Ces ossements revivront-ils ?
Voilà que Pâques est passée. Que vous en reste-t-il ? Comment cette vie abondante manifestée, dans la résurrection de Jésus-Christ, progresse-t-elle aujourd’hui dans votre propre existence ?
Entre Pâques et Pentecôte, j’aimerais vous proposer de tourner nos regards vers une saisissante vision du prophète Ézéchiel : la vallée des ossements desséchés (Éz 37.1-14). Dans ce bien lugubre contexte, Dieu vient faire voir à son prophète, et à nous, comment il prévoit de redonner vie à son peuple.
La vallée des ossements (v. 1-3)
Le prophète Ézéchiel se retrouve donc transporté par le souffle de l’Éternel et atterrit dans une grande vallée. C’est une vallée de mort. Des ossements jonchent le sol. Des ossements desséchés. C’est le désert, la solitude.
Que s’est-il passé là ? On ne peut qu’imaginer les drames, les catastrophes. Ézéchiel exerce son ministère dans un sombre contexte. Ce début de VIe siècle avant notre ère est une période de détresse pour le royaume de Juda dont il est originaire. Lui part à Babylone avec les premiers exilés, en 597. Dix ans plus tard, la ville de Jérusalem est assiégée puis détruite.
Bien des passages du livre d’Ézéchiel sont marqués par ces cataclysmes. Le chapitre 6, notamment, annonce décès sur décès. Et voilà le prophète face à ce que pourrait être le tragique accomplissement de ses prophéties : des ossements. Partout. Et vient cette question de Dieu : « Revivront-ils ? » Face à la dévastation, Ézéchiel ne peut que s’en remettre à Dieu : « Éternel, tu le sais. » (v. 3).
La chair sans le souffle (v. 4-8)
C’est alors que la Parole de l’Éternel intervient. Le prophète est invité à se joindre à ce processus. Dieu agit et se plaît à employer des humains.
Deux choses sont annoncées à ces ossements : Dieu fera venir un souffle qui les revivifiera et ils seront revêtus de nerfs et de chair. L’importance du souffle est soulignée par sa répétition, avant et après la chair (v. 5,6b). Et de l’intervention de Dieu découlera la reconnaissance de l’Éternel.
Ézéchiel prophétise alors. Et « il y eut un bruit » (v. 7). Mis en mouvement par la parole prophétique, les os se rapprochent les uns des autres.
Imaginez la scène. Le cliquetis des os qui se déplacent, qui se heurtent les uns aux autres. Puis apparaissent des nerfs, de la chair. Ce qui n’était que pêle-mêle d’ossements se rassemble pour former des corps distincts, ensuite revêtus de peau.
La parole de Dieu s’accomplit sous les yeux du prophète. Cependant, le souffle reste absent. La chair est là, mais pas de souffle. Ce semblant de vie reste incomplet…
Le souffle de vie (v. 9-10)
Il faut alors une seconde intervention de Dieu, et du prophète, pour que soit insufflée la vie. Cette insufflation vitale vient rappeler la première création de l’être humain en Genèse 2.7, même si le mot employé ici pour le souffle (ruach) est différent de celui de la Genèse (neshamah).
Ce ruach pourrait être un simple souffle, un simple vent. C’est son sens dans certains passages de l’Ancien Testament. Toutefois, dans ces textes d’Ézéchiel, il prend une tout autre dimension. Ce souffle, ce vent, est autre chose. À la demande de Dieu, le prophète doit s’adresser au souffle, comme si celui-ci était personnifié.
« Voici ce que déclare le Seigneur… » Sur la parole du prophète, qui mime celle de Dieu, le souffle entre dans ces corps reconstitués et leur donne vie. Ils se dressent sur leurs pieds et le prophète, qui se trouvait entouré d’ossements, fait maintenant face à une « très, très grande armée ». Ce souffle est souffle de vie. Il est le souffle créateur d’un peuple nouveau…
Un espoir pour le peuple de Dieu (v. 11-14)
Les derniers versets de notre passage nous offrent une explication de la vision : ces ossements représentent la communauté d’Israël. Beaucoup sont morts. Ceux qui peuvent encore entendre la parole du prophète sont sans force, exilés pour la plupart, sans possibilité de retour.
Pourtant, la parole de l’Éternel va changer les choses. « Je vais ouvrir vos sépulcres et je vous ferai remonter de vos tombes. » L’annonce est répétée deux fois (v. 12,13). Dieu promet le retour dans le pays promis, le rétablissement. Dieu offre un espoir au-delà de l’exil. Un nouveau départ. Et un souffle nouveau. Jusqu’ici dans notre texte, le souffle dont il était question n’était désigné que comme « un » souffle. Il est à présent qualifié de manière lumineuse : le souffle de l’Éternel.
Alors qu’Israël se sentait desséché, anéanti, Dieu promet une restauration, une revivification de son peuple. Comment cela s’est-il accompli ? Et quelle importance cela peut-il revêtir pour nous ? Pour répondre à ces questions, il nous faut regarder à l’histoire du peuple de Dieu.
Tout comme le texte décrit deux étapes dans la revivification des ossements, beaucoup de commentateurs en voient également deux dans l’accomplissement historique de cette vision. La première est le retour d’exil, le retour dans le pays promis, déjà évoqué dans notre texte (v. 14). Conformément aux annonces des prophètes, Israël est revenu sur sa terre. À partir de l’an 538, le peuple est autorisé à regagner son pays. Cependant, la situation est éprouvante. Les livres bibliques qui décrivent la période qui suit l’exil, comme Esdras et Néhémie, montrent les difficultés à mobiliser le peuple, les compromis, etc.
Les siècles qui suivent ce retour constituent une période de guerres nombreuses, de dominations étrangères, d’errances religieuses aussi. Certes, les nerfs et la chair sont revenus mais la vie espérée n’y est pas encore là. Le retour dans le pays promis reste insatisfaisant.
Et tel est encore le cas lorsque Jésus paraît. Assurément, Jérusalem est grande et belle. Le temple rebâti par Hérode est prestigieux au point d’impressionner les disciples. Toutefois le souffle devait encore venir. Si certains se contentaient peut-être de cette vie de chair, figés dans leurs rituels, leur religiosité, leurs habitudes, des Juifs de tous bords attendaient une intervention de leur Dieu qui transformerait vraiment leur réalité.
« Je répandrai sur vous une eau pure, afin que vous deveniez purs, je vous purifierai de toutes vos souillures et de toutes vos idoles. Je vous donnerai un cœur nouveau et je mettrai en vous un souffle nouveau, j'enlèverai de votre être votre cœur dur comme la pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon souffle et je ferai de vous des gens qui vivent selon mes lois et qui obéissent à mes commandements pour les appliquer. » (Éz 36.25-27).
Voilà ce que déclare Ézéchiel à propos de ce souffle quelques versets avant notre texte. Le souffle, c’est l’eau qui purifie. Le souffle, c’est un cœur nouveau placé en nous. Le souffle, c’est une vie nouvelle dirigée vers l’obéissance à Dieu. Le souffle, comme vous l’avez probablement compris, pour nous chrétiens, c’est celui que nous appelons l’Esprit (cf. p. ex. Jn 3.5 ; Hé 10.22). La venue du souffle, c’est la Pentecôte !
Depuis la Pentecôte, l’Esprit de Dieu vient habiter dans le cœur des croyants. L’Esprit purifie, sanctifie. L’Esprit dirige, renouvelle notre intelligence. L’Esprit nous éclaire. L’Esprit verse en nous l’amour de Dieu.
C’est l’Esprit qui a conduit et conduit encore la mission chrétienne à travers le monde. C’est l’Esprit par qui l’Évangile de Jésus-Christ est prêché à tout homme et toute femme de toute nation. C’est par l’Esprit que chaque être humain peut reconnaître que l’Éternel a agi, ainsi que l’annonçait Ézéchiel (v. 13-14). C’est en lui que nous vivons de la vie de l’Évangile. Voilà l’œuvre du « souffle ».
Ainsi, les deux étapes de cette prophétie conduisent jusqu’à nous, qui sommes aussi au bénéfice du don de cet Esprit, un don qui devait excéder de très loin la seule communauté d’Israël revenue d’exil. L’Esprit rassemble encore aujourd’hui parmi toutes les nations un Israël nouveau dont nous faisons partie.
Et c’est dans sa communion que nous espérons, comme l’annonce la fin du texte d’Ézéchiel, le repos plein et entier dans le royaume qui vient (v. 14). Néanmoins, pour ce faire, pour que vienne l’Esprit, il fallait encore un autre événement auquel l’évangéliste Matthieu semble vouloir relier notre texte : la mort et la résurrection de Jésus-Christ.
Au moment crucial où a été accompli ce qui devait permettre la venue de l’Esprit, ce que nous avons commémoré à Pâques, nous trouvons comme un écho à cette prophétie d’Ézéchiel dans un accomplissement très littéral dans certains de ses aspects : « À ce moment, Jésus poussa de nouveau un grand cri et rendit l'esprit. Et voici qu'au même instant, le rideau du Temple se déchira en deux, de haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent. Des tombes s'ouvrirent et les corps de beaucoup d'hommes fidèles à Dieu qui étaient morts ressuscitèrent. Ils quittèrent leurs tombeaux et, après la résurrection de Jésus, ils entrèrent dans la ville sainte, où beaucoup de personnes les virent. En voyant le tremblement de terre et tout ce qui se passait, l'officier romain et les soldats qui gardaient Jésus furent saisis d'épouvante et dirent : Cet homme était vraiment le Fils de Dieu. » (Matthieu 27.50-54).
À la mort de Jésus sur la croix, des tombes s’ouvrirent et des morts ressuscitèrent. Et l’œuvre de l’Éternel fut reconnue : « Cet homme était vraiment Fils de Dieu. » Voilà un saisissant clin d’œil à notre texte : « Et vous reconnaîtrez que je suis l’Éternel lorsque j’ouvrirai vos sépulcres et que je vous ferai remonter de vos tombes. » (Éz 37.13).
Dès le moment de la mort de Jésus, la puissance de Dieu pour ressusciter les siens a été manifestée. Et trois jours plus tard, Jésus lui-même est ressuscité, triomphant définitivement de la mort et nous libérant du péché qui faisait obstacle à sa vie en nous. La porte était désormais grande ouverte à l’œuvre de l’Esprit.
Ces ossements revivront-ils ?
Certains se sentent peut-être aujourd’hui comme des ossements desséchés. Manque d’espoir. Absence d’horizon. La mort peut être émotionnelle, sociale, conjugale, familiale, économique. Au sens le plus littéral, la mort se manifeste dans chacun de nos corps au fil des ans. Comme Israël après l’exil, nous la ressentons sous bien des formes.
D’autres sont peut-être comme ces corps qui avaient retrouvé l’apparence de la vie : des nerfs, de la chair, une peau… Il y a déjà là de quoi tenter de faire bonne figure !
Combien, autour de nous aujourd’hui, font semblant d’être en vie ? On étudie, on travaille, on se marie, on gagne de l’argent, on a une bonne situation, on s’engage (peut-être même à l’Église), on vit bien, sans imaginer que l’existence, dans l’Esprit de vie donné par Christ, pourrait prendre une tout autre dimension. Le monde sans Dieu organise sa vie, compensant comme il le peut les vacuités de son existence. Bien des misères peuplent l’arrière-cour : maltraitances, injustices, exploitations, addictions, culpabilités, solitudes intérieures, conflits, divisions, haines, jalousies… Cachées derrière la façade, ces choses nous rongent à petit feu.
Combien de « vies » ressemblent à cela ? Combien de « vivants » ne voudraient pas voir Dieu se mêler de leurs affaires, de crainte que leur arrière-cour ne soit dévoilée ? Il peut être difficile de croire que Dieu pourrait revivifier tous ces domaines où nous souffrons... Même là où souffle l’Esprit, car il souffle de bien des manières dans notre monde pour y faire germer la beauté et la vie, nous pouvons être tentés de rester éloignés de lui.
Cela s’applique parfois malheureusement aussi à certains pans de notre vie chrétienne. Le costume est impeccable, les prières sont belles, les chants harmonieux mais la chair prédomine encore. L’Évangile parle de paix, de liberté, d’amour et nous traînons orgueil, inquiétudes, conflits… Certes, tout ne dépend pas de nous et les temps de Dieu ne sont pas toujours les nôtres. Mais il nous faut nous le redire : le souffle vivifiant de Dieu, celui qui apporte la résurrection, est bien venu. Il habite en nous. Il veut nous faire vivre de la vie qui est en Jésus-Christ. Et il en est capable !
Dieu peut reformer les corps, leur redonner chair… Il ne veut pas simplement nous donner une vie aux apparences convenables, un peu de chair et de peau sur des os. Il veut donner la vie en abondance. Vie de joie, de paix, d’amour. Vie réconciliée avec soi-même, les autres et surtout Dieu. En Jésus-Christ, il a pourvu pour que nous ayons la vie dans sa plénitude (cf. Jn 10.10).
Le Seigneur veut faire de nous, individuellement et tous ensemble, un corps vivant de la vie de son Esprit, jusque dans les profondeurs de notre être, dans ces méandres intérieurs que nous révélons peut-être si peu. L’Esprit de Dieu veut aller jusque-là pour donner vie à tout notre être.
Pâques est passée. Nous attendons Pentecôte. Sommes-nous prêts à laisser Dieu toucher notre être pour lui donner vie ? Sommes-nous prêts à suivre la conduite de son Esprit pour grandir avec lui et découvrir cette vie nouvelle, même là où nous ne voyons que la mort ou la misère ?
Dieu peut ressusciter les morts et leur donner la vie en abondance. Grâce à l’œuvre de Jésus-Christ, il répand son Esprit de vie sur tous ceux qui se tournent vers lui dans la foi. Puissions-nous toujours plus nous laisser toucher par son souffle vivifiant. Il y a là un défi pour chacun de nous, mais nous pouvons y marcher ensemble, comme cette armée que l’Esprit dressa sur ses pieds sous les yeux d’Ézéchiel.