PAR : Matthieu Sanders
Pasteur, Église évangélique baptiste de Paris-Centre

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À Bible ouverte
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Chaque mois de juillet, a lieu l’un des événements sportifs les plus suivis au monde : Le Tour de France. Et chaque année, le tracé de ce tour change. Mais il y a un point commun à chaque tour de France. Tous, sans exception, se terminent à Paris, sur l’avenue des Champs-Élysées. La capitale est symbolique. Elle incarne le pays. Alors le tour de France se termine sur la plus belle et la plus célèbre avenue de la capitale française. Et personne n’imagine qu’il en soit autrement.

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De manière un peu analogue, l’arrivée de Jésus à Jérusalem, dans le récit de Marc, est un moment clé sur lequel je vous propose de nous arrêter (Mc 11.1-11). Nous nous trouvons au début de ce qu’on appelle traditionnellement la semaine sainte. En recoupant les indications, il semble que nous soyons au premier jour de la semaine, c’est-à-dire le dimanche.

Dans moins d’une semaine, le vendredi, Jésus sera crucifié. Dans une semaine, le dimanche suivant, il ressuscitera. Comme les trois autres évangélistes, Marc va prendre le temps de décrire en détail cette dernière semaine, au point d’y consacrer six chapitres sur les seize que contient son Évangile ! Parce que cette dernière semaine, qui conduit à la Croix puis au tombeau vide, est décisive pour s’assurer que ses lecteurs comprennent bien les réponses aux deux questions-clés de son Évangile : Qui est Jésus ? Pourquoi est-il venu ?

C’était annoncé…

Jésus fait route depuis la Galilée vers Jérusalem. À quelques kilomètres de la ville, se trouve le mont des Oliviers, et sur le flanc de ce mont se trouvaient les villages de Béthanie et de Bethphagé (v. 1). Jésus a séjourné quelques jours à Béthanie, chez Lazare, Marthe et Marie (Jn 12.1). Et c’est vraisemblablement peu après ce séjour qu’il envoie deux de ses disciples dans un village avoisinant, avec les instructions des v. 2-3. On me taquine parfois parce que je donne des instructions très précises, voire un peu trop. Mais il faut reconnaître qu’ici Jésus n’hésite pas à donner tous les détails dans ses instructions !

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Plus sérieusement, faut-il comprendre que, en tant que Fils de Dieu, il manifeste ici sa prescience et « prédit » prophétiquement la scène qui va arriver ? Ou faut-il simplement comprendre que Jésus a organisé les choses, s’est arrangé à l’avance avec le propriétaire de l’ânon ? Difficile d’en être certain. Mais quoi qu’il en soit, on est frappé par la maîtrise de la situation dont fait preuve Jésus. Tout est prévu. Il va entrer à Jérusalem, et il va le faire de façon mémorable.

Or rappelons que la situation est très tendue. Il a été plusieurs fois recherché par les autorités. Il a même annoncé à ses disciples à trois reprises qu’il allait être arrêté et mis à mort (Mc 8.31 ; 9.31 ; 10.33-34). Jésus aurait à première vue tout intérêt à rester incognito mais, au lieu de cela, il va entrer publiquement dans la ville où l’attendent ses persécuteurs.

Pourquoi ? Parce que, pour Jésus, et pour Marc qui nous raconte l’histoire, « c’était annoncé ». Jésus n’est pas venu pour éviter le danger. Il est venu pour accomplir les projets de Dieu. Et notre texte constitue un tournant dans l’Évangile de Marc, ce que les commentateurs appellent le « secret messianique », ce mystère qui entoure l’identité de Jésus, et que lui-même semble parfois entretenir – « n’allez dire à personne ce que vous avez vu », « ne va dire à personne que tu as été guéri » (par exemple Mc 1.44 ; 5.43 ; 7.36 ; 8.30 ; 9.9) – ce mystère est en train d’être entièrement levé. Jésus a révélé son identité progressivement. Ses miracles n’avaient pas pour but de rassembler les foules, mais de dévoiler progressivement, indice après indice, la vérité sur sa personne.

Mais à présent les indices sont criants ! Le prophète Zacharie avait en effet annoncé la venue du Messie, en ces termes : « Réjouis-toi, fille de Sion ! Lance des acclamations, fille de Jérusalem ! Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, il est humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse. » (Za 9.9). Marc, contrairement à l’évangéliste Matthieu, ne cite pas ce texte. Il estimait sans doute qu’il n’en avait pas besoin, tant l’allusion est limpide. En entrant à Jérusalem sur le dos d’un ânon, Jésus se présente de manière incontestable comme le roi annoncé par les prophètes. Et l’on voit plusieurs pièces du puzzle biblique se mettre en place. Le Roi-Sauveur, et même le Roi-Dieu, entre dans Jérusalem (Ps 2, Ps 149). Il est le Fils de David, le Libérateur, « celui qui vient au nom du Seigneur » (2S 7, Ps 110, Ps 118). Il est le Roi qui vient inaugurer un nouveau règne de paix (Es 9, Mi 4). Pourtant, il se présente avec humilité et simplicité, monté sur un simple âne (Za 9.9).

C’était écrit. C’était annoncé. Jésus s’inscrit dans le fil d’une révélation biblique qui commence dès le début, dans la Genèse, et qui traverse tout l’Ancien Testament. Et il ne se contente pas de « faire écho » à ces textes. Il les accomplit. Il leur donne leur sens. Il est la clé de lecture de toute la révélation de Dieu !

La tentation est grande, quand on lit la Bible, de la lire comme un « livre inspirant » avec des histoires qui nous encouragent spirituellement, ou comme une collection hétéroclite de récits et d’écrits spirituels. Il nous arrive de lire la Bible comme si nous la considérions ainsi : en picorant ici et là tel encou- ragement, telle leçon de vie… Bien sûr, la Bible encourage. Bien sûr, la Bible nous aide dans la vie de tous les jours. Mais elle le fait premièrement en nous révélant Jésus et en nous appelant à le suivre ! La Bible, dans son immense diversité, dévoile une vaste histoire. Et au centre de cette histoire, il y a Jésus-Christ. Cela ne veut pas dire que l’on va chercher partout des allusions cachées à Jésus. Cela veut dire, en revanche, qu’en lisant la Bible, nous voulons garder à l’esprit son grand récit.

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En lisant les livres de la Loi, nous prenons conscience de l’échec de l’homme à obéir à cette Loi, et du besoin que nous avons de Jésus pour nous offrir le pardon de Dieu. En lisant les livres de sagesse, nous découvrons notre besoin de Jésus pour connaître le Créateur de toutes choses, comprendre qui nous sommes et ce que nous faisons dans le monde. En lisant les Psaumes, nous cherchons en Jésus Celui qui nous remet sur pied dans nos épreuves et devant notre péché, et qui nous permet d’adorer Dieu à nouveau. En lisant les prophètes, nous comprenons qu’au-delà de toutes les interventions de Dieu dans l’Histoire, nous avons tous besoin d’une délivrance plus fondamentale, plus universelle, et nous aspirons à un monde nouveau, débarrassé du mal, marqué par la paix. En lisant le Nouveau Testament, finalement, nous comprenons que : « Pour toutes les promesses de Dieu, c’est en Jésus que se trouve le «oui». » (2Co 1.20). Et que tous les hommes, toutes les femmes, sont appelés à saisir la vie nouvelle par lui.

En montant sur l’âne, Jésus ne laisse donc aucune place au doute : il est venu accomplir les projets de Dieu. Des projets qui passent par Jérusalem. Mais contrairement à ce que pensait sans doute une partie de la foule qui l’acclamait, ce n’est pas le triomphe, ni le pouvoir humain qui attend Jésus à Jérusalem. C’est la Croix.

 Le Roi fait son entrée

Traditionnellement, cet épisode est désigné comme une « entrée triomphale », Jésus entrant dans une ville en liesse, qui n’attend que lui. Et l’on est alors stupéfait d’apprendre que, moins d’une semaine plus tard, la foule demande à grands cris la crucifixion de Jésus.

Il est vrai que l’homme est inconstant et capable de changer d’attitude rapidement et pour peu de choses. Mais en l’occurrence, si on y regarde de plus près, ce ne sont pas tant les gens de Jérusalem qui accueillent Jésus que les pèlerins qui l’acclament :« Ceux qui précédaient et ceux qui suivaient Jésus criaient : Hosanna… » (v. 9). Luc précise dans son Évangile que c’était « la foule des disciples » qui acclamait Jésus (Lc 19.37).

Jésus vient à Jérusalem entouré d’une foule dont il a déjà été question à plusieurs reprises au chapitre 10. Une foule qui semble constituée des disciples de Jésus d’une part et, d’autre part, de pèlerins galiléens qui montaient à Jérusalem pour la fête de la Pâque. On peut supposer que parmi ces pèlerins certains étaient devenus disciples ; d’autres étaient plus ou moins « sympathisants ». Ce sont ces pèlerins, avant tout, qui acclament Jésus. Ceux qui réclameront sa crucifixion, quant à eux, sont principalement des membres de l’élite religieuse de Jérusalem, même s’il y avait sans doute une certaine fluidité entre les foules.

Ce qui doit retenir notre attention ici, c’est que Jésus est acclamé comme roi. « Beaucoup de gens étendirent leurs vêtements sur le chemin, et d’autres des branches qu’ils coupèrent dans les champs. » (v. 8). Aujourd’hui, les traditions ont changé. Si quelqu’un voulait étendre ses vêtements sur la route en vue du passage de la reine d’Angleterre, il serait sans doute placé en garde à vue. L’équivalent serait plutôt, dans notre contexte, le fait de dérouler le tapis rouge.

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Jésus est acclamé comme roi, et la foule va plus loin encore, en voyant en lui le Roi avec un grand « R », le Messie annoncé : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » (v. 9). L’exclamation « Hosanna » est tirée du Psaume 118.25 et pourrait être traduite par « sauve-nous ». En criant ainsi, la foule ne croyait sans doute pas si bien dire. Les disciples ou sympathisants de Jésus pensaient-ils à leur besoin fondamental, existentiel, de la réconciliation avec Dieu, ou à une délivrance politique du joug romain ? La question se pose. Comme nous l’indique Jean, ce n’est qu’après la résurrection que les disciples ont pleinement saisi la portée de cet épisode (Jn 12.15-16).

Jésus est effectivement entré à Jérusalem pour les sauver… Mais il le fera non par un triomphe, mais par l’humiliation de la Croix. Stupéfiant mystère au cœur de notre foi. Jésus entre à Jérusalem… Non pour y être couronné, mais pour y être crucifié. Il l’a dit peu auparavant (Mc 10.45) : Il est venu non pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour beaucoup.

Le texte de Zacharie nous donne déjà un petit indice en nous présentant le Roi Sauveur comme entrant humblement, monté sur un âne, non pas en triomphateur, mais venant simplement faire la volonté de Dieu. C’est un autre prophète, Ésaïe, qui développera cette annonce : le Roi promis sera aussi un serviteur qui prendra sur lui la condamnation de Dieu pour les péchés des hommes. Il mourra à la place des pécheurs pour qu’ils soient pardonnés (Es 53).

Voilà pourquoi Jésus entre à Jérusalem. Voilà pourquoi il est venu. Et voilà pourquoi on ne peut pas prendre ce qui nous plaît dans l’enseignement de Jésus, tout en laissant de côté ce qui est au cœur de son œuvre et que Marc s’apprête à dévoiler : sa souffrance, sa mort en sacrifice pour les pécheurs, sa résurrection pour inaugurer une vie nouvelle.

Suivre Jésus, ce n’est pas seulement l’acclamer quand tout semble aller bien, c’est aussi le suivre sur le chemin de la Croix. Reconnaître en Jésus le Messie implique de se reconnaître pécheur, de reconnaître son besoin du pardon de Dieu. Et de reconnaître que c’est Jésus que Dieu a envoyé comme Messie, comme Sauveur. C’est lui, et personne d’autre, qui donne son sens à toute la révélation de Dieu. La foule avait raison d’acclamer Jésus comme Roi. Elle avait raison de lui crier « sauve-nous ! ». Elle avait raison de voir en lui un Libérateur.

Mais était-elle prête ? Et sommes-nous aujourd’hui encore prêts à ce que notre vie change du tout au tout pour faire toute la place au Roi-Serviteur ?

 Les yeux fixés sur le Roi

On assiste dans ce texte à l’hommage rendu à Jésus par une foule qui est fière d’accompagner Jésus, fière de le suivre. Une foule qui a envie que les gens sachent que Jésus est le Sauveur. Même si leur compréhension de sa personne et de son œuvre était déficiente, voire superficielle, les petits problèmes et les petits orgueils de chacun semblent s’effacer, ne serait-ce qu’un instant, pour laisser toute la place à cette célébration de Jésus. On va chercher des branches dans les champs pour les mettre sur le chemin. On fait la fête. Plus tard, des enfants chanteront encore « Hosanna » dans la cour du temple (Mt 21.15).

La foule rend hommage à Celui qui est venu les servir, donner sa vie pour eux. Voilà ce que doit être la louange. La forme importe relativement peu. L’attitude, en revanche, importe beaucoup. Et ce qui est décisif, me semble-t-il, c’est de cesser de se cramponner à notre identité propre, à notre fierté, pour trouver sa fierté, son identité, dans la joie de connaître Jésus.

Être des adorateurs de Jésus heureux de le connaître, reconnaissants pour sa présence dans nos vies, au point d’être prêts à nous effacer pour trouver une joie simple et authentique dans sa personne. N’est-ce pas ce à quoi nous sommes appelés ? Il me semble que quand on se laisse saisir par la joie de servir Jésus, la joie de lui appartenir, l’une des plus grandes bénédictions est que le cynisme qui domine notre monde laisse peu à peu la place à l’espérance et à la joie, malgré les épreuves.

Quand on trouve une joie simple dans l’appartenance à Jésus, on s’inquiète beaucoup moins de sa propre réputation. On est surtout soucieux de la sienne. On trouve beaucoup moins d’intérêt à se disputer ou à chercher à faire avancer ses propres intérêts. Parce que ce qui compte, c’est Lui !

C’était annoncé. Le Roi a fait son entrée. Et s’il est entré à Jérusalem pour y mourir, il en est ressorti, une semaine plus tard, vivant pour toujours, et appelant des disciples de toutes les nations à le suivre. Voilà pourquoi nous sommes là. Voilà pourquoi nous vivons ! ■

Article paru dans :

avril 2019

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