La cérémonie a été magnifiquement créative, une prouesse artistique, un régal pour les yeux (des téléspectateurs surtout), avec de forts moments d’émotion et de beauté. Elle a voulu exprimer l’esprit français de liberté, dans une impertinence à la Charlie Hebdo, avec, comme fer de lance et comme marque de fabrique, la volonté de « casser les codes », qu’il s’agisse de la conception globale de la cérémonie ou de son contenu. Cette capacité à casser les codes s’est voulue réconciliatrice entre des mondes imperméables les uns aux autres (Aya Nakamura et la garde républicaine, groupe hard-rock Gojira et chanteuse lyrique Marina Viotti). Elle a valorisé l’acceptation de toutes et de tous (tableau « sororité », chanson Imagine). Elle s’est exprimée dans un esprit festif et transgressif censé casser les différences, les rejets sociaux et les tabous (tableau « Festivité » et scène du couple à trois). La valeur ultime y est l’individu, sa liberté d’être soi et de jouir de la vie comme il l’entend. Les valeurs d’universalité du pays de la Déclaration des droits de l’homme ont été réinterprétées en valeurs d’individualité et de droit à chacun d’être soi. L’affirmation autonome de l’individu, portée par le droit à la différence, a été la base proclamée de la liberté, de l’égalité et de la fraternité qu’affirme notre devise républicaine.

JO Paris

Cette cérémonie traduit bien que notre société est résolument post-chrétienne, et qu’elle puise ses valeurs dans un individualisme hédoniste que l’on cherche à affranchir de toute limite. Mais ce n’est là qu’un miroir parmi tant d’autres.

Le jeu sur l’abolition des frontières et des limites a révélé ses limites : la légèreté est-elle de mise pour évoquer une décapitation, pour un pays qui se vante d’avoir aboli la peine de mort ? N’est-on pas en train de tout relativiser, au nom d’une liberté idéalisée, dont la conquête a été loin d’être uniquement glorieuse ? Les milliers d’exécutions de notre révolution tant acclamée peuvent-elles se dissoudre dans un simple « ça ira, ça ira » ?

Le souffle de la liberté que célébrait la cérémonie s’est voulu, également, transgressif par rapport au religieux, plus précisément par rapport à la foi chrétienne. Le pastiche LGBTQ+ de la Cène, avec la reprise du tableau de Léonard de Vinci rendu populaire par le Da Vinci Code, illustre ce singulier exploit : s’approprier un symbole religieux fort et toujours riche de sens pour un quart de la population mondiale, afin de le subvertir en une mascarade d’inspiration résolument païenne. Que l’on s’entende bien : aurait-on composé l’ensemble du tableau « Festivité » sur le modèle des bacchanales, tout aurait été clair, à défaut d’être représentatif. Mais on a cédé à la tentation de la transgression et de la subversion à bon marché. Barbara Butch, figure centrale du tableau, l’a bien exprimé : elle a publié un post reprenant la scène, avec la mention : « The New Gay Testament » (le « Nouveau Testament Gay »). De même, Damien Gabriac, l’un des quatre auteurs du récit de la cérémonie, a affirmé le lien avec le tableau de la Cène par Léonard de Vinci. La transgression s’est faite à peu de risques : jamais, le christianisme ne répondra par la violence. Aurait-on pris pour cible un symbole religieux juif ou musulman, la partie aurait été autrement plus dangereuse ! On saluera l’exploit. Et le magnifique courage, ensuite, du rétropédalage, une fois perçue la réaction mondiale, en se réfugiant derrière l’affirmation que « la Cène n’était pas mon inspiration », mais un autre tableau, à savoir Le Festin des dieux. Sauf que, si vous comparez les deux œuvres et le tableau « Festivité » de la cérémonie d’ouverture, il n’y a pas photo quant à la ressemblance. Non, Thomas et Tony, malgré toute l’estime qu’on vous doit pour tout ce que vous avez créé pour ces Jeux et cette cérémonie, là, c’est un faux-pas et une faute grave. Vous étiez censés parler au nom de la France, vous avez offensé une partie non négligeable de vos compatriotes, et de la population mondiale. Le droit au blasphème existe individuellement et pour tout créateur artistique : il est l’une des composantes extrêmes de la liberté d’expression. Mais en tant que pays, la France est garante de la liberté et du respect de chaque religion. Et pour une cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, aux valeurs d’unité, de fraternité et de paix, avoir cédé à la tentation de la dérision et de la subversion d’un symbole religieux fort et vivant pour des millions de personnes, est une faute. Certes, vous avez affirmé n’avoir « jamais eu d’intention de manquer de respect à quelque groupe religieux que ce soit. » Mais vous l’avez fait. Car on est responsable de ce que l’on produit lorsque l’on donne un spectacle. Et cela a contredit l’unité et la fraternité que voulait manifester la cérémonie d’ouverture.

Où réside l’offense de ce tableau « Festivité » ? La Cène représente, pour les chrétiens, le moment où le Christ, dans l’oubli de lui-même et par amour pour nous, entre dans un chemin d’abaissement et de souffrances qui le conduira jusqu’à la mort de la Croix où il porte notre péché. C’est le salut par la Croix, par le don de soi. La parodie en fait le salut par la fête et par l’affirmation de soi. La Cène proclame la bonne nouvelle inouïe d’un Dieu solidaire de l’humanité en s’abaissant jusqu’à elle et en prenant sur lui la condamnation dont il veut nous délivrer. Il y a là un mystère qui force le respect, tant il signifie d’amour et de don de soi. La parodie balaie tout cela comme si cela ne comptait pour rien. La Cène dit l’union du croyant avec le Christ, et invite à une vie configurée sur celle du Christ. La parodie remplace cela par une bacchanale débridée, à l’inverse des valeurs chrétiennes. La Cène rappelle au chrétien la valeur unique et centrale du Christ pour sa foi, sa vie, ses comportements, son espérance : lui seul mérite cette place centrale. La parodie efface le Christ, le déclare sans pertinence, et le remplace, lui l’Unique, avec une légèreté affligeante. « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font… »

Il reste une image en retour, plus dérangeante pour nous chrétiens : l’Évangile ne cesse de nous dire que Jésus a partagé sa table avec les personnes considérées comme les « pécheurs » et les exclus en son temps. Autrement dit, un tableau avec Jésus lui-même au centre de personnes LGBTQ+ aurait pu avoir un vrai sens évangélique. Mais encore aurait-il fallu que Jésus soit au centre, dans le respect de sa personne et de son intégrité. Or, ici, il a été remplacé, effacé. Là est la violence, là est le refus. Mais l’image de la communauté de table non conventionnelle de notre Seigneur mérite d’être méditée…

Quant à la minorité LGBTQ+, cette cérémonie d’ouverture lui a donné une place et une visibilité sans aucune commune mesure avec sa représentativité réelle. C’est une conquête, du point de vue de ses droits et de sa visibilité. Cette communauté, longtemps privée de droits, a focalisé sur elle le combat en faveur des libertés, s’imposant même, en plusieurs endroits, comme l’indicateur du degré de liberté d’une société. Il lui reste, là où ses droits lui sont reconnus, à déterminer de quelle façon elle respectera l’identité et les droits des autres communautés.

Enfin, on s’interrogera sur l’image d’une société unifiée par le simple fait que chacun, individuellement, peut s’y affirmer et avoir la liberté d’être soi. La réalité d’un vivre ensemble ne peut pas se bâtir sur le seul individualisme : il y faut aussi des institutions, des règles, un esprit de redevabilité et de responsabilité, le dialogue, le respect, la solidarité, le sens du bien commun. Autrement dit, l’engagement d’une liberté qui, au-delà de la capacité à transgresser et à casser les codes, sait s’investir en faveur de l’autre et de la communauté, pour bâtir des relations et des structures pérennes, pour transformer l’héritage sur lequel se fonde notre présent en un avenir pour les générations qui suivront.


Thierry Huser
Publié par le Lien fraternel, journal de l'Association baptiste, 30 juillet 2024