PAR : Kévin Commere
Pasteur, Église évangélique baptiste La Bonne Nouvelle, Montbéliard

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À Bible ouverte
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Les fables de Jean de la Fontaine sont à la fois très réalistes et piquantes à souhait. Elles touchent pile là où ça fait mal ! En termes plus imagés, elles font mouche ! Écoutons par exemple la conclusion de la fable La cigale et la fourmi :

« La fourmi n’est pas prêteuse : C’est là son moindre défaut.

« – Que faisiez-vous au temps chaud ? dit-elle à cette emprunteuse.

« – Nuit et jour à tout venant je chantais, ne vous déplaise.

« – Vous chantiez ? J’en suis fort aise. Eh bien ! Dansez maintenant. »

De la même façon, au VIe siècle avant Jésus-Christ, il fut demandé au peuple de Dieu non pas de danser, mais de chanter. Ce « chantez maintenant », vous le trouverez dans le psaume 137.

Des chants de Sion

homme sans espoir

Le peuple d’Israël est face au mur. Littéralement, au bord de l’Euphrate à environ un millier de kilomètres de Jérusalem. Vous aurez vite compris en lisant ce psaume que ce n’est pas la joie. Bien au contraire. Le psaume 137 aurait très bien pu être intégré aux Lamentations de Jérémie.

Nous sommes au temps de l’exil à Babylone. Non seulement le peuple se retrouve là sans objectif, sans direction, sans joie, sans but ; non seulement le peuple se retrouve asservi à des étrangers, mais en plus, il doit subir les ironies, voire les moqueries de ses nouveaux maîtres !

« Chantez-nous quelque chant de Sion » leur disent ceux-ci (v. 3). Il semble que les Israélites sont connus pour leurs chants ! Ils sont connus pour leurs danses. Ils sont connus pour leur célébration du Dieu Tout-Puissant auquel ils sont attachés. Ce qui me fait dire cela, c’est que les Babyloniens sont assez précis dans leur demande ! Ce ne sont pas n’importe quels chants qu’ils veulent entendre. Ce sont les chants de Sion ! Les chants de leur pays. Les chants que le peuple a l’habitude de chanter devant son Dieu ! Les chants entonnés lors des différentes cérémonies de réjouissances et de louange à Yahvé, Dieu d’Israël…

Plusieurs commentateurs pensent que si les Israélites sont là, tous ensemble, au bord de l’Euphrate, c’est peut-être parce qu’il y a là un lieu de rendez-vous cultuel pour prier ou évoquer le souvenir du Seigneur. Raison de plus pour les Babyloniens de leur demander quelques chants de Sion ! 

Mais cette demande est source de souffrance car elle met le doigt sur quelque chose qui fait l’identité même du peuple élu : la louange et la reconnaissance au Dieu trois fois saint. Exercice qui paraît si difficile à présent.

Le peuple avait un lieu tout indiqué pour ses chants et ses danses. C’était à Jérusalem, aux alentours du Temple ! À elle seule, la vue du Temple pour le Juif pieux était un sujet de louange et de reconnaissance ! Plusieurs psaumes le soulignent. Mais loin de Jérusalem, tout est différent ! Les chants et les danses ne peuvent pas prendre la même tournure ! Ce n'est plus la même tonalité ! Ce n’est pas possible, on ne peut pas faire comme si…

Entendre des étrangers moqueurs demander de la joie et des chants de Sion dans cette situation-là, ça fait mal ! Le peuple est touché là où la blessure est la plus ouverte, la plus profonde… Cette demande est un véritable crève-cœur.

Ce d’autant plus que les Israélites ne sont pas arrivés à Babylone tout à fait par hasard ! Si le psaume demande de ne pas oublier Jérusalem, c’est justement parce qu’ils l’avaient d’une certaine manière oubliée ! C’est qu’ils avaient délaissé le Temple, qu’ils avaient adoré d’autres dieux ! Voilà pourquoi ils se retrouvaient quelque mille kilomètres plus loin, au bord de l’Euphrate !

Si je t’oublie, Jérusalem…

« Si je t’oublie, Jérusalem, que ma droite m’oublie ! Que ma langue colle à mon palais si je ne pense plus à toi, si je ne fais passer Jérusalem avant toute autre joie. » (v. 5-6).

Tiens, tiens, c’est maintenant que tu dis cela ? Maintenant que tu es loin, maintenant que tu n’as plus accès à Jérusalem ? Maintenant que tu ne peux plus ni jouer ni chanter pour elle ? C’est lorsqu’on perd une chose qu’on finit par s’apercevoir à quel point elle nous était précieuse !

En lisant ce psaume, on pourrait se mettre dans les sandales des Israélites et pleurer avec eux. Et il y a de quoi. On peut aisément comprendre la colère exprimée de manière si violente dans les derniers versets. Celui qui ne peut comprendre cette colère n’a pas idée des atrocités qu’a subies le peuple lors de la prise de Jérusalem par les Babyloniens.

Ce psaume peut donc être une invitation à comprendre l’autre dans sa difficulté, et à demander justice avec lui auprès de Dieu.

Mais en même temps, j’ai le sentiment que ce psaume peut aussi nous servir d’exemple, ou plutôt, d’avertissement. En effet, cette situation à fendre le cœur n’a rien d’enviable ! Personne ne lit ce psaume en disant : tiens, j’aimerais bien vivre ce genre d’expérience ! Au contraire, il faut l’éviter à tout prix.

Ce psaume ne fait-il pas un peu état de nos contradictions humaines ? N’apercevons-nous pas à quel point les choses nous sont précieuses avant d’en être privés ? La situation vécue par les Israélites nous interroge : Et toi, quel est ton trésor ? En prends-tu soin ? Le gardes-tu comme s’il pouvait t’échapper ?

coffre

Vivre comme si on ne pouvait jamais rien perdre, n’est-ce pas déjà avoir tout perdu ? Le peuple d’Israël se disait : Puisque je suis l’élu de Dieu, rien ne pourra m’arriver… (cf. Jr 7.4 ; Mi 3.11). Babylone répond : Eh bien, chante maintenant ! L’histoire nous invite à réfléchir à ce qui nous tient à cœur, à ce qui nous est précieux et à ce que nous faisons pour le préserver.

Un chant nouveau

Les harpes et les cithares sont-elles restées indéfiniment suspendues aux saules de Babylone ? Évidemment, non ! Non seulement parce que chanter le Seigneur est comme inscrit dans l’ADN même du peuple de Dieu, mais aussi et surtout parce que, tout comme Dieu avait pourvu à la sortie d’Égypte, Dieu a également pourvu à la sortie de Babylone ! En l’an 539 avant notre ère, Cyrus le Perse est arrivé, a envahi Babylone et a renvoyé tous les peuples déportés vers leurs territoires d’origine !

guitare

Quelle fut la réaction des Israélites ? Une joie sans pareille bien évidemment ! Le psaume 126 nous dit que ceux qui ont vu les captifs revenir dans Sion étaient comme ceux qui font un rêve ! « Alors notre bouche était pleine de rires et notre langue criait sa joie ; alors on disait parmi les nations : "Le Seigneur a fait pour eux de grandes choses !" » (v. 2).

Impossible d’imaginer ici que les instruments de musique n’aient pas retenti ! Forcément, s’il y a eu de la joie, il y a aussi eu des danses et des chants de reconnaissance et de bénédiction au Seigneur, Sauveur, Libérateur ! Il en avait été de même au moment de l’Exode, lors de la sortie d’Égypte, avec Myriam et son tambourin ! (Ex 15.20-21). Car oui, qui dit « nouvel exode » dit « nouveau cantique » !

Psaume 96 : « Chantez au Seigneur un chant nouveau, chantez au Seigneur, terre entière ; chantez au Seigneur, bénissez son nom ! Proclamez son salut de jour en jour ; annoncez sa gloire parmi les nations, ses merveilles parmi tous les peuples ! » (v. 2).

Psaume 98 : « Chantez au Seigneur un chant nouveau, car il a fait des merveilles. Sa droite, son bras très saint l’ont rendu vainqueur. […] Acclamez le Seigneur, terre entière ; faites éclater vos chants de joie et vos musiques ; jouez pour le Seigneur sur la cithare, sur la cithare, au son des instruments. Avec les trompettes, au son du cor, acclamez le roi, le Seigneur […]. » (v. 1,4-6).

On le voit bien dans l’Écriture, il était commun de chanter le Seigneur après les batailles, après les délivrances. Il était commun d’entonner un chant nouveau en l’honneur du Seigneur, le Libérateur, le Sauveur. À la sortie de Babylone, ce nouvel exode, devait donc être assorti d’un chant nouveau.

Eh bien ! Chantons !

Et aujourd’hui encore, un chant nouveau est appelé à résonner. Dans l’histoire du peuple de Dieu, les Israélites ne sont pas les seuls à être au bénéfice de la grâce de Dieu au travers de ses libérations. Nous aussi, étrangers aux promesses, nous avons été rendus bénéficiaires d’une libération, d’un salut plus grand encore ! Celui réalisé en Jésus-Christ, lors de sa mort et de sa résurrection !

Trois jours après sa dernière Pâque, Jésus a inauguré, en son corps, le nouvel exode tant attendu. Et lorsqu’il est entré au ciel, dans la présence du Père, lorsqu’il a été jugé digne de rompre les sceaux et d’ouvrir le livre, la cour céleste a entonné… un chant nouveau : « Tu es digne de recevoir le livre et d’en rompre les sceaux car tu as racheté pour Dieu, par ton sang, des hommes de toute tribu, langue, peuple et nation. » (Ap 5.9).

Pourquoi un chant nouveau ? Parce que Christ nous a libérés ! Parce que Christ, par son œuvre de rédemption, a ouvert une ère nouvelle ! Celle du salut ! Une ère que personne ne peut refermer !

Quant à nous aujourd’hui, nous avons été libérés, mais comme le dit l’apôtre Paul, c’est en espérance ! (Rm 8.24). Nous ne sommes pas encore de retour à la maison, nous ne sommes pas encore dans le pays promis par Dieu. Nous sommes en attente.

danse

Mais s’il est vrai que nous sommes en attente, nos harpes, nos cithares et nos luths ne sont pas suspendus à un quelconque arbre d’ici ou de là-bas ! Notre musique, ou plus largement notre reconnaissance et notre louange, peuvent déjà retentir. Cette reconnaissance et cette louange font partie, pour nous aussi, de notre ADN !

En Christ, nous avons été faits pour cela : « En lui, Dieu nous a choisis avant la création du monde pour que nous soyons saints et sans défaut devant lui. Dans son amour, il nous a prédestinés à être ses enfants adoptifs par Jésus-Christ. C’est ce qu’il a voulu, dans sa bienveillance, pour que nous célébrions la gloire de sa grâce, dont il nous a comblés dans le bien-aimé. » (Ép 1.4-6). Nous avons été faits pour cela ! Ma prière, c’est que le monde nous reconnaisse comme ceux qui publient haut et fort la gloire de Dieu !

Bien sûr, il nous arrivera, par la foi, de louer Dieu dans une situation de difficulté et d’oppression. Nombreux sont les chrétiens qui ont chanté Dieu au cœur de l’impasse, en exil. Quant à nos contradictions humaines, elles nous amèneront malheureusement bien souvent à ne pas placer Christ au-dessus de toute autre joie, tout comme les Israélites prenant la route pour Babylone. Cependant, comprenant l’immensité de la bonté de Dieu en Jésus-Christ, comprenant l’ampleur de son pardon et de sa fidélité, alors nous passerons des pleurs aux cris de joie. Un peu comme si d’une manière douce et tendre, comme pour nous relever, l’Esprit nous disait : « Eh bien maintenant… chantez ! » Dans sa grâce, et malgré nos divers exils actuels, puissent nos chants nous aider à ne pas oublier notre « Jérusalem ».

Soli Deo Gloria ! Amen !

Article paru dans :

octobre 2021

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