PAR : Léo Lehmann
Membre du comité de rédaction, pasteur, Église évangélique Le Cépage, Bruxelles-Ganshoren

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N’en déplaise à nos représentations traditionnelles de la crèche, les Évangiles ne mentionnent ni bœuf, ni âne, ni moutons. Mais un autre texte fait apparaître à la naissance de Jésus un être que l’on voit rarement sur nos cartes de vœux : un dragon. Je vous invite à le découvrir dans Apocalypse 12. Nous ne pourrons pas tout dire de cette scène étonnante, et peut-être ce que nous en dirons ne fera pas com- plète unanimité parmi les interprètes, mais gageons qu’il pourrait y avoir là une belle manière de redécouvrir certains enjeux de Noël.

 Deux signes extraordinaires (v. 1-3)

Désert

Tout commence par deux signes extraordinaires. Une femme premièrement, habillée de vêtements éclatants puis un dragon effrayant. Cette femme, symbolique, est la représentante de l’humanité fidèle à Dieu, en relation avec lui.

Les nations humaines se représentent aussi sous des formes allégoriques. Lion pour la Belgique, mais femmes pour la France et la Suisse : Marianne et Helvetia. Ce genre d’imagerie peut donc nous être familier. Il l’est aussi pour ceux qui parcourent l’Écriture. Dans l’Ancien Testament comme dans le Nouveau, l’image d’une femme, d’une épouse, d’une mère, est employée pour décrire le peuple de Dieu, Israël, puis l’Église (p. ex. Es 62.5 ; 66.7 ; 2Co 11.2 ; Ep 5.25 ; Ap 19.7). L’image d’une femme resplendis- sante a déjà été utilisée par Ésaïe au sujet d’une nouvelle Jérusalem (voir Es 54, 60-66), patrie céleste, qui ne connaîtrait pas les infidélités de la première.

La femme de notre texte se rattache à cette nouvelle Jérusalem, belle, resplendissante. Cette nouvelle Jérusalem qui est la mère patrie du peuple de Dieu, et dont la Jérusalem terrestre n’est qu’une anticipation. Cette nouvelle Jérusalem qui descendra du ciel à la fin des temps (Ap 21). La femme représente une humanité qui rassemble tous les croyants véritables, qu’ils soient Juifs ou non-Juifs, l’Israël de Dieu. Les douze étoiles de sa couronne peuvent renvoyer tant aux douze tribus de l’Israël ancien qu’aux douze apôtres qui prolongent le rôle des patriarches dans l’Église. Elle resplendit comme le soleil, à la manière dont resplendiront les justes, le peuple de Dieu sanctifié (Mt 13.43). La lune sous les pieds peut quant à elle être vue comme un signe de l’autorité que Dieu veut conférer à son peuple.

Dragon

C’est de cette réalité, le peuple de Dieu, que sortira un enfant particulier qui régnera sur les nations. Pour l’instant, la femme est dans les douleurs qui précèdent la naissance. Et l’on sait combien d’épreuves le peuple de Dieu a traversées avant la venue de l’enfant en question.

Face à la femme, le dragon. Un dragon rouge, énorme, dans le ciel. Il a sept têtes couronnées, et dix cornes. Des symboles de sa puissance, de sa grandeur, et peut-être aussi de la diversité de ses manifestations. Il apparaît en effet de bien des manières dans notre monde. Ce dragon c’est Satan. C’est l’ennemi de Dieu, qui fait face au peuple que Dieu veut racheter.

Le dragon face à l’enfant (v. 4-6)

De sa queue le dragon balaye un tiers des étoiles. Sont-ce des anges dévoyés par l’œuvre de Satan ? Des bouleversements cosmiques ? Quoi qu’il en soit, il y a là une manifestation de sa puissance. Il se tient près de la femme pour dévorer l’enfant qui doit naître. Autour de celui-ci se cristallise une attention particulière du dragon… Quelque chose se joue…

Et l’enfant vient au monde : un garçon, qui doit guider les nations avec un sceptre de fer, symbole de sa puissance. Via une allusion au Psaume 2.9, qu’elle reprendra ailleurs également (Ap 2.26-27 ; 19.15), l’Apocalypse nous désigne ici clairement le Messie. L’enfant dont parle le texte, c’est Jésus.

Mais si l’enfant est Jésus, est-ce que la femme n’est pas Marie ? On trouve probablement ici l’origine de certaines représentations catholiques de Marie. Rien ne nous permet cependant d’assimiler Marie, simple humaine comme nous, à la femme d’Apocalypse 12. Mais c’est bien par elle, une membre fidèle du peuple représentée par la femme de la vision, que Dieu va passer pour la naissance de son fils. Et c’est lui, Jésus, qu’a voulu dévorer le dragon.

On pense alors au roi Hérode qui a tué tous les enfants de la région à l’époque de la naissance de Jésus (Mt 2.13-18). Œuvre de Satan pour détruire l’enfant dès sa naissance. On pense aussi à toutes les tentatives du diable pour ruiner le ministère de Jésus, de la tentation jusqu’à la croix. Mais le texte ne s’arrête pas ici au sujet de la croix. Il nous emmène directement à l’ascension. « L’enfant fut enlevé auprès de Dieu et auprès de son trône » (v. 5). En deux lignes, c’est toute la vie de Jésus qui est résumée, du début à la fin, avec ce constat : le dragon n’a rien pu faire. Il n’a pas pu dévorer l’enfant… Ou peut-être a-t-il dû le recracher ???

En tout cas, l’enfant est monté au ciel. La femme quant à elle doit s’enfuir au désert. Là, Dieu lui a préparé un lieu pour la nourrir, prendre soin d’elle, pendant mille deux-cent-soixante jours, soit aussi quarante-deux mois ou trois ans et demi. Une durée symbolique dans le livre de Daniel et dans l’Apocalypse pour parler d’un temps déterminé par Dieu, pendant le- quel le peuple de Dieu sera gardé, même si, comme on le verra, il fait face à des tribulations.

 La bataille dans le ciel (v. 7-9)

Tandis que la femme est emmenée au désert, une grande bataille s’engage dans le ciel. Michel, que Jude 9 décrit comme archange, mène les anges de Dieu contre le dragon. Celui-ci, avec ses propres anges, résiste. Mais les anges de Dieu l’emportent.

À travers des siècles de ténèbres où nos ancêtres ont vu l’œuvre du diable, l’image de ce combat angélique a beaucoup marqué la chrétienté. Partout à travers l’Europe on trouve des représentations de celui que la tradition a nommé Saint-Michel terrassant le dragon.

« Le grand dragon, le Serpent ancien qu’on appelle le diable et Satan » a été jeté hors du ciel, sur la terre. Celui dont l’accumulation des titres montre l’immense orgueil, ne peut plus se tenir en présence de Dieu. Jusqu’alors, ce serpent s’introduisait encore auprès de Dieu, accusant, persiflant, mais il a définitivement été chassé loin de lui, avec tous les anges qui l’ont suivi dans sa révolte. Il n’a plus d’accès au trône de l’Éternel.

Le chant de la victoire (v. 10-12)

victoire

C’est alors qu’éclate un cantique de louange. Une voix s’élève qui proclame la victoire. L’Apocalypse utilise des cantiques pour commenter ce qu’elle décrit, mettre en avant ce qu’il faut en retenir. Ce cantique est central dans notre texte.

Et il dit comment Dieu triomphe. Dieu triomphe parce que l’accusateur a été jeté dehors. Malgré sa révolte des débuts, le Diable continuait d’accéder auprès de Dieu, pour accuser ceux que Dieu voulait sauver. Au fil des siècles, Dieu accueillait ceux qui avaient placé leur foi en lui. Enoch, Abraham, Moïse… Mais le serpent les accusait, tout comme les humains encore sur terre (Job 1-2). Comment ces pécheurs pouvaient-ils espérer se tenir en présence de Dieu ?

Le Dieu juste ne pouvait pas chasser cet accusateur qui avait raison : l’humanité ne méritait pas de s’approcher de Dieu. Mais notre texte dit comment ce serpent a été jeté dehors, sans plus de pouvoir pour nous accuser.

Parce que les frères et sœurs qui étaient jusque- là accusés sont maintenant placés sous le sang de l’Agneau. Les accusations n’ont plus de fondement. Le sang du sacrifice de l’Agneau a coulé pour eux, et ils sont maintenant lavés de toutes les fautes que le diable pouvait leur reprocher (cf. Rm 3.25-26). « Mais eux, ils l’ont vaincu grâce au sang de l’Agneau et grâce à la parole de leur témoignage, car ils n’ont pas aimé leur vie jusqu’à redouter de mourir. » (v. 11).

L’Agneau, c’est Jésus, dont le sang a été versé pour nous à la croix. Par son sang versé, nous sommes purifiés. Et par son sang qui nous couvre, l’accusateur n’a plus de pouvoir sur nous. Plus encore, par le témoignage des chrétiens, leur confiance placée en Christ, la victoire sur l’ennemi se répand partout, et toujours plus d’hommes et de femmes sont mis au bénéfice de l’œuvre de Jésus-Christ. Ainsi, nous sommes victorieux en Christ. Et dans cette victoire tellement excellente, nous ne craignons même plus de laisser notre vie.

Mais quand a eu lieu cette victoire ? Est-ce encore à venir ? Non. Cela a eu lieu dans le mi- nistère de Jésus, et tout particulièrement à la croix. Quand ses disciples reviennent de mission, ayant proclamé le royaume de Dieu et chassé les démons, Jésus parle ainsi : « Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair. » (Lc 10.18). Alors que son heure approche, que la croix vient, Jésus dit : « Oui, maintenant le dominateur de ce monde va être expulsé. Et moi, quand j’aurai été élevé au-dessus de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi. » (Jn 12.31-32). Et lorsqu’il cé- lèbre la victoire de Christ, Paul affirme : « Il nous a pardonné toutes nos fautes. Car il a annulé l’acte qui établissait nos manquements à l’égard des comman- dements. Oui, il l’a effacé, le clouant sur la croix. Là, il a désarmé toute Autorité, tout Pouvoir, les donnant publiquement en spectacle quand il les a traînés dans son cortège triomphal après sa victoire à la croix. » (Col 2.13-15).

Autres mots, même réalité de la victoire de Christ sur les puissances adverses qui nous accusaient. C’est cela qui doit réjouir le ciel et ceux qui l’habitent au v. 12. Dieu a pleinement triomphé… À la croix, par le sang de Jésus, tout pouvoir a été ôté à l’ennemi.

Et pourtant, « malheur à la terre ». Le diable a été totalement vaincu, mais pas supprimé. Jeté sur la terre, il est dans une grande colère et sait qu’il ne lui reste que peu de temps.

Le dragon mord encore (v. 13-18)

Le serpent vaincu s’oppose encore au peuple de Dieu. Et cela débouche sur deux réalités. D’une part le peuple est protégé. La femme s’envole avec des ailes d’aigles. Elle est gardée pendant cette durée symbolique déjà citée, trois ans et demi.

Le serpent crache un fleuve d’eau pour l’atteindre. De la bouche du Christ sort une épée, la vérité tran- chante (Ap 1.16). Le serpent, lui, vomit un torrent de paroles inconsistantes, destinées à submerger et égarer l’Église. Mais tout comme dans certains épisodes de l’Exode, que l’on voit à l’arrière-plan de ces textes (Ex 14 ; 15.12 ; Nb 16), Dieu se montre maître des éléments eux-mêmes pour protéger son peuple. Le fleuve est englouti. Le peuple de Dieu dans son essence est préservé. On voit là la stabilité de l’Église annoncée par Jésus (Mt 16.18).

Mais par ailleurs, le dragon va persécuter les autres enfants de la femme… Tout comme la femme est protégée, la Jérusalem céleste qui descendra un jour du ciel ne peut plus être submergée par les assauts de l’ennemi, mais ceux qui sont aujourd’hui ici-bas enfants de cette femme, gardant les commandements de Dieu et le témoignage de Jésus (v. 17), restent exposés à la persécution.

Le diable n’a que peu de temps. Mais il continue à pouvoir faire des dégâts dans ce monde, et parmi les chrétiens si l’on n’y prend pas garde. Dieu patiente pour rassembler son peuple, mais le dragon agit encore. Le dernier verset nous le montre sur la rive de la mer. De là sortira une autre bête qui s’associera à lui pour persécuter le peuple de Dieu… Mais nous nous arrêterons ici.

Noël au-delà des apparences

Que pouvons-nous retenir de ce texte ? À l’évidence, il va bien au-delà des seuls événements de Noël. Mais il met en relief les enjeux énormes gravitant autour de la naissance du petit enfant que nous célébrons.

Petit enfant

Noël n’est pas une gentille fête des cadeaux et des lumières. Cette célébration de la venue de notre Sauveur nous introduit à l’histoire la plus extraordinaire qui se soit produite sur cette terre, l’œuvre d’amour inimaginable du Dieu qui a voulu nous sauver du dragon et nous offrir la vie avec lui. Saisissons-nous les enjeux de Noël ? Voyons-nous les bouleversements immenses induits jusque dans le ciel par cet événement ?

Le diable voudrait nous faire oublier cette victoire. Il se réjouit lorsqu’il peut nous ramener sous son emprise en réveillant notre orgueil ou notre culpabilité. Mais en nous souvenant de Noël nous nous rappelons aussi que nous sommes victorieux en Jésus. Nous ne devons plus nous laisser influencer par un perdant, par celui qui a été expulsé du ciel.

Même si le diable peut se montrer sous des jours attrayants ici-bas, avec les séductions qu’il peut proposer, nous devons être lucides sur le fait qu’il est vaincu. Il est comme un occupant qui ferait encore le fier alors que l’armée qui reprend le pays est à ses portes. Personne ne devrait penser à s’allier avec lui ! Nous sommes au nombre des vainqueurs, de ceux qui ont été lavés par le sang de l’Agneau. La victoire est bel et bien dans ce petit enfant que nous célébrons. Retournons toujours à sa parole de vérité.

Oui, persévérons ! Notre texte ne nous dit pas que les choses seront faciles. Il parle de persécutions. Pourtant, nous pouvons nous confier en Dieu. Le diable n’a que peu de temps. Son pouvoir est limité. C’est Dieu qui est au contrôle du temps donné.

Et surtout, puisque Dieu a agi comme il l’a fait en Jésus-Christ, et puisque le dragon a été jeté hors du ciel, nous pouvons être pleins d’assurance. Dieu veille sur son Église, il la préservera. En Jésus, Dieu a œuvré « petit » en apparence, mais il nous a libérés. Le dragon voulait dévorer l’enfant. À la croix, il a peut-être cru triompher, vaincre le Fils. Mais on peut supposer qu’il a avalé là un poison qui s’est retourné contre lui. La croix est le lieu de la plus grande victoire… À la croix, le péché a été vaincu et le diable a perdu tout pouvoir d’accusation contre ceux qui se confient en Dieu. Un jour, il sera définitivement défait, l’univers sera transformé, et nous vivrons dans la plénitude de la présence de Dieu.

Et tout cela a commencé à Noël, avec la venue au monde d’un petit enfant… Que l’espérance apportée par Jésus-Christ réjouisse nos cœurs et nous fasse toujours tenir ferme face aux ruses du serpent vaincu.

« Le Dieu qui donne la paix ne tardera pas à écra- ser Satan sous vos pieds. Que la grâce de notre Seigneur Jésus soit avec vous. » (Rm 16.20). ■

Article paru dans :

décembre 2018

Rubrique :
À Bible ouverte
Mots-clés :
Point de vue

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