PAR : Thierry Huser
Membre du comité de rédaction, président de l’Association baptiste, pasteur, Église La Bonne Nouvelle, Colmar

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Nous célébrons à Noël l’amour vertigineux du Dieu Fils unique qui s’est fait homme. Ce mystère gardera toujours une dimension indicible et bouleversante. Mais comment parler de la personne de Jésus-Christ, à la fois pleinement Dieu et pleinement homme ?

Jésus a dû apprendre à parler, et acquérir un certain nombre de connaissances (Lc 2.52). C’est très banal, d’un point de vue humain. Mais comment dire cela du Fils de Dieu fait homme ? À la fin de sa vie, peu avant la Croix, Jésus connaît une intense lutte intérieure, à Gethsémané. Comment rendre compte de ce combat ? Y a-t-il deux volontés en Jésus, l’une selon son humanité, l’autre selon sa divinité ?

La nature et la personne

Pour exprimer la distinction entre Dieu et l’homme en Jésus, on parle des « deux natures » du Christ. Jésus est pleinement Dieu, et pleinement homme : il possède « tout ce qui fait que Dieu est Dieu », et « tout ce qui fait que l’homme est homme ».

Mais Jésus n’est pas divisé : il dit « je », et non pas « nous ». Cette unité est celle d’une personne. Nous possédons tous la nature humaine, mais chacun la réalise de manière unique, par la personne que nous sommes. Jésus, lui, est une personne qui porte et exprime les ressources de deux natures. La personne de Jésus est plus riche que la nôtre, puisqu’elle exprime et réalise à la fois l’humanité et la divinité.

L’équilibre des natures

Comment envisager le rapport de deux natures en une personne ? Il a fallu aux chrétiens un certain nombre de tâtonnements et de controverses, pour arriver à une formulation qui rend compte, au mieux, du mystère. Certains, les « Nestoriens », distinguaient les deux natures de Jésus jusqu’à les diviser et en faire deux sujets distincts, liés simplement par une même volonté : l’incarnation n’est pas plus, alors, qu’une habitation. D’autres, les « monophysites » ont affirmé que, pour qu’il n’y ait qu’une seule personne, il faut qu’il n’y ait qu’une seule nature, l’humanité de Jésus étant absorbée dans sa divinité : mais Jésus a eu un corps, ce qui prouve que la distinction demeure entre la nature divine et la nature humaine.

Le Concile de Chalcédoine a débattu de cette question (451). Il affirme fortement l’unicité de la personne du Christ : « Nous confessons un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait en divinité, et le même parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme. » Il affirme les deux natures en cette unique personne : « [Nous confessons] un seul même Christ […] reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation, la différence des deux natures n’étant nullement supprimée à cause de l’union, la propriété de l’une et l’autre nature étant bien plutôt sauvegardée et concourant à une seule personne. »

La personne du verbe

Quelle est cette seule et unique personne ? Est-ce la personne du Verbe divin qui assume les caractéristiques de l’humanité ? Ou est-ce une personne humaine, « Jésus fils de Marie », qui est mis au bénéfice des caractéristiques de la divinité ?

Pour répondre à cette question, il faut considérer ce que Jésus entend lorsqu’il dit « je ». Ses « Je suis » remontent plus haut que son humanité en Marie : « Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde. » (Jn 16.28). « Avant qu’Abraham fût, je suis. » (Jn 8.58). C’est donc le Verbe divin qui porte l’identité de Jésus de Nazareth. Cela n’enlève pas son humanité à Jésus : il a un corps, il a été limité dans l’espace et le temps, il a souffert, il est mort, il est ressuscité. Mais c’est la personne du Verbe divin qui a assumé l’humanité de Jésus, l’a portée, l’a façonnée.

Situations de la vie de Jésus

Comment appliquer cela à la vie de Jésus, à ses actes concrets ? Faut-il distinguer, entre « ici, c’est Dieu qui agit », et « là, c’est l’homme qui agit » ? Ce serait scinder l’unité de la personne de Jésus. Le principe que l’on applique est que « les actes sont de la personne, par la nature. » C’est donc toujours « Jésus » qui agit, dans l’unité de sa personne. Mais cette action peut, chez lui, se nourrir à deux sources : celle de sa nature humaine, celle de sa nature divine. Certains actes proviendront de la seule nature humaine, comme lorsque Jésus mange. Mais la plupart viennent des deux, en particulier tous les actes où Jésus agit dans sa fonction de Médiateur.

Qu’en est-il de la connaissance de Jésus ? En une même personne, Jésus unit Dieu qui « sait tout », et l’homme qui si souvent « ne sait pas… ». Jésus n’a pas eu la connaissance infuse de tout : il a dû apprendre en tant qu’enfant (Lc 2.52), il lui fallait s’approcher d’un figuier pour voir s’il avait du fruit (Mc 11.13), il ne connaissait « ni le jour ni l’heure » (Mc 13.32). Mais à certains moments, Jésus en savait plus que ce que nous connaissons ordinairement : il « savait ce qui était dans l’homme » (Jn 2.25), il agissait selon ce qu’il « voyait faire » par le Père (Jn 5.19).

Il faut, à cet endroit, clairement distinguer les natures : autrement, la nature humaine serait envahie par l’omniscience divine. La solution la plus harmonieuse est de penser que c’est la personne du Fils incarné qui choisit d’utiliser ou non les ressources à sa disposition par la nature divine. En s’incarnant, le Fils éternel ne perd pas sa connaissance de toute chose, mais il choisit de ne pas s’en servir totalement, ni régulièrement, afin de vivre une vie d’homme authentique. C’est là son abaissement (Ph 2.7-8). Mais il possède des ressources de connaissance qui dépassent celles de son humanité : là où c’est utile pour sa mission, et dans le respect de son humanité, il peut choisir de les utiliser. Plus probablement choisit-il de les recevoir, dans sa relation au Père (Jn 5.19) et par l’Esprit (Jn 3.34).

La lutte de Jésus à Gethsémané illustre une situation où Jésus, dans sa personne, doit synthétiser les apports de ses deux natures. Selon sa nature divine, il ne peut que consentir à la Croix, d’un commun accord avec le Père. Mais la nature humaine lui apporte la perception de tout ce qu’il faudra endurer. Le Fils éternel fait chair doit ainsi surmonter la charge des perceptions que lui apporte son humanité. Il consent, pour ce faire, à n’avoir que les moyens « ordinaires » d’un fidèle : puiser sa force et ses ressources dans la prière et le soutien de Dieu. Mais le combat et la décision finale sont les actes d’une personne unique, qui s’ajuste à la volonté du Père dans une démarche authentiquement humaine (Hé 5.7).

C’est dans l’unité d’une personne que le Fils éternel a endossé notre humanité. Il nous invite, à notre tour, à répondre à son amour par un « je » entier et personnel, « de tout notre cœur, de toute notre âme, de toute notre force, de toute notre pensée » (Mc 12.30). ■

Article paru dans :

décembre 2018

Rubrique :
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Mots-clés :
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