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En 2014, Les Cahiers de l’École pastorale ont publié un numéro hors- série consacré aux conseils d’Église : Pour une équipe qui gagne le conseil d’Église. Cet ouvrage offre une réflexion et un apport de belle qualité. Nous nous proposons d’en distiller quelques richesses, au fil des prochains mois, tout en encourageant nos Églises et leurs res- ponsables à se procurer l’ouvrage et à le lire communautairement.

Les Églises Évangéliques attachent beaucoup de valeur à la collégialité. Pourtant, elles connaissent nombre de pasteurs « solistes » qui concentrent toutes les tâches ainsi que des pasteurs « grands patrons » qui revendiquent avant tout leur autorité spirituelle. L’Église est le corps du Christ, dont il est la tête, et que constitue l’Esprit. Elle est aussi un corps social, qui doit être dirigé et administré. Comment doit être gouverné un corps à la fois spirituel et social ? C’est la question à laquelle Alain Nisus s’attelle, en commençant d’un point de vue théologique (pp.9-23).

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L’Église est appelée à être gouvernée par le Christ. Elle n’est ni une autocratie (autorité d’une personne), ni une oligarchie (autorité d’un groupe), ni même une démocratie (autorité de tous). Quelles sont les structures qui permettent au mieux de fonctionner comme « christocratie » ?

Un mot magique ?

La collégialité semble à certains être le mot magique, apte à éviter les dérives d’un pastorat centralisateur ou autoritaire et à corriger la passivité et le manque d’engagement des membres de l’Église. Elle est en phase avec l’esprit du temps, mal à l’aise avec la notion de hiérarchie.

Pourtant, la situation actuelle voit aussi le développement de la notion de leadership au sein de nos Églises. On reconnaît l’importance de personnes capables de guider, d’influencer, d’inciter à l’action, de formuler une vision, de motiver. Comment concilier cela avec la collégialité ? En développant des modèles de responsables dont le rôle est, non seulement de déléguer, mais aussi de stimuler et de faciliter le travail des autres, pour leur permettre de remplir leur tâche dans le corps de l’Église, en fonction de leurs dons et leurs talents.

Une belle façon de parler de la collégialité est de la considérer comme une « symphonicité ». C’est ainsi que l’envisage la théologie orthodoxe. Dans cette perspective, la collégialité se fonde sur l’action du Saint-Esprit qui constitue l’Église : il unit les chrétiens les uns aux autres en Christ, il octroie ses dons, il équipe ainsi l’Église, et crée lui-même la communion et la symphonie qu’il renouvelle par sa présence et son action. Sans la présence du Saint-Esprit, l’Église n’est qu’une association parmi d’autres qui cherche à s’organiser de la manière la plus efficace possible.

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Fondements

On ne peut pas déduire du Nouveau Testament un modèle de gouvernance unique et universel. C’est une souplesse qui fait de l’Église un organisme vivant plutôt qu’une organisation instituée et intangible. Toutefois, comment fonder la collégialité ?

Plusieurs repères bibliques peuvent être invoqués :

  • Jéthro rappelle à Moïse qu’à vouloir tout faire lui-même, il s’épuisera et épuisera son peuple (Ex 18.13-26). L’action du Saint-Esprit, qui équipe les soixante-dix anciens d’Israël, confirme cette vision et en souligne les conditions spirituelles.
  • Le roi, en Israël, avait des conseillers, et on en recommande le grand nombre (Pr 11.14).
  • Dans le Nouveau Testament, les mots « anciens » ou « surveillants » sont généralement au pluriel (le singulier, quand on le trouve, est générique) : les Églises ont repris cette structure qui vient de l’Ancien Testament et de la synagogue.
  • Diotrèphe, qui illustre une gouvernance personnelle et autoritaire, est vivement critiqué par l’apôtre Jean (3Jn 1.9-10).

D’un point de vue théologique, la collégialité se fonde sur trois thèmes :

  • Le sacerdoce universel de tous les croyants : tous les chrétiens, ensemble, sont prêtres (1Pi 2.9-10). Il n’y a plus, comme en Israël, un groupe à part qui assure la médiation entre le peuple et Dieu. Tous les croyants ont un accès direct auprès de Dieu, par Jésus-Christ leur unique médiateur. Tous peuvent offrir à Dieu leur culte, intercéder les uns pour les autres, servir Dieu.

  • Le don de l’Esprit à tous : tous les croyants de la nouvelle alliance ont part au Saint-Esprit, sont porte-parole de Dieu dans le monde, ambassadeurs de Jésus-Christ. C’est ce que signifie la Pentecôte, annoncée par les prophètes (Nb 11.29 ; Ac 2.17-21).

  • La distribution universelle des charismes : l’Église est un corps dont tous les membres sont placés et équipés par l’Esprit pour qu’ils soient actifs, complémentaires, interdépendants. Chacun est appelé à mettre au service des autres le don qu’il a reçu (1Co 12 ; 1Pi 4.10).

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Équilibres

Si tous sont prêtres, et équipés par l’Esprit en vue de l’utilité commune, cela ne signifie pas que tous soient interchangeables. Paul insiste lourdement sur ce point (1Co 12.14-30). Tous les chrétiens ont les mêmes privilèges spirituels, mais tous n’ont pas la même fonction dans le corps.

Ainsi, le mot « ministère » peut désigner le foisonnement des services rendus par tous les croyants. Mais il désigne aussi des rôles réguliers, stables et reconnus que certains membres accomplissent au sein des communautés ou à leur égard. Les différents ministères enrichissent la vie de l’Église. Parmi eux, certains sont structurels : ce sont les ministères de la Parole et du gouvernement de l’Église. Dieu a les établis, placés, donnés à l’Église (Ac 20.28 ; 1Co 12.28 ; Ep 4.11). Les ministères de la Parole sont structurels parce que l’Église n’a pas sa source en elle-même, elle vit de la Parole et par la Parole (Ep 2.20, cf. 4.11). Plusieurs termes désignent aussi les ministères de gouvernement : anciens et diacres mais aussi « ceux qui dirigent » (Rm 12.8 ; 1Th 5.12), les conducteurs ou leaders (Hé 13.7,17,24), ceux qui gouvernent ou président (1Co 12.28). On peut donner des noms différents à ces ministères, l’important est de reconnaître qu’ils existent et de les laisser s’exercer et s’épanouir au sein de l’Église.

Il s’agit donc de bien harmoniser le sacerdoce universel et le don de l’Esprit à tous ainsi que l’existence de ministères structurels dans l’Église. Le ministère pastoral ne peut donc pas absorber tout le ministère de l’Église : sa vocation est plutôt d’être au service du ministère de tous. Néanmoins, il faut se garder du danger inverse, celui de ne reconnaître aucune particularité aux ministères de la Parole et de direction et de ne faire du pasteur qu’un croyant parmi les autres, pouvant être remplacé par n’importe quel croyant dans l’assemblée.

Pour bien vivre la collégialité selon l’Écriture, il importe de toujours bien articuler l’équilibre entre un (le pasteur), quelques-uns (les dirigeants) et tous (l’assemblée). C’est le défi permanent de la collégialité. ■


Résumé par Thierry Huser, texte initial d’Alain Nisus

La collégialité, s/dir Evert Van de Poll, Les Cahiers de l’École pastorale, Hors-Série n°16, 2014, 128 pp.

Article paru dans :

janvier 2020

Rubrique :
Nos repères
Mots-clés :
Ma foi au jour le jour

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