PAR : Nordine Salmi
Membre du comité de rédaction, pasteur, Église baptiste de Genève

Article paru dans :

Dans votre Bible : Marc 9.14-29

« Ai-je vraiment la foi ? » Qui ne s’est jamais ainsi interrogé ? Et l’affirmation de Jésus n’est pas là pour nous rassurer: « Si vous aviez la foi comme un grain de moutarde, dit-il à ses disciples, vous diriez à cette montagne déplace-toi pour aller là-bas et elle le ferait. Rien ne serait impossible. » (Mt 17.20). Quel rapport disproportionné entre la quantité infinitésimale de foi requise et la masse gigantesque de rocher ! Si une foi grosse comme une tête d’épingle suffit à déplacer une montagne, qu’en est-il de ma foi qui n’arrive même pas à déplacer le moindre petit caillou ?

Seule face au désert

Jésus face aux disciples

Dans notre texte, Jésus vient de vivre l’épisode de la transfiguration. Avec ses trois disciples, Pierre, Jacques et Jean, ils redescendent de la montagne et discutent théologie. Résurrection des morts, eschatologie… toutes ces discussions ne datent pas d’aujourd’hui ! Alors qu’ils approchent des autres disciples restés dans la plaine, ils les aperçoivent entourés d’une foule en pleine agitation. Jésus interroge ses disciples. Avant que l’un d’eux n’ait le temps d’expliquer ce qui se passe, une voix sort du milieu de la foule.

Cette voix est celle d’un père de famille dont l’enfant est malade. Une maladie terrible, causée par un esprit. L’enfant est muet, se jette par terre, de l’écume sort de sa bouche, il grince des dents, devient raide. Terrible situation pour cet homme. La maladie de son enfant, c’est sa montagne à lui, l’Everest qui envahit son horizon, bouche toute perspective. Une montagne qu’il voudrait bien déplacer pour voir son avenir se dégager et surtout voir enfin son enfant vivre autrement que comme un possédé ! Pour cela, il compte sur ces hommes qui ont quelques temps plus tôt parcouru la région, envoyés par leur maître. N’ont-ils pas, par son autorité, chassé des démons, guéri des malades (Mc 6.13) ?

Enfant malade

Terrible responsabilité pour les disciples du Christ, qui recueillent dans leurs bras ce lourd fardeau de la souffrance du père. Terrible responsabilité pour l’Église, pour nous-mêmes qui recueillons parfois la souffrance du monde qui nous entoure. On a déposé au cœur de notre conscience de disciple la maladie d’un tel, la déchéance d’un autre, la vie sans espérance d’un fils, la tragédie d’un couple qui s’entre-déchire, l’angoisse face à un chômage qui perdure et conduit à la fragilité matérielle ! Il est bien qu’il en soit ainsi. Le disciple ne doit-il pas être la lumière du monde ? Un phare dans la nuit qui guide les embarcations humaines en proie à la tempête de la vie vers le port, la maison du Père ?

Ce père de famille a donc vu juste ! Il a frappé à la bonne porte. Il a été attiré par ce groupe d’hommes dont Jésus a dit d’eux qu’ils sont la lumière du monde.

Cependant, la voix qui émerge de la foule est celle de la déception. J’ai demandé…et il ne s’est rien passé ! J’ai espéré et c’est l’échec ! Ils n’ont pas pu ! Le père reste devant sa montagne, l’enfant dans sa prison. Les disciples sont dépités et obligés de reconnaitre leur échec. Pourquoi cet échec ? La demande est-elle injustifiée ? La montagne doit-elle rester à la même place et continuer à écraser ce père et ce fils ?

Jésus, contrairement à certains, n’accuse pas le père de l’enfant de manquer de foi. Il s’en prend à ses disciples. « Peuple incrédule ! Jusqu’à quand devrai-je rester avec vous ? Jusqu’à quand devrai-je vous supporter ? »

Quelle est l’erreur des disciples ? La réponse se trouve à la fin de notre texte. « Pourquoi n’avons-nous pas réussi à chasser cet esprit ». La réponse de Jésus met en évidence la lacune des disciples: « Des esprits comme celui-là, on ne peut les chasser que par la prière.  » Les disciples ont voulu se débrouiller par eux-mêmes. Leurs exploits lors de leur voyage missionnaire leur sont-ils montés à la tête ? D’autres évangiles nous les décrivent, à leur retour de mission, grisés par ce qu’ils ont pu réaliser: miracles, démons qui leur obéissent ! Jésus est obligé de calmer leur enthousiasme ! « Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux ! » (Lc 10.20).

Calme

Dans ce temps d’euphorie, les disciples se sont pris pour Dieu ! Ils ont de la puissance, ils ont de l’autorité ! Devant l’enfant que l’on a posé au creux de leur bras, devant la souffrance d’un père, ils ont cru pouvoir se débrouiller. Ils ont oublié qu’ils n’étaient que phare dans la nuit et non port de l’espérance. Ils ont oublié qu’ils étaient tributaires du Dieu de toutes grâces aux pieds duquel ils auraient dû apporter cet enfant et son père. À ce niveau de formation, les disciples auraient dû avoir ce réflexe. La prière ! Leçon élémentaire de toute école de disciple. De là l’irritation du Maitre à l’égard de ses élèves si lents à apprendre.

Si nous sommes appelés à recueillir la souffrance, le désespoir de ceux qui nous entourent, nous ne sommes pas appelés à résoudre seuls ces difficultés. Nous sommes appelés à accompagner toutes ces personnes vers le trône de la grâce, vers celui qui seul peut soulager, délivrer et guérir ! Combien de fois avons-nous oublié de le faire ? Combien de fois l’avons-nous fait avec si peu de constance et de persévérance, et parfois de conviction, que c’était comme si nous pensions pouvoir nous débrouiller seul ? Ne se situe-t-elle pas là, notre incrédulité: dans notre volonté de répondre par nous-mêmes aux besoins de ceux qui nous entourent, dans le désir de leur montrer ce que nous savons faire. Sans la foi qui porte à Dieu et qui dépose à ses pieds les fardeaux de la souffrance, nous encourons la même remarque que le Christ a formulée à l’encontre de ses disciples.

Jésus face au désespoir

« Amenez-moi l’enfant ! », demande le Christ. Sa présence provoque alors une crise intense ! On amène l’enfant au Seigneur et la situation n’évolue pas. Lorsque nous apportons nos situations douloureuses au Christ, ne nous est-il jamais arrivé de voir la situation non seulement ne pas s’arranger mais parfois empirer ? Nous nous interrogeons: était-ce bien utile ? Nous avons prié et voilà le résultat !

« Dès qu’il vit le Christ, l’esprit mauvais agita convulsivement l’enfant et le jeta par terre… » Le texte nous dévoile l’enjeu qui se trame dans les coulisses de l’histoire du monde et de notre propre histoire ! « Car nous n’avons pas à lutter contre des êtres de chair et de sang, mais contre les puissances, contre les autorités, contre les pouvoirs de ce monde de ténèbres, et contre les esprits du monde céleste » (Ep6.12). « Tenez ferme ! » poursuivra l’apôtre, soulignant que la bataille est parfois longue, rude, et surtout qu’elle ne se mène qu’avec l’armure du Christ lui-même !

La suite du récit est particulièrement émouvante. Le Christ instaure, entre le père désespéré et lui, un dialogue. Il aurait pu guérir l’enfant sans plus tarder. N’y a-t-il pas urgence à ce que ce drame cesse au plus vite ? Il faut croire que les priorités du Christ ne sont pas forcément les nôtres. Elles peuvent nous surprendre, nous dérouter. Toutefois, si nous considérons la prière comme notre désir de marquer notre dépendance à son égard, comment ne pas respecter ses choix, ses priorités ? Comment le prier et ne pas reconnaître qu’il est celui qui guide notre histoire avec une sagesse parfaite et une visibilité sans faille sur notre avenir et nos besoins ?

Besoins

Sa priorité, pour l’instant, est de regarder ce père désespéré, de s’arrêter sur sa personne et sur sa souffrance. Celui qui vient à lui avec ce fardeau immense, sa montagne, n’est pas que quémandeur. Il ne se réduit pas à son sujet de prière. Il est un être que Dieu aime et avec lequel il veut entrer en dialogue, prendre en compte la globalité de sa vie.

Jésus lui pose une question qui, a priori, semble dérisoire: « Depuis combien de temps cela lui arrive-t-il ? » La question n’a pas d’importance pour l’avenir de l’enfant, mais elle est essentielle pour le père. Par ce dialogue Jésus prend en compte le père et sa souffrance. Il prend en compte non seulement le moment présent, mais également sa vie passée. Jésus amène le père à vider son sac ! Car ce père avait encore gardé au fond de lui-même des images, des souvenirs horribles: l’enfant se jetant dans le feu ou dans l’eau. Son angoisse terrible de ne plus pouvoir récupérer son enfant en vie !

Le Christ l’amène à soulager sa douleur, à livrer son désespoir enfoui. Le Christ nous accueille avec tout ce que nous avons caché au fond de nous-mêmes depuis tant d’années: ces fantômes qui hantent nos journées et nos nuits, ces secrets que nous n’osons dévoiler à personne. Il est venu pour éclairer tous les soubassements de notre être, apporter son salut aux profondeurs de notre âme. Jésus est venu pour illuminer notre présent et notre avenir mais également pour que nous puissions vivre avec notre passé ! Jésus nous aime dans toutes les dimensions de notre histoire ! C’est là le sens du dialogue qu’il engage avec ce père.

Le père, poussé à revisiter ces évènements douloureux, s’écroule devant le Christ: « Viens à notre aide ! » Le cri est révélateur. Ce n’est plus seulement l’enfant qu’il présente à Jésus. Le dialogue aura permis cette évolution. La souffrance de l’enfant était sa souffrance. L’emprisonnement de l’enfant était son emprisonnement ! L’amour du père pour son fils liait leur sort ! N’en est-il pas ainsi dans nos familles de sang ? N’en est-il pas ainsi dans notre famille spirituelle ?

Jésus face aux hésitations de la foi

Mais la demande doit encore mûrir ! L’homme a besoin de prendre un peu plus la mesure de celui qui est en face de lui. Sa demande pourrait se traduire ainsi: « Si tu peux faire quelque chose, tente-le ! » Le père a tout essayé, alors une tentative de plus…

Il est facile de reconnaitre dans l’attitude du père la démarche de nos contemporains ou peut-être la nôtre. En quête de guérisons diverses, nous avons frappé à toutes les portes, essayé tous les remèdes. Mais lorsque nous venons devant le Christ, nous ne venons pas devant une nouvelle spiritualité, une nouvelle philosophie, une nouvelle technique. Nous venons devant le Seigneur de l’univers, le Sauveur des hommes, le Tout-Puissant.

Ainsi, notre prière ne peut plus être la même ! Elle ne peut plus être cette bouteille que l’on jette à la mer ! Elle est une prière qui engage à croire qu’il peut tout ! Jésus réoriente la question du père: « Le problème ne réside pas dans mes possibilités mais dans ta confiance en moi ! Qui crois-tu que je suis ? » N’est-ce pas la question préalable à toute prière ? La souffrance, l’urgence de la demande nous font parfois perdre de vue qui nous prions, obsédés que nous sommes par le poids de notre montagne.

L’interpellation de Jésus amène le père à crier ses limites ! Il en vient à dire deux choses paradoxales mais d’une admirable humilité: « Je crois ! Mais viens au secours de mon incrédulité ! » Pour franchir le pas de la confiance absolue, il lui faut un miracle, une aide d’en haut ! Il aurait été facile pour ce père de faire semblant ! Il aurait aussi pu, comme certains personnages du texte biblique, repartir et renoncer. Nous oscillons parfois entre ces deux possibilités ! Le père joue la carte de l’authenticité et de la foi, une foi qui crie au secours pour pouvoir devenir confiance absolue.

Incrédulité

La foi de ce père n’est-elle pas à la hauteur de ce que Jésus attend de nous ? La nôtre l’est-elle ? Combien de fois avons-nous fait semblant de croire que, pour lui, tout est possible ? Et combien de fois devant nos montagnes avons-nous prié: « Seigneur aide-moi à croire, viens en aide à mon incrédulité » ?

Devant l’interpellation du Christ, ce père se sent démuni. Sa foi, il ne la perçoit pas plus grosse qu’un grain de moutarde, et encore ! Mais ce grain de moutarde, il le dépose aux pieds du Seigneur et lui demande d’en faire quelque chose ! Aide-moi dans ma foi si petite, si dérisoire. Fais quelque chose de ma confiance si fragile. C’est la plus belle prière de foi, cette foi qui attend du Seigneur qu’il la nourrisse pour qu’elle grandisse !

Jésus opère deux gué-risons: celle de l’enfant et celle du père ! Le père était venu pour que son enfant soit délié. Il l’a été. Cependant, en priant pour son enfant, cet homme a pris conscience qu’il était lui-même prisonnier. Ses liens étaient différents de ceux de son enfant mais tout aussi entravants.

Jésus ne guérira pas toujours notre enfant malade ou notre propre maladie. En tous cas pas ici-bas. Cela ne doit pas nous empêcher de le lui demander dans la confiance absolue que sa réponse sera pour nous la meilleure. Le crois-tu ? Le croyons-nous ? Le Seigneur choisit parfois non pas de faire disparaitre la montagne mais de nous la faire gravir. Devant cette montagne nous mesurons les limites de notre confiance. Doutons-nous d’y arriver ? Et si au lieu de faire semblant d’avoir confiance ou bien de tourner le dos au chemin difficile que le Seigneur veut nous faire prendre, nous nous mettions à prier, à crier: « Seigneur, viens au secours de mon incrédulité » ?

Alors, sans aucun doute, le Seigneur déplacera la montagne qui nous enferme dans nos tombeaux d’incrédulité ! Ce ne sera rien de moins qu’une résurrection avant l’heure !

Article paru dans :

janvier 2016

Rubrique :
À Bible ouverte
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