PAR : Albert Solanas
Membre du comité de rédaction, pasteur à la retraite, Église baptiste de Nîmes

Article paru dans :

Dans son dernier livre, Décadence, Michel Onfray annonce la mort de la civilisation judéo-chrétienne. Il part de ce qu’il appelle la fable de Jésus, cette « hallucination collective qui a beau être collective et rassembler de vastes foules, (elle) n’en demeure pas moins une illusion ». Le ton est donné.

Une présentation orientée

La prétention de Michel Onfray n’est pas mince : son travail – dit-il –, consiste à déconstruire, pièce par pièce, les mythes et les fictions (en particulier, dans ce livre, le judéo-christianisme) et à proposer à la place, des constructions rationnelles, fondées sur les faits.

Décadence

Lorsque notre auteur revendique la présentation des faits, il affiche clairement sa conviction d’exposer une vérité incontestable, sinon objective. La seule chose – essentielle – qu’il oublie, c’est de préciser la manière de présenter les faits. Dans le propos qui nous occupe, suivant le choix de certains faits et l’ignorance délibérée de certains autres, suivant la perspective adoptée, suivant l’angle de prise de vue d’une image, et le commentaire qui l’accompagne, le message est nettement orienté. Michel Onfray nous livre une interprétation très personnelle de l’histoire du christianisme. Son traitement de l’islam suscite d’ailleurs de semblables critiques : « Ses choix conscients à l’intérieur d’une réalité historique ne décrivent pas le réel, ils le fabriquent », dit Rachid Benzine (Le Point du 5 janvier 2017, p. 49).

Une religion qui s’impose ?

La clé de l’analyse d’Onfray sur les religions, c’est le prosélytisme. « Ce qui me gêne, dans les religions, ce n’est pas qu’elles soient, mais qu’elles imposent leurs lois à ceux qui n’ont rien demandé… Les religions du chrétien et du musulman obligent leurs voisins à vivre selon leurs principes, alors que le judaïsme n’a aucun souci de convertir et, donc, ne punit pas quiconque ne vit pas selon ses principes. » (op.cit. p. 41).

Nous sommes au cœur de la réflexion actuelle sur les rapports entre religion et pouvoir. Onfray écrit : « (Au IVe siècle) Eusèbe et Constantin inventent un couple maléfique : la tête pensante et le bras armé, l’intellectuel avec ses livres et ses discours, le chef de guerre avec ses armées et ses soldats, le philosophe avec ses arguties et le prince avec son épée, l’un qui parle et prêche, l’autre qui fait couler le sang au nom des mots du premier… Si Constantin a obtenu ce qu’il a obtenu, c’est qu’il avait Dieu avec lui. La preuve, Dieu lui a fourni le signe par lequel il a vaincu – le signe de croix… C’est au nom de ce signe… que pendant des siècles, l’empereur chrétien va pouvoir imposer sa foi, la seule, la vraie, l’unique sur la totalité de la planète… » (op. cit. p. 43).

Cité médiévale Carcasson

Christianisme ou religion chrétienne ?

Il est clair que la charge de Michel Onfray vise la religion chrétienne définie à l’aide d’une terrible confusion : celle qui l’assimile à sa collusion avec le pouvoir (Eusèbe et Constantin) et amalgame évangélisation, prosélytisme, conquête et domination. Il faut reconnaître qu’une partie du christianisme ayant fait ce choix pendant des siècles, l’histoire fournit à notre auteur des arguments apparemment incontestables.

C’est tout le problème du sens historique des expressions comme civilisation chrétienne, culture chrétienne, et des racines chrétiennes de notre civilisation occidentale.

En distinguant nettement la religion chrétienne du christianisme, nous devons rétablir la vérité en affirmant que, par nature, la religion chrétienne n’impose à personne de se conformer à sa manière de penser et de vivre. Il faut redire avec force que malgré toutes les dérives que l’histoire nous révèle, notamment celles du césaro-papisme (lorsque le souverain s’érige en plus haute autorité religieuse, ou prétend imposer sa religion à tous), vouloir imposer le christianisme par la force est aux antipodes de l’enseignement du Christ. L’évangélisation consiste, non à imposer mais à annoncer, à faire connaître l’Évangile et à appeler chacun, en toute liberté, à se tourner vers Dieu. Parole de vie que le chrétien authentifie en pratiquant l’amour du prochain.

En conséquence, si nous apprécions à leur juste valeur les racines chrétiennes de notre civi- lisation, nous ne pouvons pas, historiquement, en défendre tous les aspects. La condamnation de toutes les guerres et de toutes les violences commises au nom du christianisme font partie de notre devoir d’honnêteté.

Il nous reste à souhaiter que tous ceux qui, aujourd’hui, se réclament du christianisme, manifestent dans leurs pensées, leurs paroles et leurs actes, la vitalité de la foi en Jésus-Christ et la richesse de son amour. ■

Article paru dans :

juin 2017

Rubrique :
Société
Mots-clés :
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