PAR : Léo Lehmann
Membre du comité de rédaction, Église de Bruxelles-Stockel

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Ma foi au jour le jour
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La lettre à Philémon ne compte qu’une ou deux pages dans nos bibles, et ce n’est pas souvent que les prédicateurs s’arrêtent à cette lettre que Paul adresse à son ami, mais celle-ci m’a toujours intéressé. Aussi mon regard a-t-il été attiré lorsque j’ai aperçu ce titre sur les étalages d’une grande librairie bruxelloise : À Philémon. Réflexions sur la liberté chrétienne.

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Ce petit livre d’Adrien Candiard, prêtre dominicain vivant au Caire, nous offre de nous arrêter un peu plus sur ce texte. Le lecteur de cette lettre devine généralement les espoirs de liberté que Paul a pour l’esclave Onésime qu’il renvoie à son maître. Mais on appréhende mieux, au fil des cinq méditations proposées dans cet ouvrage, l’ampleur du vent de liberté qui souffle dans ces quelques lignes de l’Écriture. Au-delà de l’esclave, c’est aussi la liberté du maître que l’apôtre a en vue, précieuse liberté qui relève de l’essence de la vie chrétienne, mais que l’auteur voit bien souvent mise de côté par le « petit païen » qui subsiste au fond de notre cœur et aimerait « entretenir avec Dieu des relations claires, c’est-à-dire commerciales » (p. 99).

Après en avoir présenté le contenu dans son introduction, et nous l’avoir fait relire, Adrien Candiard part de la lettre à Philémon et nous montre comment elle rejoint d’autres chemins de la pensée biblique. Au fil des pages, on refait connaissance avec l’apôtre Paul (auquel est consacré l’essentiel du premier chapitre), et lui et les autres personnages de la lettre croisent les chemins d’Adam et Ève qui imaginent que Dieu leur interdit ce qui est bon pour eux (ch. 2), de Marthe qui « s’occupait de cuisine sans y chercher le Christ » (ch. 4, p. 105), ou encore du serviteur impitoyable qui ne parvient pas à entrer dans l’économie de la grâce à laquelle l’invite son roi (ch. 5).

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Dans un style direct et coloré, l’ouvrage nous conduit à reconsidérer la nature et l’exercice de notre liberté en Christ. Dieu ne nous appelle pas à une relation de comptabilité permanente, mais à une amitié avec lui, vécue dans l’abondante liberté de sa grâce, où la vie ne peut se réduire à « faire rentrer le réel compliqué dans des catégories simples » (p. 12). « En acceptant le don de Dieu, nous ne nous engageons à rien d’autre qu’à nous en réjouir. À laisser cette joie peu à peu prendre toute la place, nous libérer de notre fatras de dettes et de créances, de droits et de devoirs qui règlent notre univers mental » (p. 126).

Et cette liberté rejaillit sur nos relations avec les autres, auxquels nous sommes appelés à offrir un espace de liberté semblable à celui que Dieu nous a offert, comme le fait Paul avec Philémon. Sa conscience ne devrait pas être violée, manipulée. C’est un appel à la chasteté dans nos relations que porte en particulier le chapitre 3, une chasteté qui « consiste à n’aimer, dans l’autre, rien d’autre que lui-même » (p. 73). Les manquements à ce respect de l’autre peuvent souvent passer pour anodins et constituent une tentation permanente pour la pastorale chrétienne. Pourtant, aux yeux de l’auteur, les abus qui « font les gros titres » sont « frères » de ceux qui se produisent dans « ces situations où […] nous n’avons pas su faire grandir la liberté de ceux qui venaient demander notre aide » (p. 14-15). L’Évangile a autre chose à nous offrir.

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Les mots sont peu de choses lorsqu’il s’agit de dire les merveilles et l’extraordinaire nouveauté de la liberté qui est la nôtre en Christ, réalité parfois si contre-intuitive pour les êtres encore bien souvent charnels que nous sommes. Cependant, les paroles d’Adrien Candiard semblent ici réellement permettre de toucher un peu plus à ces réalités ineffables. L’ensemble nous est actualisé par diverses anecdotes tirées du parcours de l’auteur, et notamment de son expérience en tant que prêtre. Les personnages bibliques côtoient diverses figures modernes qui nous sont plus proches, lorsque nous ne nous reconnaissons pas directement en eux.

En tentant d’intervenir tout en refusant de « prendre les rênes de la vie de Philémon » (p. 74), l’apôtre Paul avançait sur un chemin de crête. Même s’il déplaît au grand inquisiteur des frères Karamazov (à découvrir ou redécouvrir en conclusion de l’ouvrage d’Adrien Candiard), ce chemin vécu en Christ est infiniment libérateur, tant pour celui qui s’y avance que pour ceux qui sont en relation avec lui.

C’est à l’exploration de ce chemin de crête que nous invite ce petit livre, pour que ceux qui « se débattent de leur mieux avec le grand bazar contradictoire de leur vie » (p. 12), nous tous au fond, osions à notre tour nous avancer davantage dans cette liberté qui nous est offerte, et l’offrir à d’autres.

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février 2023

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