réellement libres. » (Jn 8.36)(5). » C’est une énergie extraordinaire que dégage cette liberté !

Enchaînée, libérée, déchaînée

Jésus a assuré à ses disciples :« Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres. » (Jn 8.32). La liberté… nous y aspirons tous. Le chemin que nous dessine Jésus pour y parvenir passe par la connaissance de la vérité qui est en lui.

Quelles sont les choses, les attitudes ou les pensées qui aujourd’hui encore ont tendance à m’enchaîner ? Dans quel domaine ai-je besoin de plus de liberté ou une liberté plus profonde ? En famille, au travail, dans mes pensées, mes émotions ? Comment la Parole de Christ peut-elle m’apporter plus de liberté dans ces domaines ? Comment le regard du Ressuscité peut-il transformer mes perspectives et faire tomber mes chaînes ?

Si nous appartenons à Christ, c’est assurément que certaines chaînes sont déjà tombées : incrédulité et aveuglement ont été écartés par l’œuvre du Saint- Esprit. En quoi cette libération s’est-elle fait ressentir comme un bienfait ? Quels fruits a-t-elle portés ? Pouvons-nous aujourd’hui encore nous en réjouir ? Quelles autres libérations Dieu a-t-il accompli dans votre vie depuis ?

Dieu n’en a pas fini avec nous. Il a fait de nous ses enfants et il veut nous libérer toujours plus en profondeur pour porter toujours plus loin la Bonne Nouvelle de son Royaume.

« Jésus-Christ est le même hier, aujourd’hui, et pour toujours. » (Hé 13.8). Que le regard de grâce de Jésus nous transforme et nous libère encore et encore ! Et que nous osions être « déchaînés » pour Dieu et poser à notre tour sur les autres des regards de grâce porteurs de liberté. ■


(1) Charles R. Swindoll, Eveil à la grâce, Romanel-sur-Lausanne, La Maison de la Bible, 1994, p. 5.

(2) Loren Cunningham et David Hamilton, Et pourquoi pas les femmes ?, Yverdon-les-Bains, Jeunesse en mission, 2007, p. 119.

(3) Ibid., p.104-105.

(4) Cf. Charles R. Swindoll, op cit., p. 6.

(5) Charles R. Swindoll, op cit., p. 48.

Article paru dans :

mai 2019

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