PAR : Françoise Pillon
Membre du comité de rédaction, Église baptiste de Paris-Centre

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Je me méfie des livres encensés par la critique, surtout s’ils concernent notre foi, mais on peut connaître d’heureuses surprises. C’est donc avec des préjugés, teintés d’espoir, que je me suis lancée dans la lecture de Le royaume d’Emmanuel Carrère. Une fois le volume refermé, ma perplexité est grande.

Sur la quatrième de couverture l’auteur a écrit : « À un moment de ma vie, j’ai été chrétien. Cela a duré trois ans. C’est passé. » Tiens, cela vaut peut-être le coup de voir quel chemin a été parcouru.

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Alors qu’il traverse une période difficile (mariage bancal, panne d’écriture, crise existentielle), Emmanuel Carrère accepte de rencontrer Hervé, l’autre filleul de sa marraine. Celle-ci est une catholique très pieuse, modèle de sagesse et de bonté. Sa foi rayonne. L’amitié est immédiate entre Hervé et Emmanuel. À la faveur d’un séjour à la montagne, alors qu’il accompagne son ami à la messe quotidienne, il est saisi par ce texte de Jean 21.18 : « En vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu ceignais toi-même ta ceinture et tu allais où tu voulais. Quand tu auras vieilli, un autre te ceindra, tu étendras les mains et un autre te conduira où tu ne voudras pas aller ». Son abandon à Dieu est radical. Comme beaucoup de jeunes convertis, il change sa manière de vivre, devient excessif, impose un mariage pitoyable à sa compagne, entre deux inconnus pour témoins. Il se met à commenter, quotidiennement, un verset de l’Évangile de Jean, ne prend pas garde aux avertissements que lui donne sa marraine qui lui annonce qu’il connaîtra des doutes. En fait, selon lui, tout ce qui lui est contraire est signe qu’il est sur le bon chemin. Il évoque ces trois années d’une foi dont on ne connaît pas le contenu. Certes, il jette un jour à la figure d’une de ses nombreuses psychanalystes : « Moi, je crois que le Christ est la vérité et la vie. » À la lumière du récit, cela n’a pas grand sens, même s’il ne nous appartient pas de juger son cœur ni de mettre en doute sa sincérité.

Finalement, sa foi s’émousse et le quitte. Suivent cinq cents pages dans lesquelles Emmanuel Carrère présente une enquête sur les débuts du christianisme. Là, il utilise tous les poncifs. Sa seule référence est Ernest Renan comme si, depuis un siècle et demi, la recherche historique, exégétique, archéologique n’avait pas œuvré. Il dresse de Paul un tableau très antipathique : misanthrope, irascible, invivable, orgueilleux et, évidemment, misogyne. De plus, Jésus lui importe peu, il le considère presque comme un rival, de même que Jacques, Jean et Pierre, ses ennemis jurés. Luc, qui a été le compagnon de Paul, en a un peu assez de ce personnage si intransigeant et part à la recherche de Jésus. Il veut en savoir plus sur cet homme que l’apôtre ignore. C’est dans ce but, qu’en romancier, il écrit son évangile et « invente » la conception virginale, la résurrection et les hauts faits de notre Seigneur.

L’auteur utilise parfois un langage cru et vert, jusqu’à être obscène dans certaines comparaisons. C’est purement gratuit et provoquant. Il se pose en historien sans citer ses sources et je doute qu’un lecteur ignorant les Actes s’y retrouve. L’impression qui domine est qu’il veut se venger de ne pas croire. Le livre s’achève cependant sur des propos plus apaisés. Une ouverture ?

Pourquoi évoquer cet ouvrage dans notre journal ? D’abord, il montre bien comment un nouveau converti est fragile et dans quels travers il peut tomber. Cela devrait nous inciter à accompagner nos nouveaux frères et sœurs. Ensuite, ce livre dépeint notre monde tel qu’il est par rapport à la spiritualité : on adapte les textes selon ce qui plaît, on rejette ce qui gêne. On adopte une foi à la carte, sans lien avec les autres. Cette description du relativisme devrait nous aider à annoncer l’Évangile en tenant compte de cette atmosphère, sans compromission. ■


Le Royaume, Éditions P.O.L., septembre 2014, 640 pages, 23,90 €.

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janvier 2015

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